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d'assurance

Nous sommes seul à seul. Quoi ! ton peu
Ne met plus qu'en tes pieds sa dernière espérance?
Marche sans emprunter d'ailes de ton effroi,
Je ne cours point après des lâches comme toi'.
Il suffit de ces deux. Mais qui pourroient-ils être?
Ah ciel ! le masque ôté me les fait trop connoître !
Le seul Clitandre arma contre moi ces voleurs;
Cettui-ci fut toujours vêtu de ses couleurs ;
Voilà son écuyer, dont la pâleur exprime

Moins de traits de la mort que d'horreurs de son crime;
Et, ces deux reconnus, je douterois en vain2

De celui que sa fuite a sauvé de ma main.
Trop indigne rival, crois-tu que ton absence
Donne à tes lâchetés quelque ombre d'innocence,
Et qu'après avoir vu renverser ton dessein,
Un désaveu démente et tes gens et ton seing?
Ne le présume pas; sans autre conjecture,
Je te rends convaincu de ta seule écriture,
Sitôt que j'aurai pu faire ma plainte au roi.
Mais quel piteux objet se vient offrir à moi?
Traîtres, auriez-vous fait sur un si beau visage,
Attendant Rosidor, l'essai de votre rage?

C'est Caliste elle-même! Ah dieux, injustes dieux 3!

VAR. Je ne cours point après de tels coquins que toi.

VAR. Et j'ose présumer avec juste raison

Que le tiers est sans doute encor de sa maison.
Traître, traître rival, crois-tu que ton absence.

3 VAR. C'est ma chère Caliste! Ah! dieux, injustes dieux!

Votre faveur cruelle a conservé ma vie.

Ainsi donc pour montrer ce spectacle à mes yeux,
Votre faveur barbare a conservé ma vie !

Je n'en veux point chercher d'auteurs que votre envie :
La nature, qui perd ce qu'elle a de parfait,
Sur tout autre que vous eût vengé ce forfait,
Et vous eût accablés, si vous n'étiez ses maîtres.
Vous m'envoyez en vain ce fer contre des traîtres;
Je ne veux point devoir mes déplorables jours'

VAR. Sachez que Rosidor maudit votre secours;

Vous ne méritez pas qu'il vous doive ses jours.

Vers supprimés:

Unique déité qu'à présent je réclame,

Belle ame, viens aider à sortir à mon ame;
Reçois-la sur les bords de ce pâle coral;

Fais qu'en dépit des dieux, qui nous traitent si mal,
Nos esprits, rassemblés hors de leur tyrannie,
Goûtent là-bas un bien qu'ici l'on nous dénie.
Tristes embrassements, baisers mal répondus,
Pour la première fois donnés et non rendus,
Hélas! quand mes douleurs me l'ont presque ravie,
Tous glacés et tous morts, vous me rendez la vie.
Cruels, n'abusez plus de l'absolu pouvoir
Que dessus tous mes sens l'amour vous fait avoir;
N'employez qu'à ma mort ce souverain empire;
Ou bien, me refusant le trépas où j'aspire,
Laissez faire à mes maux, ils me viennent l'offrir;
Ne me redonnez plus de force à les souffrir.
Caliste, auprès de toi la mort m'est interdite;
Si je te veux rejoindre, il faut que je te quitte :
Adieu; pour un moment consens à ce départ.
Sus, ma douleur, achève : ici, que de sa part
Je n'aie plus de secours, ni toi plus de contraintes;
Porte-moi dans le cœur tes plus vives atteintes,
Et, pour la bien punir de m'avoir ranimé,
Déchire son portrait, que je tiens enfermé.

VAR. Et vous qui me restez d'une troupe ennemie

A l'affreuse rigueur d'un si fatal secours.
O vous qui me restez d'une troupe ennemie
Pour marque
de ma gloire et de son infamie,
Blessures, hȧtez-vous d'élargir vos canaux,
Par où mon sang emporte et ma vie et mes maux!

Ah! pour l'être trop peu, blessures trop cruelles,
De peur de m'obliger vous n'êtes pas mortelles'.
Hé quoi! ce bel objet, mon aimable vainqueur,
Avoit-il seul le droit de me blesser au cœur?

Et d'où vient que la mort, à qui tout fait hommage,
L'ayant si mal traité, respecte son image?
Noires divinités, qui tournez mon fuseau,

Vous faut-il tant prier pour un coup de ciseau?
Insensé que je suis! en ce malheur extrême,
Je demande la mort à d'autres qu'à moi-même;
Aveugle! je m'arrête à supplier en vain,

Et pour me contenter j'ai de quoi dans la main.
Il faut rendre ma vie au fer qui l'a sauvée;
C'est à lui qu'elle est due, il se l'est réservée;
Et l'honneur, quel qu'il soit, de finir mes malheurs,
C'est pour me le donner qu'il l'ôte à des voleurs.
Poussons donc hardiment. Mais, hélas ! cette épée,
Coulant entre mes doigts, laisse ma main trompée;
Et sa lame, timide à procurer mon bien,

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Pour marques de ma gloire et de son infamic,
Blessures, dépêchez d'élargir vos canaux.

Voyez tome II, page 345, la note de Voltaire sur ce vers de Médée:

De relever mon sort sur les ailes d'amour.

Acte I, sc. 1.

Au sang des assassins n'ose mêler le mien.
Ma foiblesse importune à mon trépas s'oppose;
En vain je m'y résous, en vain je m'y dispose;
Mon reste de vigueur ne peut l'effectuer :
J'en ai trop pour mourir, trop peu pour me tuer;
L'un me manque au besoin, et l'autre me résiste.
Mais je vois s'entr'ouvrir les beaux yeux de Caliste',
Les roses de son teint n'ont plus tant de pâleur,
Et j'entends un soupir qui flatte ma douleur.

Voyez, dieux inhumains, que, malgré votre envie,
L'amour lui sait donner la moitié de ma vie,
Qu'une ame désormais suffit à deux amants.

CALISTE.

Hélas! qui me rappelle à de nouveaux tourments?
Si Rosidor n'est plus, pourquoi reviens-je au monde ??

ROSIDOR.

O merveilleux effet d'une amour sans seconde !

CALISTE.

Exécrable assassin qui rougis de son sang,

VAR. Mais insensiblement je retrouve Caliste;

Ma langueur m'y reporte, et mes genoux tremblants
Y conduisent l'erreur de nos pas chancelants.

Vers supprimés:

Adorable sujet de mes flammes pudiques,

Dont je trouve en mourant les aimables reliques,

Cesse de me prêter un secours inhumain,

Ou ne donne du moins des forces qu'à ma main,

Qui m'arrache aux tourments que ton malheur me livre;
Donne-m'en pour mourir comme tu fais pour vivre.

Quel miracle succède à mes tristes clameurs!

Caliste se ranime autant que je me meurs.

2 VAR. Rosidor n'étant plus, qu'ai-je à faire en ce monde?

Dépêche comme à lui de me percer le flanc,

Prends de lui ce qui reste'.

ROSIDOR.

Adorable cruelle,

Est-ce ainsi qu'on reçoit un amant si fidėle?

CALISTE.

Ne m'en fais point un crime; encor pleine d'effroi,
Je ne t'ai méconnu qu'en songeant trop à toi.
J'avois si bien gravé là-dedans ton image,
Qu'elle ne vouloit pas céder à ton visage.
Mon esprit, glorieux et jaloux de l'avoir,
Envioit à mes yeux le bonheur de te voir.
Mais quel secours propice a trompé mes alarmes3?

VAR. Prends de lui ce qui reste; achève.

ROSIDOR.

Quoi! ma belle,

Contrefais-tu l'aveugle, afin d'être cruelle?

CALISTE.

Pardonne-moi, mon cœur; encor pleine d'effroi.

2 VAR. J'avois si bien logé là-dedans ton image.

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Puisqu'un si doux appas se trouve en tes rudesses,
Que feront tes faveurs, que feront tes caresses?
Tu me fais un outrage à force de m'aimer,
Dont la douce rigueur ne sert qu'à m'enflammer.
Mais si tu peux souffrir qu'avec toi, ma chère ame,
Je tienne des discours autres que de ma flamme,
Permets que, t'ayant vue en cette extrémité,
Mon amour laisse agir ma curiosité,

Pour savoir quel malheur te met en ce bocage.

CALISTE.

Allons premièrement jusqu'au prochain village,
Où ces bouillons de sang se puissent étancher;
Et là, je te promets de ne te rien cacher.

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