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A MADAME

DE LA MAISON-FORT.

MADAME,

Le bon accueil qu'autrefois cette Veuve a reçu de vous l'oblige à vous en remercier, et l'enhardit à vous demander la faveur de votre protection. Étant exposée aux coups de l'envie et de la médisance, elle n'en peut trouver de plus assurée que celle d'une personne sur qui ces deux monstres n'ont jamais eu de prise. Elle espère que vous ne la méconnoîtrez pas, pour fêtre dépouillée de tous autres ornements que les siens, et que vous la traiterez aussi bien qu'alors que

la grace de la représentation la mettoit en son jour. Pourvu qu'elle vous puisse divertir encore une heure, elle est trop contente, et se bannira sans regret du théâtre pour avoir une place dans votre cabinet. Elle est honteuse de vous ressembler si peu, et a de grands sujets d'appréhender qu'on ne l'accuse de peu de jugement de se présenter devant vous, dont les perfections la feront paroître d'autant plus imparfaite; mais quand elle considère qu'elles sont en un si haut point, qu'on n'en peut avoir de légères teintures sans des priviléges tout particuliers du ciel, elle se rassure entièrement, et n'ose plus craindre qu'il se rencontre des esprits assez injustes pour lui imputer à défaut le manque des choses qui sont au-dessus des forces de la nature: en effet, madame, quelque difficulté que vous fassiez de croire aux miracles, il faut que vous en reconnoissiez en vous-même, ou que vous ne vous connoissiez pas, puisqu'il est tout vrai que des vertus et des qualités si peu communes que les vôtres ne sauroient avoir d'autre nom. Ce n'est pas mon dessein d'en faire ici les éloges; outre

qu'il seroit superflu de particulariser ce que tout le monde sait, la bassesse de mon discours profaneroit des choses si relevées. Ma plume est trop foible pous entreprendre de voler si haut; c'est assez pour elle de vous rendre mes devoirs, et de vous proteste, avec plus de vérité que d'éloquence, que je serai toute ma vie,

MADAME,

Votre très humble et très

obeissant serviteur,

CORNEILLE.

AU LECTEUR.

que

Si tu n'es homme à te contenter de la naïvete du style et de la subtilité de l'intrique, je ne t'invite point à la lecture de cette pièce: son ornement n'est pas dans l'éclat des vers. C'est une belle chose de les faire puissants et majestueux : cette pompe ravit d'ordinaire les esprits, et pour le moins les éblouit; mais il faut que les sujets en fassent naître les occasions; autrement, c'est en faire parade mal-àpropos, et, pour gagner le nom de poëte, perdre celui de judicieux. La comédie n'est qu'un portrait de nos actions et de nos discours, et la perfection des portraits consiste en la ressemblance. Sur cette maxime, je tâche de ne mettre en la bouche de mes acteurs que ce que diroient vraisemblablement en leur place ceux qu'ils représentent, et de les faire discourir en honnêtes gens, et non pas en auteurs. Ce n'est qu'aux ouvrages où le poëte parle qu'il faut parler en poëte: Plaute n'a pas écrit comme Virgile, et ne laisse pas d'avoir bien écrit. Ici donc tu ne trouveras en beaucoup d'endroits qu'une prose rimée, peu de scènes toutefois sans quelque raisonnement assez véritable, et par-tout une conduite assez industrieuse. Tu y reconnoîtras trois sortes d'amours, aussi extraordinaires au théâtre qu'ordinaires dans le monde; celle de Philiste et Clarice, d'Alcidon et

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