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ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE I.

PHILISTE, LYCAS.

PHILISTE.

Des voleurs cette nuit ont enlevé Clarice!

Quelle preuve en as-tu? quel témoin? quel indice?

Ton rapport n'est fondé

que sur quelque faux bruit.

LYCAS.

Je n'en suis par mes yeux, hélas! que trop instruit ';
Les cris de sa nourrice en sa maison déserte
M'ont trop suffisamment assuré de sa perte;
Seule en ce grand logis, elle court haut et bas,
Elle renverse tout ce qui s'offre à ses pas,
Et sur ceux qu'elle voit frappe sans reconnoître;
A peine devant elle oseroit-on paroître :

De furie elle écume, et fait sans cesse un bruit2
Que le désespoir forme, et que la rage suit;
Et, parmi ses transports, son hurlement farouche
Ne laisse distinguer que Clarice en sa bouche.

Ne t'a-t-elle rien dit?

PHILISTE.

VAR. Je n'en suis par les yeux, hélas! que trop instruit.

2 VAR. De furie elle écume, et fait toujours un bruit.

LYCAS.

Soudain qu'elle m'a vu,

Ces mots ont éclaté d'un transport imprévu ' :
« Va lui dire qu'il perd sa maîtresse et la nôtre; »
Et puis incontinent, me prenant pour un autre,
Elle m'alloit traiter en auteur du forfait;

Mais ma fuite a rendu sa fureur sans effet.

PHILISTE..

Elle nomme du moins celui qu'elle en soupçonne?

LYCAS.

Ses confuses clameurs n'en accusent personne,
Et même les voisins n'en savent que juger.

PHILISTE.

Tu m'apprends seulement ce qui peut m'affliger,
Traître, sans que je sache où, pour mon allégeance,
Adresser ma poursuite, et porter ma vengeance.
Tu fais bien d'échapper; dessus toi ma douleur,
Faute d'un autre objet, eût vengé ce malheur.
Malheur d'autant plus grand que sa source ignorée
Ne laisse aucun espoir à mon ame éplorée;
Ne laisse à ma douleur, qui va finir mes jours,
Qu'une plainte inutile au lieu d'un prompt secours :
Foible soulagement en un coup si funeste 2;
Mais il s'en faut servir, puisque seul il nous reste.
Plains, Philiste, plains-toi, mais avec des accents
Plus remplis de fureur qu'ils ne sont impuissants;
Fais qu'à force de cris poussés jusqu'en la nue,
Ton mal soit plus connu que sa cause inconnue;

VAR. Ces mots ont éclaté d'un transport impourvu.

1 VAR, Vain et foible soulas en un coup si funeste.

Fais que chacun le sache, et que, par tes clameurs, Clarice, où qu'elle soit, apprenne que tu meurs

2

Clarice, unique objet qui me tiens en servage, Reçois de mon ardeur ce dernier témoignage'; Vois comme en te perdant je vais perdre le jour, Et par mon désespoir juge de mon amour. Hélas! pour en juger, peut-être est-ce ta feinte 2 Qui me porte à dessein cette cruelle atteinte; Et ton amour, qui doute encor de mes serments, Cherche à s'en assurer par mes ressentiments. Soupçonneuse beauté, contente ton envie, Et prends cette assurance aux dépens de ma vie. Si ton feu dure encor, par mes derniers soupirs Reçois ensemble et perds l'effet de tes desirs; Alors ta flamme en vain pour Philiste allumée, Tú lui voudras du mal de t'avoir trop aimée; Et sûre d'une foi que tu crains d'accepter 3, Tu pleureras en vain le bonheur d'en douter. Que ce penser flatteur me dérobe à moi-même!

VAR. Reçois donc de mes feux ce dernier témoignage.

2 VAR. Aussi, pour en juger, peut-être est-ce ta feinte.

3 VAR. Et sûre de sa foi, tu viendras regretter
Sur sa tombe le temps et le bien d'en douter.

Qu'il m'est doux en mourant de penser qu'elle m'ainie?
Et dans ce désespoir que causent mes malheurs,
Espérer que ma mort lui causera des pleurs !
Simple! qu'espères-tu? Sa perte est volontaire;

Et

pour mieux te punir d'un amour téméraire,
Elle veut tes regrets : tous autres châtiments
Ne lui semblent pour toi que de légers tourments.
Elle se pâme d'aise au récit de ta peine.

Quel charme à mon trépas de penser qu'elle m'aime!
Et dans mon désespoir qu'il m'est doux d'espérer
Que ma mort, à son tour, la fera soupirer!

Simple, qu'espères-tu? Sa perte volontaire
Ne veut que te punir d'un amour téméraire;
Ton déplaisir lui plaît, et tous autres tourments
Lui sembleroient pour toi de légers châtiments.
Elle en rit maintenant, cette belle inhumaine;
Elle pâme de joie au récit de ta peine,
Et choisit pour objet de son affection
Un amant plus sortable à sa condition.

Pauvre désespéré, que ta raison s'égare!
Et que tu traites mal une amitié si rare!
Après tant de serments de n'aimer rien que toi,
Tu la veux faire heureuse aux dépens de sa foi;
Tu veux seul avoir part à la douleur commune;
Tu veux seul te charger de toute l'infortune,
Comme si tu pouvois en croissant tes malheurs
Diminuer les siens, et l'ôter aux voleurs.
N'en doute plus, Philiste, un ravisseur infame
A mis en son pouvoir la reine de ton ame,
Et peut-être déja ce corsaire effronté
Triomphe insolemment de sa fidélité'.
Qu'à ce triste penser ma vigueur diminue!

VAR. Triomphe insolemment de sa pudicité.

Hélas! qu'à ce penser ma vigueur diminue!

SCÈNE II.

PHILISTE, DORASTE, POLYMAS, LISTOR.

PHILISTE.

Mais voici de ses gens. Qu'est-elle devenue?
Amis, le savez-vous? N'avez-vous rien trouvé
Qui nous puisse éclaircir du malheur arrivé?

DORASTE.

Nous avons fait, monsieur, une vaine poursuite.

PHILISTE.

Du moins vous avez vu des marques de leur fuite.

DORASTE.

Si nous avions pu voir les traces de leurs pas,
Des brigands ou de nous vous sauriez le trépas;
Mais, hélas! quelque soin et quelque diligence....

PHILISTE.

Ce sont là des effets de votre intelligence,
Traîtres; ces feints hélas ne sauroient m'abuser.

POLYMAS.

Vous n'avez point, monsieur, de quoi nous accuser'.

PHILISTE.

Perfides, vous prêtez épaule à leur retraite,

Et c'est ce qui vous fait me la tenir secrète.

Mais voici.... Vous fuyez! vous avez beau courir,

Il faut me ramener ma maîtresse, ou mourir.

VAR. Vous ne devez, monsieur, en rien nous accuser.

PHILISTE.

Perfides, vous prêtez l'épaule à leur retraite.

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