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Pour déférer sans peine à l'habit que je porte;
Cette fausse apparence aide et suit vos mépris :
Mais cette erreur vers vous ne m'a jamais surpris;
Je sais trop que le ciel n'a donné l'avantage
De tant de raretés qu'à votre seul visage;
Sitôt que je l'ai vu, j'ai cru voir en ces lieux
Dorise déguisée, ou quelqu'un de nos dieux;
Et si j'ai quelque temps feint de vous méconnoître
En vous prenant pour tel que vous vouliez paroître,
Admirez mon amour, dont la discrétion
Rendoit à vos desirs cette submission,
Et disposez de moi, qui borne mon envie
A prodiguer pour vous tout ce que j'ai de vie.

DORISE.

Pymante, eh quoi ! faut-il qu'en l'état où je suis
Tes importunités augmentent mes ennuis!
Faut-il que dans ce bois ta rencontre funeste
Vienne encor m'arracher le seul bien qui me reste,
Et qu'ainsi mon malheur au dernier point venu
N'ose plus espérer de n'être pas connu!

PYMANTE.

Voyez comme le ciel égale nos fortunes,

Et comme, pour

les faire entre nous deux communes,

Nous réduisant ensemble à ces déguisements,

Il montre avoir pour nous de pareils mouvements.

DORISE.

Nous changeons bien d'habits, mais non pas de visages; Nous changeons bien d'habits, mais non pas de courages; Et ces masques trompeurs de nos conditions

14.

Cachent, sans les changer, nos inclinations.

PYMANTE.

Me négliger toujours, et pour qui vous néglige'!

DORISE.

Que veux-tu ? son mépris plus que ton feu m'oblige; J'y trouve, malgré moi, je ne sais quel appas2,

Par où l'ingrat me tue, et ne m'offense

PYMANTE.

pas.

Qu'espérez-vous enfin d'un amour si frivole 3
Pour cet ingrat amant qui n'est plus qu'une idole?

DORISE.

Qu'une idole! Ah! ce mot me donne de l'effroi.
Rosidor une idole! ah! perfide, c'est toi,
Ce sont tes trahisons qui l'empêchent de vivre.
Je t'ai vu dans ce bois moi-même le poursuivre 4,
Avantagé du nombre, et vêtu de façon

Que ce rustique habit effaçoit tout soupçon:
Ton embûche a surpris une valeur si rare.

PYMANTE.

Il est vrai, j'ai puni l'orgueil de ce barbare,

VAR. Pardonnez-moi, ma reine, ils ont changé mon ame,
Puisque mes feux plus vifs y redoublent leur flamme.

DORISE.

Aussi font bien les miens, mais c'est pour Rosidor.

PYMANTE.

Trop cruelle beauté, persistez-vous encor

A dédaigner mes feux pour un qui vous néglige?
VAR. J'y trouve, malgré lui, je ne sais quel appas.
3 Var. Qu'espérez-vous enfin de cette amour frivole
Envers un qui n'est plus peut-être qu'une idole?
4 VAR. Je t'ai vu dans ces bois moi-même le poursuivre.

De cet heureux ingrat, si cruel envers vous',
Qui, maintenant par terre, et percé de mes coups,
Éprouve par sa mort comme un amant fidéle

Venge votre beauté du mépris qu'on fait d'elle.

DORISE.

Monstre de la nature, exécrable bourreau,
Après ce lâche coup qui creuse mon tombeau,
D'un compliment railleur ta malice me flatte2!
Fuis, fuis, que dessus toi ma vengeance n'éclate;
Ces mains, ces foibles mains que vont armer les dieux,
N'auront que trop de force à t'arracher les yeux,
Que trop à t'imprimer sur ce hideux visage
En mille traits de sang les marques de ma rage.

PYMANTE.

Le courroux d'une femme, impétueux d'abord3,
Promet tout ce qu'il ose à son premier transport;
Mais, comme il n'a pour lui que sa seule impuissance,
A force de grossir il meurt en sa naissance;

Ou, s'étouffant soi-même, à la fin ne produit
Que point ou peu d'effet après beaucoup de bruit.

DORISE.

Va, va, ne prétends pas que le mien s'adoucisse 4;
Il faut que ma fureur ou l'enfer te punisse;

VAR. De ce tigre, jadis si cruel envers vous.

2 VAR. D'un compliment moqueur ta malice me flatte.
3 VAR. L'impétueux bouillon d'un courroux féminin,
Qui s'échappe sur l'heure et jette son venin,
Comme il est animé de la seule impuissance,
A force de grossir, se crève en sa naissance.

4 VAR. Traître, ne prétends pas que le mien s'adoucisse.

Le reste des humains ne sauroit inventer

De gêne qui te puisse à mon gré tourmenter.

Si tu ne crains mes bras, crains de meilleures armes ';
Crains tout ce que le ciel m'a départi de charmes :
Tu sais quelle est leur force, et ton cœur la ressent;
Crains qu'elle ne m'assure un vengeur plus puissant.
Ce courroux, dont tu ris, en fera la conquête

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Vouloir ainsi ma mort!

Il faudroit paravant que j'en fusse d'accord,

Et que ma patience aidât votre foiblesse.
Que d'heur ! je tiens ici captive ma maîtresse;
Elle reçoit mes lois, et je puis disposer

De ses mains, qu'à mon aise on me laisse baiser.

DORISE.

Cieux cruels! ainsi donc votre injustice avoue
Qu'un perfide plus fort de ma fureur se joue!
Et contre ce brigand votre inique rigueur
Me donne un tel courage, et si peu de vigueur !
Ah, sort injurieux! maudite destinée!
Malheurs trop redoublés ! détestable journée !

PYMANTE.

Enfin vos cris aigus pourroient vous déceler ;
Voici tout proche un lieu plus commode à parler :

Belle Dorise, entrons dedans cette caverne;
Qu'un peu plus à loisir Pymante vous gouverne.

DORISE.

Que plutôt ce moment puisse achever mes jours.

PYMANTE.

Non, mais il faut venir.

De quiconque à ma haine exposera ta tête,

De quiconque mettra ma vengeance en mon choix.
Adieu : je perds le temps à crier dans ces bois :
Mais tu verras bientôt si je vaux quelque chose,
Et si ma rage en vain se promet ce qu'elle ose.

PYMANTE.

J'aime tant cette ardeur à me faire périr,

DORISE.

A la force, au secours.

SCÈNE VI.

LYSARQUE, CLÉON.

LYSARQUE.

Je t'ai dit en deux mots ce qu'on fera du traître,
Et c'est comme le roi l'a promis à mon maître,
Dont il prend l'intérêt extrêmement à cœur.
CLÉON.

Tu me viens de conter des excès de rigueur.
Bien que ce cavalier soit atteint de ce crime,
On dut considérer que le prince l'estime.
LYSARQUE.

Et c'est ce qui le perd; de peur de son retour,
On hâte le supplice avant la fin du jour.
Le roi, qui ne pourroit refuser sa requête,
Lui veut à son desçu faire couper la tête.

De vrai, tout le conseil, d'un sentiment plus doux,
Essayant d'adoucir l'aigreur de son courroux,
Vu ce tiers échappé, lui propose d'attendre
Que le pendard repris ait convaincu Clitandre;
Mais il ne reçoit point d'autre avis que le sien.
CLÉON.

L'accusé, cependant coupable, ne dit rien?

LYSARQUE.

En vain le malheureux proteste d'innocence;
Le roi, dans sa colère, use de sa puissance,
Et l'on n'a su gagner qu'avec un grand effort

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