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PHILISTE.

Je ne le puis nier, puisqu'en parlant de vous ',
Sur les vôtres mes yeux se portoient à tous coups,
Et s'en alloient chercher sur un si beau visage
Mille et mille raisons d'un éternel hommage.

CLARICE.

O la subtile ruse! ô l'excellent détour!

Sans doute une des deux te donne de l'amour;
Mais tu le veux cacher.

PHILISTE.

Que dites-vous, madame"?

Un de ces deux objets captiveroit mon ame!

Jugez-en mieux, de grace; et croyez que mon cœur Choisiroit pour se rendre un plus puissant vainqueur.

CLARICE.

Tu tranches du fâcheux. Belinde et Chrysolite

Manquent donc, à ton gré, d'attraits et de mérite,
Elles dont les beautés captivent mille amants!

PHILISTE.

Tout autre trouveroit leurs visages charmants 3,
Et j'en ferois état, si le ciel m'eût fait naître

VAR. Je ne le peux nier, puisqu'en parlant de vous,

2 VAR.

Et s'en alloient chercher sur ce visage d'ange
Mille sujets nouveaux d'éternelle louange.

De l'amour! moi, madame?
Que pour une des deux l'amour m'entrât dans l'ame?
Croyez-moi, s'il vous plaît, que mon affection

Voudroit pour s'enflammer plus de perfection.

3 VAR. Quelque autre trouveroit leurs visages charmants.

D'un malheur assez grand pour ne vous pas connoître;
Mais l'honneur de vous voir, que vous me permettez,
Fait que je n'y remarque aucunes raretés;

Et, plein de votre idée, il ne m'est pas possible'
Ni d'admirer ailleurs, ni d'être ailleurs sensible.

CLARICE.

On ne m'éblouit pas à force de flatter:
Revenons au propos que tu veux éviter.

Je veux savoir des deux laquelle est ta maîtresse;
Ne dissimule plus, Philiste, et me confesse...

PHILISTE.

Que Chrysolite et l'autre, égales toutes deux,
N'ont rien d'assez puissant pour attirer mes vœux.
Si, blessé des regards de quelque beau visage,
Mon cœur de sa franchise avoit perdu l'usage...

CLARICE.

Tu serois assez fin pour bien cacher ton jeu.

PHILISTE.

C'est ce qui ne se peut: l'amour est tout de feu,
Il éclaire en brûlant, et se trahit soi-même.
Un esprit amoureux, absent de ce qu'il aime2,
Par sa mauvaise humeur fait trop voir ce qu'il est;
Toujours morne, rêveur, triste, tout lui déplaît;
A tout autre propos qu'à celui de sa flamme,
Le silence à la bouche, et le chagrin en l'ame,

VAR. Vu que ce qui seroit de soi-même admirable
A peine auprès de vous demeure supportable.
VAR. L'esprit d'un amoureux absent de ce qu'il aime.

Son œil semble à regret nous donner ses regards,
Et les jette à-la-fois souvent de toutes parts,
Qu'ainsi sa fonction confuse ou mal guidée,
Se ramene en soi-même, et ne voit qu'une idée;
Mais auprès de l'objet qui possède son cœur,
Ses esprits ranimés reprennent leur vigueur:
Gai, complaisant, actif...

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Que, par ces actions que je viens de décrire,

Vous, de qui j'ai l'honneur chaque jour d'approcher, Jugiez pour quel objet l'amour m'a su toucher.

CLARICE.

Pour faire un jugement d'une telle importance,
Il faudroit plus de temps. Adieu; la nuit s'avance.
Te verra-t-on demain?

PHILISTE.

Madame, en doutez-vous? Jamais commandements ne me furent si doux : Loin de vous, je n'ai rien qu'avec plaisir je voie'; Tout me devient fâcheux, tout s'oppose à ma joie; Un chagrin invincible accable tous mes sens.

VAR. Puisque loin de vos yeux je n'ai rien qui me plaise,
Tout me devient fâcheux, tout s'oppose à mon aise.
Un chagrin éternel triomphe de mes sens.

CLARICE.

Si, comme tu disois, dans le cœur des absents

Ce compliment n'est bon que vers une maîtresse.

CLARICE.

Si, comme tu le dis, dans le cœur des absents
C'est l'amour qui fait naître une telle tristesse,

Ce compliment n'est bon qu'auprès d'une maîtresse.

PHILISTE.

Souffrez-le d'un respect qui produit chaque jour
Pour un sujet si haut les effets de l'amour.

SCÈNE VI.

CLARICE.

Las! il m'en dit assez, si je l'osois entendre;
Et ses desirs aux miens se font assez comprendre ;
Mais pour nous déclarer une si belle ardeur,
L'un est muet de crainte, et l'autre de pudeur.
Que mon rang me déplaît ! que mon trop de fortune,
Au lieu de m'obliger, me choque et m'importune!
Égale à mon Philiste, il m'offriroit ses vœux,
Je m'entendrois nommer le sujet de ses feux,
Et ses discours pourroient forcer ma modestie
A l'assurer bientôt de notre sympathie;
Mais le peu de rapport de nos conditions
Ote le nom d'amour à ses submissions;
Et, sous l'injuste loi de cette retenue,
Le reméde me manque, et mon mal continue.
Il me sert en esclave, et non pas en amant,
Tant son respect s'oppose à mon contentement1!

VAR. Tant mon grade s'oppose à mon contentement.

Ah! que ne devient-il un peu plus téméraire!
Que ne s'expose-t-il au hasard de me plaire!
Amour, gagne à la fin ce respect ennuyeux,
Et rends-le moins timide, ou l'ôte de mes yeux.

FIN DU PREMIER ACTE.

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