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Qu'au reste, les veneurs allant sur leurs brisées,
Ne forcent pas le cerf, s'il est aux reposées';
Qu'ils prennent connoissance, et pressent mollement,
Sans le donner aux chiens qu'à mon commandement.
(Le page rentre.)

Achève maintenant l'histoire commencée
De ton affection si mal récompensée.

CLITANDRE.

Ce récit ennuyeux de ma triste langueur,
Mon prince, ne vaut pas le tirer en longueur :
J'ai tout dit; en un mot, cette fière Caliste
Dans ses cruels mépris incessamment persiste;
C'est toujours elle-même ; et, sous sa dure loi,
Tout ce qu'elle a d'orgueil se réserve pour moi;
Cependant qu'un rival, ses plus chères délices,
Redouble ses plaisirs en voyant mes supplices.

FLORIDAN.

Ou tu te plains à faux, ou, puissamment épris,
Ton courage demeure insensible aux mépris;
Et je m'étonne fort comme ils n'ont dans ton ame
Rétabli ta raison, ou dissipé ta flamme.

CLITANDRE.

Quelques charmes secrets mêlés dans ses rigueurs
Étouffent en naissant la révolte des cours;

Et le mien auprès d'elle, à quoi qu'il se dispose,
Murmurant de son mal, en adore la cause.

FLORIDAN.

Mais puisque son dédain, au lieu de te guérir,

"

Reposées du cerf, c'est le giste et lict où il se repose au matin en son retour du viandis. » (Nicor, Trésor de la Langue françoise.)

Ranime ton amour, qu'il dût faire mourir ',
Sers-toi de mon pouvoir; en ma faveur, la reine
Tient et tiendra toujours Rosidor en haleine;
Mais son commandement dans peu, si tu le veux,
Te met, à ma prière, au comble de tes vœux.
Avise donc ; tu sais qu'un fils peut tout sur elle.

CLITANDRE.

Malgré tous les mépris de cette ame cruelle,
Dont un autre a charmé les inclinations,
J'ai toujours du respect pour ses perfections 2;
Et je serois marri qu'aucune violence...

FLORIDAN.

L'amour sur le respect emporte la balance.

CLITANDRE.

Je brûle; et le bonheur de vaincre ses froideurs,
Je ne le veux devoir qu'à mes vives ardeurs3;
Je ne la veux gagner qu'à force de services.

FLORIDAN.

Tandis, tu veux donc vivre en d'éternels supplices?

CLITANDRE.

Tandis, ce m'est assez qu'un rival préféré
N'obtient, non plus que moi, le succès espéré ;
A la longue ennuyés, la moindre négligence
Pourra de leurs esprits rompre l'intelligence;
Un temps bien pris alors me donne en un moment
Ce que depuis trois ans je poursuis vainement.

VAR. Ranime tes ardeurs, qu'il dût faire mourir.
VAR. Le respect que je porte à ses perfections
M'empêche d'employer aucune violence.

3 VAR. Je ne le veux devoir qu'à mes chastes ardenrs.

Mon prince, trouvez bon....

FLORIDAN.

N'en dis pas davantage;

Cettui-ci qui me vient faire quelque message
Apprendroit, malgré toi, l'état de tes amours.

SCÈNE V.

FLORIDAN, CLITANDRE, CLÉON.

CLÉON.

Pardonnez-moi, seigneur, si je romps vos discours ';
C'est en obéissant au roi qui me l'ordonne,
Et rappelle Clitandre auprès de sa personne.

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VAR. Pardonnez, monseigneur, si je romps vos discours.

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FLORIDAN.

Je n'en sais que penser; et la cause incertaine
De ce commandement tient mon esprit en peine.
Pourrai-je me résoudre à te laisser aller1

Sans savoir les motifs qui te font rappeler?

CLITANDRE.

C'est, à mon jugement, quelque prompte entreprise,
Dont l'exécution à moi seul est remise:

Mais, quoi que là-dessus j'ose m'imaginer,
C'est à moi d'obéir sans rien examiner.

FLORIDAN.

J'y consens à regret: va; mais qu'il te souvienne
Que je chéris ta vie à l'égal de la mienne2;
Et si tu veux m'ôter de cette anxiété,
Que j'en sache au plus tôt toute la vérité.
Ce cor m'appelle. Adieu. Toute la chasse prête
N'attend que ma présence à relancer la bête.

SCÈNE VI.

DORISE, achevant de vêtir l'habit de Géronte qu'elle avoit
trouvé dans le bois 3.

Achève, malheureuse, achève de vétir

VAR. Le moyen, cher ami, que je te laisse aller.

2 VAR. Combien le prince t'aime, et, quoi qu'il te survienne,
Que j'en sache aussitôt toute la vérité :

3 VAR.

Jusque-là mon esprit n'est qu'en perplexité.

DORISE.

(Elle entre demi-vêtue de l'habit de Géronte, qu'elle avoit trouvé dans

le bois, avec celui de Pymante et de Lycaste.)

Ce que ton mauvais sort laisse à te garantir.
Si de tes trahisons la jalouse impuissance
Sut donner un faux crime à la même innocence,
Recherche maintenant, par un plus juste effet,
Une fausse innocence à cacher ton forfait.
Quelle honte importune au visage te monte
Pour un sexe quitté dont tu n'es que la honte?
Il t'abhorre lui-même ; et ce déguisement,
En le désavouant, l'oblige pleinement'.
Après avoir perdu sa douceur naturelle,
Dépouille sa pudeur, qui te messied sans elle;
Dérobe tout d'un temps, par ce crime nouveau,
Et l'autre aux yeux du monde, et ta tête au bourreau :
Si tu veux empêcher ta perte inévitable,
Deviens plus criminelle, et parois moins coupable.
Par une fausseté tu tombes en danger;

Par une fausseté sache t'en dégager.

Fausseté détestable, où me viens-tu réduire ?
Honteux déguisement, où me vas-tu conduire?
Ici de tous côtés l'effroi suit mon erreur,
Et j'y suis à moi-même une nouvelle horreur :
L'image de Caliste à ma fureur soustraite
Y brave fièrement ma timide retraite.
Encor si son trépas, secondant mon desir,

Mêloit à mes douleurs l'ombre d'un faux plaisir !
Mais tels sont les excès du malheur qui m'opprime 3,

VAR. En le désavouant, l'oblige infiniment.

2 VAR. Cet insolent objet de Caliste échappée

Tient et brave toujours ma mémoire occupée.

3 VAR. Mais, hélas! dans l'excès du malheur qui m'opprime,

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