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MÉLITE,

COMÉDIE.

1629.

A MONSIEUR

DE LIANCOUR.

MONSIEUR,

Mélite seroit trop ingrate de rechercher une autre protection que la vôtre; elle vous doit cet hommage et cette légère reconnoissance de tant d'obligations qu'elle vous a non qu'elle présume par-là s'en acquitter en quelque sorte, mais seulement pour les publier à toute la France. Quand je considère le peu de bruit qu'elle fit à son arrivée à Paris, venant d'un homme qui ne pouvoit sentir que la rudesse de son pays, et tellement inconnu qu'il étoit avantageux d'en taire le nom; quand je me souviens, dis-je, que ses trois premières représentations

I.

ensemble n'eurent point tant d'affluence que la moindre de celles qui les suivirent dans le même hiver, je ne puis rapporter de si foibles commencements qu'au loisir qu'il falloit au monde pour apprendre que vous en faisiez état, ni des progrès si peu attendus qu'à votre approbation, que chacun se croyoit obligé de suivre après l'avoir sue. C'est de là, monsieur, qu'est venu tout le bonheur de Mélite; et, quelques hauts effets qu'elle ait produits depuis, celui dont je me tiens le plus glorieux, c'est l'honneur d'être connu de vous, et de vous pouvoir souvent assurer de bouche que je serai toute ma vie,

MONSIEUR,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

CORNEILLE.

AU LECTEUR.

Je sais bien que l'impression d'une pièce en affoiblit la réputation: la publier, c'est l'avilir; et même il s'y rencontre un particulier désavantage pour moi, vu que, ma façon d'écrire étant simple et familière, la lecture fera prendre mes naïvetés pour des bassesses. Aussi beaucoup de mes amis m'ont toujours conseillé de ne rien mettre sous la presse, et ont raison, comme je crois; mais, par je ne sais quel malheur, c'est un conseil que reçoivent de tout le monde ceux qui écrivent, et pas un d'eux ne s'en sert. Ronsard, Malherbe et Théophile l'ont méprisé; et, si je ne les puis imiter en leurs graces, je les veux du moins imiter en leurs fautes, si c'en est une que de faire imprimer. Je contenterai par-là deux sortes de personnes, mes amis et mes envieux, donnant aux uns de quoi se divertir, aux autres de quoi censurer: et j'espère que les premiers me conserveront encore la même affection qu'ils m'ont témoignée par le passé; que des derniers, si beaucoup font mieux, peu réussiront plus heureusement, et que le reste fera encore quelque sorte d'estime de cette pièce, soit par coutume de l'approuver, soit par honte de

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