Page images
PDF
EPUB

Doris, et celle de la même Doris avec Florange, qui ne paroît point. Le plus beau de leurs entretiens est en équivoques, et en propositions dont ils te laissent les conséquences à tirer; si tu en pénétres bien le sens, l'artifice ne t'en déplaira point. Pour l'ordre de la pièce, je ne l'ai mis ni dans la sévérité des régles, ni dans la liberté, qui n'est que trop ordinaire sur le théâtre françois : l'une est trop rarement capable de beaux effets, et on les trouve à trop bon marché dans l'autre, qui prend quelquefois tout un siècle pour la durée de son action, et toute la terre habitable pour le lieu de la scène. Cela sent un peu trop son abandon, messéant à toute sorte de poëme, et particulièrement aux dramatiques, qui ont toujours été les plus réguliers. J'ai donc cherché quelque milieu pour la règle du temps, et me suis persuadé que, la comédie étant disposée en cinq actes, cinq jours consécutifs n'y seroient point mal employés. Ce n'est pas que je méprise l'antiquité; mais, comme on épouse malaisément des beautés si vieilles, j'ai cru lui rendre assez de respect de lui partager mes ouvrages; et de six pièces de théâtre qui me sont échappées 1, en ayant réduit trois dans la contrainte qu'elle nous a prescrite, je n'ai point fait de conscience d'alonger un peu vingt et quatre heures aux trois autres. Pour l'unité de lieu et d'action, ce sont deux règles que j'observe inviolablement; mais j'interprète la dernière à ma

les

En 1634, Corneille avoit déja composé Mélite, Clitandre, la Veuve, la Galerie du Palais, la Suivante, et la Place royale. Cette dernière comédie ne fut jouée qu'en 1635.

mode, et la première, tantôt je la resserre à la seule grandeur du théâtre, et tantôt je l'étends jusqu'à toute une ville, comme en cette pièce. Je l'ai poussée dans le Clitandre jusques aux lieux où l'on peut aller dans les vingt et quatre heures; mais, bien que j'en pusse trouver de bons garants et de grands exemples dans les vieux et nouveaux siècles, j'estime qu'il n'est que meilleur de se passer de leur imitation en ce point. Quelque jour je m'expliquerai davantage sur ces matières; mais il faut attendre l'occasion d'un plus grand volume: cette préface n'est déja que trop longue pour une comédie.

A M. CORNEILLE.

ÉLÉGIE'.

Pour te rendre justice, autant que pour te plaire,
Je veux parler, Corneille, et ne me puis plus taire;
Juge de ton mérite, à qui rien n'est égal,

Par la confession de ton propre rival.

Pour un même sujet même desir nous presse;

Nous poursuivons tous deux une même maîtresse :
La gloire, cet objet des belles volontés,
Préside également dessus nos libertés.
Comme toi, je la sers, et personne ne doute
Des veilles et des soins que cette ardeur me coûte;
Mon espoir toutefois est décru chaque jour
Depuis que je t'ai vu prétendre à son amour.
Je n'ai point le trésor de ces douces paroles
Dont tu lui fais la cour, et dont tu la cajoles;
Je vois que ton esprit, unique de son art,
A des naïvetés plus belles que le fard;
Que tes inventions ont des charmes étranges,
Que leur moindre incident attire des louanges,
Que par toute la France on parle de ton nom,
Et qu'il n'est plus d'estime égale à ton renom.

* Cet hommage de Rotrou se trouve en tête de l'édition de 1634, où il est accompagné de vingt-cinq autres pièces de vers en l'honneur de Corneille, et qui lui furent toutes adressées par les poëtes du temps, à l'occasion de sa Veuve.

Depuis ma muse tremble et n'est plus si hardie: Une jalouse peur l'a long-temps refroidie; Et depuis, cher rival, je serois rebuté De ce bruit spécieux dont Paris m'a flatté, Si cet ange mortel, qui fait tant de miracles, Et dont tous les discours passent pour des oracles, Ce fameux cardinal, l'honneur de l'univers, N'aimoit ce que je fais, et n'écoutoit mes vers. Sa faveur m'a rendu mon humeur ordinaire; La gloire où je prétends est l'honneur de lui plaire; Et lui seul, réveillant mon génie endormi, Est cause qu'il te reste un si foible ennemi. Mais la gloire n'est pas de ces chastes maîtresses Qui n'osent en deux lieux répandre leurs caresses. Cet objet de nos vœux nous peut obliger tous, Et faire mille amants, sans en faire un jaloux: Tel je te sais connoître et te rendre justice; Tel on me voit par-tout adorer ta Clarice. Aussi rien n'est égal à ses moindres attraits ; Tout ce que j'ai produit cède à ses moindres traits. Toute veuve qu'elle est, de quoi que tu l'habilles, Elle ternit l'éclat de nos plus belles filles. J'ai vu trembler Silvie, Amaranthe et Phylis; Céliméne a changé, ses attraits sont pâlis; Et tant d'autres beautés que l'on a tant vantées, Sitôt qu'elle a paru, se sont épouvantées. Adieu; fais-nous souvent des enfants si parfaits, Et que ta bonne humeur ne se lasse jamais.

DE ROTROU.

ARGUMENT.

Alcidon, amoureux de Clarice, veuve d'Alcandre et maîtresse de Philiste, son particulier ami, de peur qu'il ne s'en aperçût, feint d'aimer sa sœur Doris, qui, ne s'abusant point par ses caresses, consent au mariage de Florange que sa mère lui propose. Ce faux ami, sous prétexte de se venger de l'affront que lui faisoit ce mariage, fait consentir Célidan à enlever Clarice en sa faveur, et ils la mènent ensemble à un château de Célidan. Philiste, abusé des faux ressentiments de son ami, fait rompre le mariage de Florange: sur quoi Célidan conjure Alcidon de reprendre Doris, et rendre Clarice à son amant. Ne l'y pouvant résoudre, il soupçonne quelque fourbe de sa part, et fait si bien, qu'il tire les vers du nez à la nourrice de Clarice, qui avoit toujours eu une intelligence avec Alcidon, et lui avoit même facilité l'enlèvement de sa maîtresse; ce qui le porte à quitter le parti de ce perfide: de sorte que, ramenant Clarice à Philiste, il obtient de lui en récompense sa sœur Doris.

« PreviousContinue »