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Qu'il ne m'est pas permis de jouir de mon crime;
Dans l'état pitoyable où le sort me réduit,
J'en mérite la peine, et n'en ai pas le fruit ;
Et tout ce que j'ai fait contre mon ennemie
Sert à croître sa gloire avec mon infamie.

N'importe, Rosidor de mes cruels destins Tient de quoi repousser ses lâches assassins. Sa valeur, inutile en sa main désarmée, Sans moi ne vivroit plus que chez la renommée ; Ainsi rien désormais ne pourroit m'enflammer; N'ayant plus que haïr, je n'aurois plus qu'aimer. Fâcheuse loi du sort qui s'obstine à ma peine, Je sauve mon amour, et je manque à ma haine. Ces contraires succès, demeurant sans effet, Font naître mon malheur de mon heur imparfait. Toutefois l'orgueilleux pour qui mon cœur soupire De moi seule aujourd'hui tient le jour qu'il respire': Il m'en est redevable, et peut-être à son tour Cette obligation produira quelque amour. Dorise, à quels pensers ton espoir se ravale! S'il vit par ton moyen, c'est pour une rivale. N'attends plus, n'attends plus que haine de sa part:

Il ne m'est point permis de jouir de mon crime.
Mon jaloux aiguillon, de sa rage séduit,

En mérite la peine, et n'en a pas le fruit.
Le ciel, qui contre moi soutient mon ennemie,
Augmente son honneur dedans mon infamie.

N'importe, Rosidor, de mon dessein failli,
A de quoi malmener ceux qui l'ont assailli.

VAR. D'un autre que de moi ne tient l'air qu'il respire:
Il m'en est redevable, et peut-être qu'un jour.

L'offense vint de toi; le secours, du hasard.
Malgré les vains efforts de ta ruse traîtresse,
Le hasard, par tes mains, le rend à sa maîtresse;
Ce péril mutuel qui conserve leurs jours

D'un contre-coup égal va croître leurs amours.
Heureux couple d'amants que le destin assemble,
Qu'il expose en péril, qu'il en retire ensemble!

SCÈNE VII.

PYMANTE, DORISE.

PYMANTE, la prenant pour Géronte, et l'embrassant. O dieux! voici Géronte, et je le croyois mort, de mon funeste sort...

Malheureux compagnon

DORISE, croyant qu'il la prend pour Rosidor, et qu'en
l'embrassant il la poignarde.

Ton œil t'abuse. Hélas! misérable, regarde
Qu'au lieu de Rosidor ton erreur me poignarde.

PY MANTE.

Ne crains pas, cher ami, ce funeste accident,
Je te connois assez, je suis... Mais, imprudent,
Où m'alloit engager mon erreur indiscrète!

Monsieur, pardonnez-moi la faute que j'ai faite. Un berger d'ici près a quitté ses brebis

Pour s'en aller au camp presque en pareils habits ;
Et, d'abord vous prenant pour ce mien camarade,
Mes sens d'aise aveuglés ont fait cette escapade.
Ne craignez point au reste un pauvre villageois

Qui seul et désarmé court à travers ces bois '.
D'un ordre assez précis l'heure presque expirée
Me défend des discours de plus longue durée.
A mon empressement pardonnez cet adieu;
Je perdrois trop, monsieur, à tarder en ce lieu.

DORISE.

Ami, qui que tu sois, si ton ame sensible
A la compassion peut se rendre accessible,
Un jeune gentilhomme implore ton secours;
Prends pitié de mes maux pour trois ou quatre jours 2;

VAR. Qui, seul et désarmé, cherche dedans ces bois
Un bœuf piqué du taon, qui, brisant nos closages,
Hier, sur le chaud du jour, s'enfuit des pâturages.
M'en apprendrez-vous rien, monsieur? J'ose penser
Que par quelque hasard vous l'aurez vu passer.

DORISE.

Non, je ne te saurois rien dire de ta bête.

PYMANTE.

Monsieur, excusez donc mon incivile enquête :
Je vais d'autre côté tâcher à la revoir;

Disposez librement de mon petit pouvoir.

* VAR. Prends pitié de mes maux, et durant quelques jours
Tiens-moi dans ta cabane, où, bornant ma retraite,
Je rencontre un asile à ma fuite secrète.

PY MANTE.

Tout lourdaud que je suis en ma rusticité,

Je vois bien quand on rit de ma simplicité.

Je vais chercher mon bœuf; laissez-moi, je vous prie,
Et ne vous moquez plus de mon peu d'industrie.

DORISE.

Hélas! et plût aux dieux que mon affliction

Fût seulement l'effet de quelque fiction!

Mon grand ami, de grace, accorde ma prière.

PYMANTE.

Il faudroit donc un peu vous cacher là derrière :

de

Durant ce peu
temps, accorde une retraite
Sous ton chaume rustique à ma fuite secrète :
D'un ennemi puissant la haine me poursuit;
Et n'ayant pu qu'à peine éviter cette nuit...

PYMANTE.

L'affaire qui me presse est assez importante
Pour ne pouvoir, monsieur, répondre à votre attente.
Mais, si vous me donniez le loisir d'un moment,

Je vous assurerois d'être ici promptement;

Et j'estime qu'alors il me seroit facile

Contre cet ennemi de vous faire un asile.

DORISE.

Mais, avant ton retour, si quelque instant fatal
M'exposoit par malheur aux yeux de ce brutal,
Et que l'emportement de son humeur altière...

Quelques mugissements, entendus de là-bas,
Me font en ce vallon hasarder quelques pas;
J'y cours, et vous rejoins.

DORISE.

PYMANTE

Souffre que je te suive.

Vous me retarderiez, monsieur; homme qui vive
Ne peut à mon égal brosser dans ces buissons.

DORISE.

Non, non, je courrai trop.

PYMANTE.

Que voilà de façons!

Monsieur, résolvez-vous: choisissez l'un ou l'autre ;

Ou faites ma demande, ou j'éconduis la vôtre.

DORISE.

Bien donc, je t'attendrai.

PYMANTE.

Cette touffe d'ormeaux

Aisément vous pourra couvrir de ses rameaux.

PYMANTE.

Pour ne rien hasarder, cachez-vous là derrière.

DORISE.

Souffre que je te suive, et que mes tristes pas...

PYMANTE.

J'ai des secrets, monsieur, qui ne le souffrent pas,
Et ne puis rien pour vous, à moins que de m'attendre.
Avisez au parti que vous avez à prendre.

Va donc, je t'attendrai.

DORISE.

PYMANTE.

Cette touffe d'ormeaux

Vous pourra cependant couvrir de ses rameaux.

SCÈNE VIII.

PYMANTE.

Enfin, graces au ciel, ayant su m'en défaire,
Je puis seul aviser à ce que je dois faire.
Qui qu'il soit, il a vu Rosidor attaqué,

Et sait assurément que nous l'avons manqué :
N'en étant point connu, je n'en ai rien à craindre,
Puisque ainsi déguisé tout ce que je veux feindre
Sur son esprit crédule obtient un tel pouvoir.
Toutefois, plus j'y songe, et plus je pense voir,
Par quelque grand effet de vengeance divine,
En ce foible témoin l'auteur de ma ruine :
Son indice douteux, pour peu qu'il ait de jour,
N'éclaircira que trop mon forfait à la cour.
Simple! j'ai peur encor que ce malheur m'avienne;

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