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pagne, où l'on garde du bled dans les greniers, et où le voisinage des granges et des magasins à foin facilite leur retraite et leur multiplication, qu'ils sont en si grand nombre, qu'on seroit obligé de démeubler, de déserter, s'ils ne se détruisoient eux-mêmes; mais nous avons vu par expérience qu'ils se tuent, qu'ils se mangent entre eux pour peu que la faim les presse; en sorte que quand il y a disette à cause du trop grand nombre, les plus forts se jettent sur les plus foibles, leur ouvrent la tête et mangent d'abord la cervellé, ét ensuite le reste du cadavre; le lendemain la guerre recommence, et dure ainsi jusqu'à la destruction du plus grand nombre; c'est par cette raison qu'il arrive ordinairement qu'après avoir été infesté de ces animaux pendant un temps, ils semblent souvent disparoître tout à coup, et quelquefois pour long-temps. Il en est de même des mulots, dont la pullulation prodigieuse n'est arrêtée que par les cruautés qu'ils exercent entre eux dès que les vivres commencent à leur manquer. Aristote a attribué cette destruction subite à l'effet des pluies; mais les rats n'y sont point exposés, et les mulots savent s'en garantir; car les trous qu'ils habitent sous terre ne sont pas même humides.

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LA souris, beaucoup plus petite que le rat, aussi plus nombreuse, plus commune, et plus généralement répandue : elle a le même instinct, le même tempérament, le même naturel, et n'en diffère guère que par la foiblesse et par les habitudes qui l'accompagnent; timide par nature, familière par nécessité, la peur ou le besoin font tous ses mouvements; elle ne sort de son trou que pour chercher à vivre; elle ne s'en écarte guère, y rentre à la première alerte, ne va pas, comme le rat, de maisons en maisons, à moins qu'elle n'y soit forcée, fait aussi beaucoup moins de dégât; a les mœurs plus douces, et s'apprivoise jusqu'à un certain point, mais sans s'attacher comment aimer en effet ceux qui nous dressent des embûches? plus foible, elle a plus d'ennemis auxquels elle ne peut échapper, ou plutôt se soustraire, que par son agilité, sa petitesse même. Les chouet tes, tous les oiseaux de nuit, les chats, les fouines, les belettes, les rats même lui font la guerre: on l'attire, on la leurre aisément par des appâts, on la détruit à milliers; elle ne subsiste enfin que par son immense fécondité.

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Le renard sait beaucoup de choses, le hérisson n'en sait qu'une grande, disoient proverbialement les anciens. Il sait se défendre sans combattre, et blesser sans attaquer : n'ayant que peu de force, et nulle agilité pour fuir, il a reçu de la nature une armure épineuse, avec la facilité de se resserrer en boule, et de présenter de tous côtés des armes défensives, poignantes, et qui rebutent ses ennemis; plus ils le tourmentent, plus il se hérisse et se resserre. Il se défend encore par l'effet même de la peur, il lâche son urine, dont l'odeur et l'humidité se répandant sur tout son corps, achèvent de les dégoûter. Aussi la plupart des chiens se contentent de l'aboyer, et ne se soucient pas le saisir cependant il y en a quelques-uns qui trouvent moyen, comme le renard, d'en venir à bout en se piquant les pieds et se mettant la gueule en sång; mais il ne craint ni la fouine, ni la marte, ni le putois, ni le furet, ni la belette, ni les oiseaux de proie.

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LE CASTOR.

AUTANT l'homme s'est élevé au-dessus de l'état de nature, autant les animaux se sont abaissés au-dessous soumis et réduits en servitude, ou traités comme rebelles et dispersés par la force, leurs sociétés se sont évanouies, leur industrie est devenue stérile, leurs foibles arts ont disparu, chaque espèce a perdu ses qualités générales, et tous n'ont conservé que leurs propriétés individuelles, perfectionnées dans les uns par l'exemple, l'imitation, l'éducation, et dans les autres par la crainte et par la nécessité où ils sont de veiller continuellement à leur sûreté. Quelles vues, quels desseins, quels projets peuvent avoir des esclaves sans âme, ou des relégués sans puissance? ramper ou fuir, et toujours exister d'une manière solitaire, ne rien édifier, ne rien produire, ne rien transmettre, et toujours languir dans la calamité, déchoir, se perpétuer sans se multiplier, perdre en un mot par la durée autant et plus qu'ils n'avoient acquis par le temps.

Aussi ne reste-t-il quelques vestiges de leur merveilleuse industrie que dans ces contrées éloignées et désertes, ignorées de l'homme pendant une longue suite de siècles, où chaque espèce pouvoit manifester en liberté ses talents naturels, et les perfectionner dans le repos en se réunissant en société durable. Les castors sont peut-être le seul exemple qui subsiste comme un ancien monument de cette espèce d'intelligence des brutes, qui, quoique infiniment inférieure par son principe à celle de l'homme, suppose cependant des projets communs et des vues relatives; projets qui, ayant pour base la société, et pour objet une digue à construire, une bourgade à élever, une espèce de république à fonder, supposent aussi une manière quelconque de s'entendre et d'agir de concert.

Les castors, dira-t-on, sont parmi les quadrupèdes ce que les abeilles sont parmi les insectes. Quelle différence! Il y a dans la nature, telle qu'elle nous est parvenue, trois espèces de sociétés qu'on doit considérer avant de les comparer; la société libre de l'homme, de laquelle, après Dieu, il tient toute sa puissance; la société gênée des animaux, toujours fugitive devant celle de l'homme; et enfin la société forcée de quelques petites bêtes, qui, naissant toutes en même temps dans le même lieu, sont contraintes d'y demeurer ensemble. Un individu, pris solitairement, et au sortir des mains de la nature, n'est qu'un être stérile, dont l'industrie se borne au simple usage sens; l'homme lui-même, dans l'état de pure na

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