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Qui manquent de justesse en si belle matière,
Et ne répondant point aux mouvements du cœur,
Te découvrent si peu le fond de ma langueur.
Doris, si tu pouvois lire dans ma pensée,

Et voir jusqu'au milieu de mon ame blessée',
Tu verrois un brasier bien autre et bien plus grand
Qu'en ces foibles devoirs que ma bouche te rend.

Ce

DORIS.

Si tu pouvois aussi pénétrer mon courage,
Et voir jusqu'à quel point ma passion m'engage',
que
dans mes discours tu prends pour des ardeurs
Ne te sembleroit plus que de tristes froideurs.
Ton amour et le mien ont faute de paroles.
Par un malheur égal ainsi tu me consoles;
Et de mille défauts me sentant accabler,

Ce m'est trop d'heur qu'un d'eux me fait te ressembler.

ALCIDON.

Mais, quelque ressemblance entre nous qui survienne,
Ta passion n'a rien qui ressemble à la mienne,
Et tu ne m'aimes pas de la même façon.

DORIS.

Si tu m'aimes encor, quitte un si faux soupçon3;
Tu douterois à tort d'une chose trop claire :
L'épreuve fera foi comme j'aime à te plaire.
Je meurs d'impatience attendant l'heureux jour

■ VAR. Et voir tous les ressorts de mon ame blessée,
Que tu verrois un feu bien autre et bien plus grand!
2 VAR. Pour y voir comme quoi ma passion m'engage.
3 VAR. Quitte, mon cher souci, quitte ce faux soupçon;
Tu douterois à tort d'une chose si claire.

Qui te montre quel est envers toi mon amour;
Ma mère en ma faveur brûle de même envie.

ALCIDON.

Hélas! ma volonté sous un autre asservie,
Dont je ne puis encore à mon gré disposer,
Fait que d'un tel bonheur je ne saurois user.
Je dépends d'un vieil oncle, et, s'il ne m'autorise,
Je ne te fais qu'en vain le don de ma franchise ';
Tu sais que tout son bien ne regarde que moi,
Et qu'attendant sa mort je vis dessous sa loi.
Mais nous le gagnerons, et mon humeur accorte
Sait comme il faut avoir les hommes de sa sorte:
Un peu de temps fait tout.

DORIS.

Ne précipite rien.

Je connois ce qu'au monde aujourd'hui vaut le bien.
Conserve ce vieillard; pourquoi te mettre en peine,
A force de m'aimer, de t'acquérir sa haine?
Ce qui te plaît m'agrée; et ce retardement,
Parcequ'il vient de toi, m'oblige infiniment.

ALCIDON.

De moi! C'est offenser une pure innocence,
Si l'effet de mes vœux n'est pas en ma puissance2;
Leur obstacle me gêne autant ou plus que toi.

DORIS.

C'est prendre mal mon sens; je sais quelle est ta foi.

VAR. Je te fais vainement un don de ma franchise;

Tu sais que ses grands biens ne regardent que moi.
VAR. Si l'effet de mes vœux est hors de ma puissance.

ALCIDON.

En veux-tu par écrit une entière assurance'?

DORIS.

Elle m'assure assez de ta persévérance;

Et je lui ferois tort d'en recevoir d'ailleurs
Une preuve plus ample, ou des garants meilleurs.

ALCIDON.

Je l'apporte demain, pour mieux faire connoître....

DORIS.

J'en crois si fortement ce que j'en vois paroître,
Que c'est perdre du temps que de plus en parler.
Adieu. Va désormais où tu voulois aller.

Si pour te retenir j'ai trop peu de mérite,

Souviens-toi pour le moins que c'est moi qui te quitte.

ALCIDON.

Ce brusque adieu m'étonne, et je n'entends pas bien....

VAR. Qu'un baiser de nouveau t'en donne l'assurance.

2. VAR. Que cette feinte est belle, et qu'elle a d'industrie!

DORIS.

On a les yeux sur nous; laisse-moi, je te prie.

ALCIDON.

Crains-tu que cette vieille en ose babiller?

DORIS.

Adieu, va maintenant où tu voulois aller.

Qu'il te souvienne au moins que c'est moi qui te quitte.

ALCIDON.

Quoi donc, sans un baiser? Je m'en passerai bien.

SCÈNE VI.

ALCIDON, LA NOURRICE.

LA NOURRICE.

Je te prends au sortir d'un plaisant entretien.

ALCIDON.

Plaisant de vérité, vu que mon artifice
Lui raconte les voeux que j'envoie à Clarice;
Et de tous mes soupirs, qui se portent plus loin,
Elle se croit l'objet, et n'en est que témoin.

LA NOURRICE.

Ainsi ton feu se joue?

ALCIDON.

Ainsi, quand je soupire,

Je la prends pour une autre, et lui dis mon martyre; Et sa réponse, au point que je puis souhaiter',

Dans cette illusion a droit de me flatter.

Elle t'aime?

LA NOURRICE.

ALCIDON.

Et de plus, un discours équivoque

Lui fait aisément croire un amour réciproque.
Elle se pense belle, et cette vanité

L'assure imprudemment de ma captivité;
Et, comme si j'étois des amants ordinaires,
Elle prend sur mon cœur des droits imaginaires,

VAR. Et sa réponse, au point que je peux souhaiter.

Cependant que le sien sent tout ce que je feins ', Et vit dans les langueurs dont à faux je me plains.

LA NOURRICE.

Je te réponds que non. Si tu n'y mets remède, Avant qu'il soit trois jours Florange la possède 2.

Et qui t'en a tant dit?

ALCIDON.

LA NOURRICE.

Géron m'a tout conté;

C'est lui qui sourdement a conduit ce traité.

ALCIDON.

C'est ce qu'en mots obscurs son adieu vouloit dire 3.
Elle a cru me braver, mais je n'en fais que rire;
Et, comme j'étois las de me contraindre tant,
La coquette qu'elle est m'oblige en me quittant.
Ne m'apprendras-tu point ce que fait ta maîtresse?

LA NOURRICE.

Elle met ton agente au bout de sa finesse.
Philiste assurément tient son esprit charmé:
Je n'aurois jamais cru qu'elle l'eût tant aimé.

VAR. Cependant que le sien ressent ce que je feins.

2 VAR. Paravant qu'il soit peu, Florange la posséde.

3 VAR. Ce n'est pas grand dommage; aussi bien tant de feintes M'alloient bientôt donner d'ennuyeuses contraintes.

Ils peuvent achever quand ils trouveront bon:

Rien ne les troublera du côté d'Alcidon.
Cependant apprends-moi ce que fait ta maîtresse.

LA NOURRICE.

Elle met la nourrice au bout de sa finesse.

Je n'eusse jamais cru qu'elle l'eût tant aimé.

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