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ACTE SECOND.

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SCÈNE I.

PHILISTE.

Secrets tyrans de ma
ma pensée,
Respect, amour, de qui les lois
D'un juste et fâcheux contre-poids
La tiennent toujours balancée;
Que vos mouvements opposés',
Vos traits, l'un par l'autre brisés,
Sont puissants à s'entre-détruire!

Que l'un m'offre d'espoir! que l'autre a de rigueur!
Et, tandis que tous deux tâchent à me séduire,
Que leur combat est rude au milieu de mon cœur!

Moi-même je fais mon supplice

A force de leur obéir 2;

VAR. Vos mouvements irrésolus

Ont trop de flux et de reflux :

L'un m'éléve, et l'autre m'atterre;

L'un nourrit mon espoir, et l'autre ma langueur.
N'avez-vous point ailleurs où vous faire la guerre,
Sans ainsi vous combattre aux dépens de mon cœur?

2 VAR. A force de vous obéir;

Mais le moyen de vous hair?

Vous venez tous deux de Clarice.

Mais le moyen de les haïr? Ils viennent tous deux de Clarice; Ils m'en entretiennent tous deux, Et forment ma crainte et mes vœux Pour ce bel œil qui les fait naître ; Et de deux flots divers mon esprit agité, Plein de glace, et d'un feu qui n'oseroit paroître, Blâme sa retenue et sa témérité.

Mon ame, dans cet esclavage,
Fait des vœux qu'elle n'ose offrir;
J'aime seulement pour souffrir;
J'ai trop et trop peu de courage:
Je vois bien que je suis aimé,
Et que l'objet qui m'a charmé

Vit en de pareilles contraintes.

Mon silence à ses feux fait tant de trahison, Qu'impertinent captif de mes frivoles craintes, Pour accroître son mal, je fuis ma guérison.

Elle brûle, et, par quelque signe
Que son cœur s'explique avec moi',

Vous m'entretenez toutes deax,
Et formez ma crainte et mes vœux
Pour ce bel œil qui vous fait naître.
VAR. Qu'elle me découvre son cœur,

Je le prends pour un trait moqueur,
D'autant que je m'en trouve indigne.

Avouât des flammes si basses;

Vois

Je doute de ce que je voi,
Parceque je m'en trouve indigne.
Espoir, adieu; c'est trop flatté:
Ne crois pas que cette beauté
Daigne avouer de telles flammes;

Et, dans le juste soin qu'elle a de les cacher, que, si même ardeur embrase nos deux ames, Sa bouche à son esprit n'ose le reprocher.

Pauvre amant, vois par son silence
Qu'elle t'en commande un égal,
Et que le récit de ton mal

Te convaincroit d'une insolence.
Quel fantasque raisonnement!

Et qu'au milieu de mon tourment
Je deviens subtil à ma peine!

Pourquoi m'imaginer qu'un discours amoureux
Par un contraire effet change l'amour en haine',
Et, malgré mon bonheur, me rende malheureux?

Mais j'aperçois Clarice. O dieux ! si cette belle
Parloit autant de moi que je m'entretiens d'elle!
Du moins si sa nourrice a soin de nos amours,
C'est de moi qu'à présent doit être leur discours.
Une humeur curieuse avec chaleur m'emporte 2

Et, par le soin exact qu'elle a de les cacher,

Apprends que si Philiste est en ses bonnes graces.
VAR. Par un certain effet change un amour en haine.
VAR. Je ne sais quelle humeur curieuse m'emporte

A me couler sans bruit dans la prochaine porte,

A me couler sans bruit derrière cette porte,

Pour écouter de là, sans en être

aperçu,

En quoi mon fol espoir me peut avoir déçu.

Allons. Souvent l'amour ne veut qu'une bonne heure:
Jamais l'occasion ne s'offrira meilleure,

Et peut-être qu'enfin nous en pourrons tirer
Celle que nous cherchons pour nous mieux déclarer.

SCÈNE II.

CLARICE, LA NOURRICE.

CLARICE.

Tu me veux détourner d'une seconde flamme
Dont je ne pense pas qu'autre que toi me bláme.
Être veuve à mon âge, et toujours déplorer'
La perte d'un mari que je puis réparer;

Refuser d'un amant ce doux nom de maîtresse;
N'avoir que des mépris pour les vœux qu'il m'adresse;
Le voir toujours languir dessous ma dure loi:
Cette vertu, nourrice, est trop haute pour moi.

LA NOURRICE.

Madame, mon avis au vôtre ne résiste

Suivrons-nous cette ardeur? Suivons à la bonne heure:

Celle que notre amour cherche à se déclarer.

VAR. Être veuve à mon âge, et toujours soupirer
La perte d'un mari que je peux réparer.

Qu'alors que votre ardeur se porte vers Philiste'. Aimez, aimez quelqu'un; mais comme à l'autre fois Qu'un lieu digne de vous arrête votre choix.

CLARICE.

Brise là ce discours dont mon amour s'irrite;
Philiste n'en voit point qui le passe en mérite.

LA NOURRICE.

Je ne remarque en lui rien que de fort commun, Sinon que plus qu'un autre il se rend importun2.

CLARICE.

Que ton aveuglement en ce point est extrême!
Et que tu connois mal et Philiste et moi-même,
Si tu crois que l'excès de sa civilité
Passe jamais chez moi pour importunité!

LA NOURRICE.

Ce cajoleur rusé, qui toujours vous assiége,
A tant fait qu'à la fin vous tombez dans son piége.

CLARICE.

Ce cavalier parfait, de qui je tiens le cœur,
A tant fait que du mien il s'est rendu vainqueur.

LA NOURRICE.

Il aime votre bien, et non votre personne.

CLARICE.

Son vertueux amour l'un et l'autre lui donne :

Ce m'est trop d'heur encor, dans le peu que je vaux, Qu'un peu de bien que j'ai supplée à mes défauts.

LA NOURRICE.

La mémoire d'Alcandre, et le rang qu'il vous laisse,

■ VAR. Qu'en tant que votre ardeur se porte vers Philiste.

2 VAR. Sinon qu'il est un peu plus qu'un autre importun.

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