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SCÈNE IX.

ÉRASTE.

Tu t'enfuis donc, barbare! et, me laissant en proie
A ces cruelles sœurs, tu les combles de joie.
Non, non, retirez-vous, Tisiphone, Alecton,
Et tout ce que je vois d'officiers de Pluton.
Vous me connoissez mal; dans le corps d'un perfide
Je porte le courage et les forces d'Alcide.

Je vais tout renverser dans ces royaumes noirs,
Et saccager moi seul ces ténébreux manoirs.
Une seconde fois le triple chien Cerbère
Vomira l'aconit en voyant la lumière.
J'irai du fond d'enfer dégager les Titans;
Et si Pluton s'oppose à ce que je prétends,
Passant dessus le ventre à sa troupe mutine,
J'irai d'entre ses bras enlever Proserpine.

SCÈNE X.

LISIS, CLORIS.

LISIS.

N'en doute plus, Cloris, ton frère n'est point mort';
Mais, ayant su de lui son déplorable sort,
Je voulois éprouver, par cette triste feinte,
Si celle qu'il adore, aucunement atteinte2,

VAR. N'en doute aucunement, ton frère n'est point mort
2 VAR. Si ce cœur, recevant quelque légère atteinte.

Deviendroit plus sensible aux traits de la pitié
Qu'aux sincères ardeurs d'une sainte amitié.
Maintenant que je vois qu'il faut qu'on nous abuse,
Afin que nous puissions découvrir cette ruse,
Et que Tircis en soit de tout point éclairci,
Sois sûre que dans peu je te le rends ici.
Ma parole sera d'un prompt effet suivie :
Tu reverras bientôt ce frère plein de vie ;
C'est assez que je passe une fois pour trompeur.

CLORIS.

Si bien qu'au lieu du mal nous n'aurons que la peur?
Le cœur ne le disoit. Je sentois que mes larmes
Refusoient de couler pour de fausses alarmes,
Dont les plus dangereux et plus rudes assauts
Avoient beaucoup de peine à m'émouvoir à faux';
Et je n'étudiai cette douleur menteuse

2

Qu'à cause qu'en effet j'étois un peu honteuse
Qu'une autre en témoignât plus de ressentiment.

LISIS.

Après tout, entre nous, confesse franchement3
Qu'une fille en ces lieux, qui perd un frère unique.
Jusques au désespoir fort rarement se pique:
Ce beau nom d'héritière a de telles douceurs,
Qu'il devient souverain à consoler des sœurs.

CLORIS.

Adieu, railleur, adieu: son intérêt me presse

VAR. Avoient bien de la peine à m'émouvoir à faux.

1 VAR. Qu'à cause que j'étois parfaitement honteuse.
3 VAR. Mais avec tout cela confesse franchement.

D'aller rendre d'un mot la vie à sa maîtresse '; Autrement je saurois t'apprendre à discourir.

LISIS.

Et moi, de ces frayeurs de nouveau te guérir.

VAR. D'aller vite d'un mot ranimer sa maîtresse ;
Autrement je saurois te rendre ton paquet.

LISIS.

Et moi pareillement rabattre ton caquet.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

CLITON, LA NOURRICE.

CLITON.

Je ne t'ai rien celé; tu sais toute l'affaire.

LA NOURRICE.

Tu m'en as bien conté. Mais se pourroit-il faire Qu'Éraste eût des remords si vifs et si

Que de violenter sa raison et ses sens?

CLITON.

pressants

Eût-il pu, sans en perdre entièrement l'usage,
Se figurer Caron des traits de mon visage,
Et de plus, me prenant pour ce vieux nautonnier,
Me payer à bons coups des droits de son denier?

Plaisante illusion!

LA NOURRICE.

CLITON.

Mais funeste à ma tête,

Sur qui se déchargeoit une telle tempête,
Que je tiens maintenant à miracle évident
Qu'il me soit demeuré dans la bouche une dent.

LA NOURRICE.

C'étoit mal reconnoître un si rare service.

ÉRASTE, derrière le théâtre 1.

Arrêtez, arrêtez, poltrons!

CLITON.

Adieu, nourrice.

Voici ce fou qui vient, je l'entends à la voix ;
Crois que ce n'est pas moi qu'il attrape deux fois.

LA NOURRICE.

Pour moi, quand je devrois passer pour Proserpine, Je veux voir à quel point sa fureur le domine.

CLITON.

Contente, à tes périls, ton curieux desir3.

LA NOURRICE.

Quoi qu'il puisse arriver, j'en aurai le plaisir.

SCÈNE II.

ÉRASTE, LA NOURRICE.

ÉRASTE.

En vain je les rappelle, en vain pour se défendre
La honte et le devoir leur parlent de m'attendre;
Ces lâches escadrons de fantômes affreux
Cherchent leur assurance aux cachots les plus creux,
Et, se fiant à peine à la nuit qui les couvre,

jouhaitent sous l'enfer qu'un autre enfer s'entr'ouvre. Ma voix met tout en fuite, et, dans ce vaste effroi 4,

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> VAR. Et moi, quand je devrois passer pour Proserpine.

3 VAR. Adieu, soûle à ton dam ton curieux desir.

4 VAR. La peur renverse tout, et, dans ce désarroi,
Elle saisit si bien les ombres et leur roi.

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