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Et qui vous figurez, après tant de longueurs,
Avoir droit sur les corps dont vous tenez les cœurs,
En est-il parmi vous de qui l'ame contente
Goûte plus de plaisir que moi dans son attente?
En est-il parmi vous de qui l'heur à venir
D'un espoir mieux fondé se puisse entretenir?
Mon esprit, que captive un objet adorable,
Ne l'éprouva jamais autre que favorable.
J'ignorerois encor ce que c'est que mépris,
Si le sort d'un rival ne me l'avoit appris '.
Je te plains toutefois, Clitandre; et la colère
D'un grand roi qui te perd me semble trop sévère.
Tes desseins par l'effet n'étoient que trop punis2;
Nous voulant séparer, tu nous as réunis.
Il ne te falloit point de plus cruels supplices
Que de te voir toi-même auteur de nos délices,
Puisqu'il n'est pas à croire, après ce lâche tour3,
Que le prince ose plus traverser notre amour.
Ton crime t'a rendu désormais trop infame
Pour tenir ton parti sans s'exposer au blâme :
On devient ton complice à te favoriser.

1 Vers supprimés :

Les flammes de Caliste à mes flammes répondent;
Je ne fais point de vœux que les siens ne secondent;
Il n'est point de souhaits qui ne m'en soient permis,
Ni de contentements qui ne m'en soient promis.
Clitandre, qui jamais n'attira que sa haine,
Ne peut plus m'opposer le prince, ni la reine :
Si mon heur, de sa part, avoit quelque défaut,
Avec sa tête on va l'ôter sur l'échafaud.

2 VAR. Tes desseins du succès étoient assez punis.

3 VAR. Vu qu'il n'est pas à croire, après ce lâche tour.

Mais hélas ! mes pensers, qui vous vient diviser?
Quel plaisir de vengeance à présent vous engage?
Faut-il qu'avec Caliste un rival vous partage?
Retournez, retournez vers mon unique bien;
Que seul dorénavant il soit votre entretien ;
Ne vous repaissez plus que de sa seule idée;
Faites-moi voir la mienne en son ame gardée:
Ne vous arrêtez pas à peindre sa beauté,
C'est par où mon esprit est le moins enchanté;
Elle servit d'amorce à mes desirs avides,
Mais ils ont su trouver des objets plus solides':
Mon feu qu'elle alluma fût mort au premier jour,
S'il n'eût été nourri d'un réciproque amour.

Oui, Caliste, et je veux toujours qu'il m'en souvienne,
J'aperçus aussitôt ta flamme que la mienne ;
L'amour apprit ensemble à nos cœurs à brûler;
L'amour apprit ensemble à nos yeux à parler ;
Et sa timidité lui donna la prudence

De n'admettre que nous en notre confidence:
Ainsi nos passions se déroboient à tous;
Ainsi nos feux secrets n'ayant point de jaloux 2...
Mais qui vient jusqu'ici troubler mes rêveries?

VAR. Mais il leur faut depuis des objets plus solides.

VAR. Ainsi nos feux secrets n'avoient point de jaloux,
Vers supprim. Tant que leur sainte ardeur, plus forte devenue,
Voulut un peu de mal à tant de retenue.
Lors on nous vit quitter ces ridicules soins,
Et nos petits larcins souffrirent ces témoins.
Si je voulois baiser ou tes yeux ou ta bouche,
Tu savois dextrement faire un peu la farouche,
Et, me laissant toujours de quoi me prévaloir,

SCÈNE III.

ROSIDOR, CALISTE.

CALISTE.

Celle qui voudroit voir tes blessures guéries,
Celle...

ROSIDOR.

Ah! mon heur, jamais je n'obtiendrois sur moi De pardonner ce crime à toute autre qu'à toi. De notre amour naissant la douceur et la gloire De leur charmante idée occupoient ma mémoire ; Je flattois ton image, elle me reflattoit; Je lui faisois des vœux, elle les acceptoit;

Montrer également le craindre et le vouloir.

Depuis, avec le temps, l'amour s'est fait le maître;
Sans aucune contrainte il a voulu paroître :

Si bien que plus nos cœurs perdoient leur liberté,

Et plus on en voyoit en notre privauté.

Ainsi, dorénavant, après la foi donnée,

Nous ne respirons plus qu'un heureux hyménée,
Et, ne touchant encor ses droits que du penser,
Nos feux à tout le reste osent se dispenser:

VAR. Hors ce point, tout est libre à l'ardeur qui nous presse.
(Caliste entre, et s'assied sur son lit.)

SCÈNE III.

CALISTE, ROSIDOR.

CALISTE.

Que diras-tu, mon cœur, de voir que ta maîtresse

Te vient effrontément trouver jusques au lit?

ROSIDOR.

Que dirai-je? sinon que, pour un tel délit,

Je formois des desirs, elle en aimoit l'hommage.
La désavoueras-tu, cette flatteuse image?
Voudras-tu démentir notre entretien secret?
Seras-tu plus mauvaise enfin que ton portrait?

CALISTE.

Tu pourrois de sa part te faire tant promettre,
Que je ne voudrois pas tout-à-fait m'y remettre;
Quoiqu'à dire le vrai je ne sais pas trop bien
En quoi je dédirois ce secret entretien,
Si ta pleine santé me donnoit lieu de dire
Quelle borne à tes vœux je puis et dois prescrire.
Prends soin de te guérir; et les miens plus contents...
Mais je te le dirai quand il en sera temps.

ROSIDOR.

Cet énigme enjoué n'a point d'incertitude

On ne m'échappe à moins de trois baisers d'amende.

CALISTE.

La gentille façon d'en faire la demande!

ROSIDOR.

Mon regret, dans ce lit qu'on m'oblige à garder,
C'est de ne pouvoir plus prendre sans demander;
Autrement, mon souci, tu sais comme j'en use.

CALISTE.

En effet, il est vrai, de peur qu'on te refuse,
Sans rien dire souvent et par force tu prends....

ROSIDOR.

Ce que, forcée ou non, de bon cœur tu me rends.

CALISTE.

Tout beau, si quelquefois je souffre et je pardonne

Le trop de liberté que ta flamme se donne,

C'est sous condition de n'y plus revenir.

ROSIDOR.

Si tu me rencontrois d'humeur à la tenir,

Tu chercherois bientôt moyen de t'en dédire.

Qui soit propre à donner beaucoup d'inquiétude;
Et, si j'ose entrevoir dans son obscurité,

Ma guérison importe à plus qu'à ma santé.
Mais dis tout, ou du moins souffre que je devine,
Et te die à mon tour ce que je m'imagine.

CALISTE.

Tu dois, par complaisance au peu que j'ai d'appas, Feindre d'entendre mal ce que je ne dis

pas,

Et ne point m'envier un moment de délices

Que fait goûter l'amour en ses petits supplices.
Doute donc, sois en peine, et montre un cœur gêné
D'une amoureuse peur d'avoir mal deviné;

Espère, mais hésite; hésite, mais aspire :
Attends de ma bonté qu'il me plaise tout dire,
Et, sans en concevoir d'espoir trop affermi,

Ton sexe, qui défend ce que plus il desire,

Voit fort à contre-cœur....

CALISTE.

Qu'on lui désobéit,

Et que notre foiblesse, au plus fort, se trahit.

ROSIDOR.

Ne dissimulons point, est-il quelque avantage
Qu'avec nous, au baiser, ton sexe ne partage?

CALISTE.

Vos importunités le font assez juger.

ROSIDOR.

Nous ne nous en servons que pour vous obliger :
C'est par où notre ardeur supplée à votre honte;
Mais l'un et l'autre y trouve également son compte.
Et toutes vous dussiez prendre, en un jeu si doux,
Comme même plaisir, même intérêt que nous.

CALISTE.

Ne pouvant le gagner contre toi de paroles,

J'opposerai l'effet à tes raisons frivoles,

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