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pas tout su, et que de leurs instructions on peut tirer des lumières qu'ils n'ont pas eues. Je leur porte du respect comme à des gens qui nous ont frayé le chemin, et qui, après avoir défriché un pays fort rude, nous ont laissé à le cultiver. J'honore les modernes sans les envier, et n'attribuerai jamais au hasard ce qu'ils auront fait par science, ou par des règles particulières qu'ils se seront eux-mêmes prescrites; outre que c'est ce qui ne me tombera jamais en la pensée, qu'une pièce de si longue haleine, où il faut coucher l'esprit à tant de reprises, et s'imprimer tant de contraires mouvements, se puisse faire par aventure. Il n'en va pas de la comédie comme d'un songe qui saisit notre imagination tumultuairement et sans notre aveu, ou comme d'un sonnet ou d'une ode, qu'une chaleur extraordinaire peut pousser par boutade, et sans lever la plume. Aussi l'antiquité nous parle bien de l'écume d'un cheval qu'une éponge jetée par dépit sur un tableau exprima parfaitement, après que l'industrie du peintre n'en avoit su venir à bout; mais il ne se lit point que jamais un tableau tout entier ait été produit de cette sorte. Au reste, je laisse le lieu de ma scène au choix du lecteur, bien qu'il ne me coûtât ici qu'à nommer. Si mon sujet est véritable, j'ai raison de le taire; si c'est une fiction, quelle apparence, pour suivre je ne sais quelle chorographie, de donner un soufflet à l'histoire, d'attribuer à un pays des princes imaginaires, et d'en rapporter des aventures qui ne se lisent point dans les chroniques de leur royaume? Ma scène est donc en

un château d'un roi, proche d'une forêt; je n'en détermine ni la province ni le royaume; où vous l'aurez une fois placée, elle s'y tiendra. Que si l'on remarque des concurrences dans mes vers, qu'on ne les prenne pas pour des larcins. Je n'y en ai point laissé que j'aie connues, et j'ai toujours cru que, pour belle que fût une pensée, tomber en soupçon de la tenir d'un autre, c'est l'acheter plus qu'elle ne vaut; de sorte qu'en l'état que je donne cette pièce au public, je pense n'avoir rien de commun avec la plupart des écrivains modernes, qu'un peu de vanité que je témoigne ici.

ARGUMENT.

Rosidor, favori du roi, étoit si passionnément aimé de deux des filles de la reine, Caliste et Dorise, que celle-ci en dédaignoit Pymante, et celle-là Clitandre. Ses affections toutefois n'étoient que pour la première, de sorte que cette amour mutuelle n'eût point eu d'obstacle sans Clitandre. Ce cavalier étoit le mignon du prince, fils unique du roi, qui pouvoit tout sur la reine sa mère, dont cette fille dépendoit ; et de là procédoient les refus de la reine toutes les fois que Rosidor la supplioit d'agréer leur mariage. Ces deux demoiselles, bien que rivales, ne laissoient pas d'être amies, d'autant que Dorise feignoit que son amour n'étoit que par galanterie, et comme pour avoir de quoi répliquer aux importunités de Pymante. De cette façon, elle entroit dans la confidence de Caliste, et, se tenant toujours assidue auprès d'elle, elle se donnoit plus de moyen de voir Rosidor, qui ne s'en éloignoit que le moins qu'il lui étoit possible. Cependant la jalousie la rongeoit au-dedans, et excitoit en son ame autant de véritables mouvements de haine pour sa compagne qu'elle lui rendoit de feints témoignages d'amitié. Un jour que le roi, avec toute sa cour, s'étoit retiré en un château de plaisance proche d'une forêt, cette fille, entretenant en ces bois ses pensées mélancoliques, rencontra par hasard une épée : c'étoit celle d'un cavalier nommé Arimant, demeurée là par mégarde depuis deux jours qu'il avoit été tué en duel, disputant sa maîtresse Daphné contre Éraste. Cette jalouse, dans sa profonde réverie, devenue furieuse, jugea cette occasion propre à perdre sa rivale. Elle la cache donc au même endroit, et à son retour conte à Caliste que Rosidor la trompe, qu'elle a découvert une se

crète affection entre Hippolyte et lui, et enfin qu'ils avoient rendez-vous dans les bois le lendemain au lever du soleil pour en venir aux dernières faveurs : une offre en outre de les lui faire surprendre éveille la curiosité de cet esprit facile, qui lui promet de se dérober, et se dérobe en effet le lendemain avec elle pour faire ses yeux témoins de cette perfidie. D'autre côté, Pymante, résolu de se défaire de Rosidor, comme du seul qui l'empêchoit d'être aimé de Dorise, et ne l'osant attaquer ouvertement, à cause de sa faveur auprès du roi, dont il n'eût pu rapprocher, suborne Géronte, écuyer de Clitandre, et Lycaste, page du même. Cet écuyer écrit un cartel à Rosi dor au nom de son maître, prend pour prétexte l'affection qu'ils avoient tous deux pour Caliste, contrefait au bas son seing, le fait rendre par ce page, et eux trois le vont attendre masqués et déguisés en paysans. L'heure étoit la même que Dorise avoit donnée à Caliste, à cause l'un et l'autre vouloient être assez tôt de retour pour se trouver au lever du roi et de la reine après le coup exécuté. Les lieux mêmes n'étoient pas fort éloignés; de sorte que Rosidor, poursuivi par ces trois assassins, arrive auprès de ces deux filles comme Dorise avoit l'épée à la main, prête de l'enfoncer dans l'estomac de Caliste. Il pare, et blesse toujours en reculant, et tue enfin ce page, mais si malheureusement, que, retirant son épée, elle se rompt contre la branche d'un arbre. En cette extrémité, il voit celle que tient Dorise, et, sans la reconnoître, il la lui arrache, et passe tout d'un temps le tronçon de la sienne en la main gauche, à guise d'un poignard, se défend ainsi contre Pymante et Géronte, tue encore ce dernier, et met l'autre en fuite. Dorise fuit aussi, se voyant désarmée par Rosidor; et Caliste, sitôt qu'elle l'a reconnu, se pâme d'appréhension de son péril. Rosidor démasque

que

les morts, et fulmine contre Clitandre, qu'il prend pour l'auteur de cette perfidie, attendu qu'ils sont ses domestiques, et qu'il étoit venu dans ce bois sur un cartel reçu de sa part. Dans ce mouvement, il voit Caliste pâmée, et la croit morte: ses regrets avec ses plaies le font tomber en foiblesse. Caliste revient de pâmoison, et s'entr'aidant l'un à l'autre à marcher, ils gagnent la maison d'un paysan, où elle lui bande ses blessures. Dorise désespérée, et n'osant retourner à la cour, trouve les vrais habits de ces assassins, et s'accommode de celui de Géronte pour se mieux cacher. Pymante, qui alloit rechercher les siens, et cependant, afin de mieux passer pour villageois, avoit jeté son masque et son épée dans une caverne, la voit en cet état. Après quelque mécompte, Dorise se feint être un jeune gentilhomme, contraint pour quelque occasion de se retirer de la cour, et le prie de le tenir là quelque temps caché. Pymante lui baille quelque échappatoire; mais s'étant aperçu à ses discours qu'elle avoit vu son crime, et d'ailleurs entré en quelque soupçon que ce fût Dorise, il accorde sa demande, et la mène en cette caverne, résolu, si c'étoit elle, de se servir de l'occasion, sinon d'ôter du monde un témoin de son forfait, en ce lieu où il étoit assuré de retrouver son épée. Sur le chemin, au moyen d'un poinçon qui lui étoit demeuré dans les cheveux, il la reconnoît, et se fait connoître à elle: ses offres de service sont aussi mal reçues que par le passé; elle persiste toujours à ne vouloir chérir que Rosidor. Pymante l'assure qu'il l'a tué; elle entre en furie: ce qui n'empêche pas ce paysan déguisé de l'enlever dans cette caverne, où, táchant d'user de force, cette courageuse fille lui crève un œil de son poinçon; et comme la douleur lui fait y porter les deux mains, elle s'échappe de lui, dont l'amour tourné en rage le fait sortir l'épée à la main de cette caverne, à

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