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Qu'il est peu de lumière en nos entendements!
Et que d'incertitude en nos raisonnements '!
Qui voudra désormais se fie2 aux impostures
Qu'en notre jugement forment les conjectures:
Tu suffis pour apprendre à la postérité
Combien la vraisemblance a peu de vérité.
Jamais jusqu'à ce jour la raison en déroute
N'a conçu tant d'erreur avec si peu de doute 3;
Jamais par des soupçons si faux et si pressants
On n'a jusqu'à ce jour convaincu d'innocents.
J'en suis honteux, Clitandre, et mon ame confuse
De trop de promptitude en soi-même s'accuse.
Un roi doit se donner, quand il est irrité,
Ou plus de retenue, ou moins d'autorité.
Perds-en le souvenir; et pour moi, je te jure
Qu'à force de bienfaits j'en répare l'injure.

CLITANDRE.

Que votre majesté, sire, n'estime pas

Qu'il faille m'attirer par de nouveaux appâts.
L'honneur de vous servir m'apporte assez de gloire;
Et je perdrois le mien, si quelqu'un pouvoit croire
Que mon devoir penchât au refroidissement,
Sans le flatteur espoir d'un agrandissement.
Vous n'avez exercé qu'une juste colère :

On est trop criminel quand on peut vous déplaire;

VAR. Et que d'incertitude en mes raisonnements!

'Les éditeurs modernes, en mettant se fier, ont fait tout à-la-fois

un contre-sens et un mauvais vers.

3 VAR. N'a conçu tant d'erreur avecque moins de doute.

Et, tout chargé de fers, ma plus forte douleur
Ne s'en osa jamais prendre qu'à mon malheur.

FLORIDAN.

Seigneur, moi qui connois le fond de son courage',
Et qui n'ai jamais vu de fard en son langage,
Je tiendrois à bonheur que votre majesté
M'acceptât pour garant de sa fidélité.

ALCANDRE.

Ne nous arrêtons plus sur la reconnoissance
Et de mon injustice, et de son innocence ;
Passons aux criminels. Toi dont la trahison
A fait si lourdement trébucher ma raison 2,
Approche, scélérat! Un homme de courage
Se met avec honneur en un tel équipage;
Attaque le plus fort un rival plus heureux ;
Et, présumant encor cet exploit dangereux,
A force de présents et d'infames pratiques,
D'un autre cavalier corrompt les domestiques,
Prend d'un autre le nom, et contrefait son seing,
Afin qu'exécutant son perfide dessein,
Sur un homme innocent tombent les conjectures?
Parle, parle, confesse, et préviens les tortures.

PYMANTE.

Sire, écoutez-en donc la pure

vérité.

Votre seule fayeur a fait ma lâcheté,

VAR. Monsieur, moi qui connois le fond de son courage.

2 VAR. A fait si lourdement chopper notre raison,

Se met souvent (non pas?) en un tel équipage.

Vous dis-je, et cet objet dont l'amour me transporte'.
L'honneur doit pouvoir tout sur les gens de ma sorte;
Mais recherchant la mort de qui vous est si cher,
Pour en avoir le fruit il me falloit cacher;

Reconnu pour l'auteur d'une telle surprise,
Le moyen d'approcher de vous ou de Dorise?

ALCANDRE.

Tu dois aller plus outre, et m'imputer encor
L'attentat sur mon fils comme sur Rosidor:
Car je ne touche point à Dorise outragée;
Chacun, en te voyant, la voit assez vengée,
Et coupable elle-même, elle a bien mérité
L'affront qu'elle a reçu de ta témérité.

PYMANTE.

Un crime attire l'autre, et, de peur d'un supplice,
On tâche, en étouffant ce qu'on en voit d'indice,
De paroître innocent à force de forfaits.

Je ne suis criminel sinon manque d'effets,

Et, sans l'âpre rigueur du sort qui me tourmente, Vous pleureriez le prince, et souffririez Pymante. que tardez-vous plus? j'ai tout dit: punissez.

Mais

ALCANDRE.

Est-ce là le regret de tes crimes passés?
Otez-le-moi d'ici; je ne puis voir sans honte

VAR. Vous dis-je, et cet objet dont l'ardeur me consomme.
Je sais ce que l'honneur vouloit d'un gentilhomme;
Mais, recherchant la mort de qui nous est si cher,
Pour en avoir les fruits il me falloit cacher.

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Que de tant de forfaits il tient si peu de compte:
Dites à mon conseil que, pour le châtiment,
J'en laisse à ses avis le libre jugement;

Mais qu'après son arrêt je saurai reconnoître
L'amour que vers son prince il aura fait paroître.
Viens çà, toi, maintenant, monstre de cruauté,
Qui joins l'assassinat à la déloyauté',
Détestable Alecton, que la reine déçue
Avoit naguère au rang de ses filles reçue,
Quel barbare, ou plutôt quelle peste d'enfer
Se rendit ton complice et te donna ce fer??

DORISE.

L'autre jour, dans ces bois trouvé par aventure,
Sire, il donna sujet à toute l'imposture;

Mille jaloux serpents qui me rongeoient le sein
Sur cette occasion formèrent mon dessein:

Je le cachai dès-lors.

FLORIDAN.

Il est tout manifeste

3

Que ce fer n'est enfin qu'un misérable reste 3
Du malheureux duel où le triste Arimant
Laissa son corps sans ame, et Daphné sans amant.
Mais, quant à son forfait, un ver de jalousie
Jette souvent notre ame en telle frénésie,
Que la raison, qu'aveugle un plein emportement 4,

VAR. Qui veux joindre le meurtre à la déloyauté.

1 VAR. Se rendit ton complice et te bailla ce fer?

3 VAR. Que ce fer n'est sinon un misérable reste
Du malheureux duel où le pauvre Arimant.
4 VAR. Que la raison, tombée en un aveuglement.

Laisse notre conduite à son déréglement;

Lors tout ce qu'il produit mérite qu'on l'excuse.

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Seigneur, quoi qu'il en soit, un fils qu'elle vous rend', Sous votre bon plaisir, sa défense entreprend; Innocente ou coupable, elle assura ma vie.

ALCANDRE.

Ma justice en ce cas la donne à ton envie;
Ta prière obtient même avant que demander
Ce qu'aucune raison ne pouvoit t'accorder.
Le pardon t'est acquis: relève-toi, Dorise,
Et va dire par-tout, en liberté remise,
Que le prince aujourd'hui te préserve à-la-fois
Des fureurs de Pymante et des rigueurs des lois.

DORISE.

Après une bonté tellement excessive,

Puisque votre clémence ordonne que je vive,
Permettez désormais, sire, que mes desseins
Prennent des mouvements plus réglés et plus sains;
Souffrez que, pour pleurer mes actions brutales,
Je fasse ma retraite avecque les vestales,
Et qu'une criminelle indigne d'être au jour 2
Se puisse renfermer en leur sacré séjour.

FLORIDAN.

Te bannir de la cour après m'être obligée,

VAR. Monsieur, quoi qu'il en soit, un fils qu'elle vous rend.

2 VAR. Et qu'ainsi je renferme en leur sacré séjour

Une qui ne dut pas seulement voir le jour.

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