Vraiment, vous me jugez de sens fort dépourvue : Vous bannir de mes yeux! une si dure loi Feroit trop retomber le châtiment sur moi; Et je n'ai pas failli, pour me punir moi-même.
L'absence ne fait mal que de ceux que l'on aime.
Aussi, que savez-vous si vos perfections Ne vous ont rien acquis sur mes affections?
Madame, excusez-moi, je sais mieux reconnoître Mes défauts, et le peu que le ciel m'a fait naître.
N'oublierez-vous jamais ces termes ravalés,
Pour vous priser de bouche autant que vous valez? Seriez-vous bien content qu'on crût ce que vous dites? Demeurez avec moi d'accord de vos mérites; Laissez-moi me flatter de cette vanité
Que j'ai quelque pouvoir sur votre liberté,
Et qu'une humeur si froide, à toute autre invincible, Ne perd qu'auprès de moi le titre d'insensible:
Une si douce erreur tâche à s'autoriser;
Quel plaisir prenez-vous à m'en désabuser?
Ce n'est point une erreur; pardonnez-moi, madame, Ce sont les mouvements les plus sains de mon ame. Il est vrai, je vous aime, et mes feux indiscrets Se donnent leur supplice en demeurant secrets.
Je reçois sans contrainte une ardeur téméraire'; Mais si j'ose brûler, je sais aussi me taire;
Et près de votre objet, mon unique vainqueur, Je puis tout sur ma langue, et rien dessus mon cœur. En vain j'avois appris que la seule espérance Entretenoit l'amour dans la persévérance;
J'aime sans espérer; et mon cœur enflammé2 A pour but de vous plaire, et non pas d'être aimé. L'amour devient servile, alors qu'il se dispense A n'allumer ses feux que pour la récompense. Ma flamme est toute pure, et, sans rien présumer, Je ne cherche en aimant que le seul bien d'aimer.
Et celui d'être aimé, sans que tu le prétendes, Préviendra tes desirs et tes justes demandes. Ne déguisons plus rien, cher Philiste; il est temps 3 Qu'un aveu mutuel rende nos vœux contents: Donnons-leur, je te prie, une entière assurance; Vengeons-nous à loisir de notre indifférence; Vengeons-nous à loisir de toutes ces langueurs Où sa fausse couleur avoit réduit nos cœurs.
Vous me jouez, madame, et cette accorte feinte
VAR. Je reçois sans contrainte un amour téméraire; Mais si j'ose brûler, aussi sais-je me taire.
2 VAR. J'aime sans espérer, et je ne me promets Aucun loyer du feu qu'on n'éteindra jamais. L'amour devient servile, alors qu'il se propose Le seul espoir d'un prix pour son but et sa cause. VAR. Ne déguisons plus rien, mon Philiste; il est temps Qu'un aveu mutuel rende nos feux contents.
Ne donne à mes amours qu'une railleuse atteinte'.
Quelle façon étrange! En me voyant brûler, Tu t'obstines encore à le dissimuler;
Tu veux qu'encore un coup je me donne la honte 2 De te dire à quel point l'amour pour toi me dompte: Tu le vois cependant avec pleine clarté,
Et veux douter encor de cette vérité?
Oui, j'en doute, et l'excès du bonheur qui m'accable Me surprend, me confond, me paroît incroyable. Madame, est-il possible? et me puis-je assurer D'un bien à quoi mes vœux n'oseroient aspirer?
Cesse de me tuer par cette défiance.
Qui pourroit des mortels troubler notre alliance? Quelqu'un a-t-il à voir dessus mes actions, Dont j'aie à prendre l'ordre en mes affections 3? Veuve, et qui ne dois plus de respect à personne, Ne puis-je disposer de ce que je te donne?
VAR. Ne donne à mes amours qu'une moqueuse atteinte. 1 VAR. Tu veux qu'encore un coup je devienne effrontée, Pour te dire à quel point mon ardeur est montée : Tu la vois cependant avec pleine clarté, Et tu doutes encor de cette vérité?
Oui, j'en doute, et l'excès de ma béatitude
Est le seul fondement de mon incertitude.
Ma reine, est-il possible? et me puis-je assurer.
3 VAR. Qui prescrive une règle à mes affections?
Puis-je pas disposer de ce que je te donne?
N'ayant jamais été digne d'un tel honneur, J'ai de la peine encore à croire mon bonheur.
Pour t'obliger enfin à changer de langage, Si ma foi ne suffit que je te donne en gage, Un bracelet, exprès tissu de mes cheveux, T'attend pour enchaîner et ton bras et tes vœux; Viens le querir, et prendre avec moi la journée Qui termine bientôt notre heureux hyménée.
C'est dont vos seuls avis se doivent consulter: Trop heureux, quant à moi, de les exécuter!
Vous comptez sans votre hôte, et vous pourrez apprendre Que ce n'est pas sans moi que ce jour se doit prendre. De vos prétentions Alcidon averti '
Vous fera, s'il m'en croit, un dangereux parti. Je lui vais bien donner de plus sûres adresses Que d'amuser Doris par de fausses caresses; Aussi bien, m'a-t-on dit, à beau jeu beau retour. Au lieu de la duper avec ce feint amour, Elle-même le dupe, et, lui rendant son change", Lui promet un amour qu'elle garde à Florange : Ainsi, de tous côtés primé par un rival, Ses affaires sans moi se porteroient fort mal.
VAR. Alcidon, averti de ce que vous brassez,
Va rendre en un moment vos desseins renversés. 2 VAR. Elle-même le dupe, et, par un contre-échange, En écoutant ses vœux, reçoit ceux de Florange.
Adieu, mon cher souci; sois sûre que mon ame Jusqu'au dernier soupir conservera sa flamme.
Alcidon, cet adieu me prend au dépourvu, Tu ne fais que d'entrer; à peine t'ai-je vu: C'est m'envier trop tôt le bien de ta présence. De grace, oblige-moi d'un peu de complaisance; Et, puisque je te tiens, souffre qu'avec loisir Je puisse m'en donner un peu plus de plaisir.
Je t'explique si mal le feu qui me consume, Qu'il me force à rougir d'autant plus qu'il s'allume. Mon discours s'en confond, j'en demeure interdit; Ce que je ne puis dire est plus que je n'ai dit: J'en hais les vains efforts de ma langue grossière,
'Scène d'un très bon comique. (P.)
1 VAR. Hé, de grace, ma vie, un peu de complaisance; Tandis que je te tiens, souffre qu'avec loisir
En peux-tu recevoir de l'entretien d'un homme Qui t'explique si mal le feu qui le consomme, Dont le discours est plat, et pour tout compliment N'a jamais que ce mot: Je t'aime infiniment? J'ai honte auprès de toi que ma langue grossière Manque d'expression, et non pas de matière.
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