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1509.

CHAP. CV. campagne avoit eu à lutter contre l'impétuosité de l'Alviano; il l'avoit toujours vu chercher des dangers qu'il croyoit de son devoir d'éviter. Il crut que dans cette occasion ce capitaine vouloit le forcer malgré lui à combattre, et il lui fit dire de continuer sa retraite en bon ordre, puisque la volonté du sénat étoit d'éviter une bataille (1).

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L'Alviano cependant s'étoit disposé pour le combat. Il avoit placé ses fantassins avec six pièces d'artillerie sur une digue destinée à contenir un torrent, qui dans ce moment étoit à sec, et il avoit attaqué avec vigueur la cavalerie française dans un terrain embarrassé par des vignes, où elle ne pouvoit faire ses évolutions avec liberté. L'Alviano profita de cet avantage, la repoussa, et la poursuivit jusque dans un lieu plus ouvert. En même temps le roi arrivoit avec le corps de bataille, et l'arrièregarde de l'Alviano, qui avoit déjà remporté un succès glorieux, se trouvoit avoir à faire avec toute l'armée. La bravoure du général s'étoit communiquée aux soldats, et l'avantage qu'ils avoient déjà obtenu soutenoit leur ardeur, en sorte qu'ils continuèrent le combat durant trois heures avec la plus grande vaillance. Une forte pluie survenue pendant la bataille, rendoit le .

(1) Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 425.- Fr. Belcarii. L. XI, P. 318.

CHAP. CE.

terrain glissant pour les fantassins; l'espérance de voir arriver Pitigliano, sur le secours du 1509. quel on avoit compté, s'évanouissoit ; mais l'infanterie italienne des Brisighella, qu'on distinguoit à ses casaques mi-parties blanches et rouges, se rendit digne de sa nouvelle réputation encore qu'elle fût forcée à se replier jusque dans une plaine ouverte, et qu'elle s'y trouvât exposée aux attaques de la cavalerie, elle ne rompit jamais ses rangs. Entourés, pressés, accablés, ces fantassins romagnols se firent presque tous tuer, après avoir vendu chèrement leur vie. Ils avoient reçu de Naldo de Brisighella dans le Val de Lamone, leur nom et leur organisation, et toute l'infanterie soldée des Vénitiens avoit ensuite adopté leurs couleurs et leur ordonnance. Cette infanterie laissa six mille morts sur le champ de bataille; c'étoit à peu près le double de ce qu'avoient perdu les Français ; la gendarmerie vénitienne ne souffrit pas beaucoup, mais Barthélemi d'Alviano, blessé au visage, fut fait prisonnier, et conduit au pavillon du roi. Vingt pièces d'artillerie tombèrent entre les mains des Français; le reste de l'armée vénitienne continua sa retraite sans être poursuivi (1).

(1) Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 425. — Petri Bembi histor. Ven. Lib. VII, p. 170. Jacopo Nardi histor. Fior. L. IX, p. 206. Fr. Belcarii. Lib. XI, p. 318. — J. Marianæ de rebus

CHAP. CV.

Cette bataille diversement nommée de Vaila 50g. ou d'Aignadel dans la Ghiara d'Adda, fut livrée le 14 mai 1509. Avec elle commença un nouveau système de guerre, signalé par plus de férocité dans les combats, et des déroutes plus meurtrières. Depuis quinze ans les ultramontains avoient porté leurs armes en Italie ; cependant on n'avoit point vu encore un champ de bataille couvert de tant de morts; on n'avoit point vu non plus l'infanterie prendre une part aussi importante à l'action. Mais plus les guerres se prolongent, plus elles deviennent nationales; plus les souffrances des vaincus deviennent intolérables, et plus chacun sent qu'il vaut mieux se défendre à outrance, que de se laisser opprimer sans combat. Le moment arrive enfin où les peuples engagent dans la lutte la totalité de leurs forces, et où la victoire ne semble plus pouvoir être obtenue que par l'extermination des vaincus plus les agresseurs ont augmenté leur nombre et leurs moyens d'attaque, plus leur consommation est ruineuse, et leur joug insupportable. La résistance s'accroît avec l'oppression. Après des batailles meurtrières la même férocité est portée dans le siége des villes, et dans le traitement des pays con

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Hisp. L. XXIX, c. XIX, p. 287. — P. Bizarri hist. Genuens.
L. XVIII, p. 426. — Mém. du chev. Bayard. T. XV, ch. XXIX,
P. 71. Arn. Ferroni. T. IV, p. 68.

CHAP. CV.

quis. A dater de cette première bataille, chaque année fut marquée par plus de fureur, et par 1509. une plus grande effusion de sang, jusqu'au moment où un épuisement universel força enfin les nations et leurs chefs à faire la paix, parce que la génération propre aux armes étoit presque absolument détruite, et qu'on ne pouvoit point recruter les armées avec des vieillards et des enfans.

Louis XII poursuivit sa victoire avec une rapidité, qui fit plus d'honneur à son talent militaire que l'issue même du combat. Dès le lendemain il se présenta devant Caravaggio, qui ouvrit aussitôt ses portes; et la forteresse attaquée avec de l'artillerie, capitula le jour d'après. Le 17 la ville de Bergame lui envoya ses clefs, et il la fit occuper par cinquante lances et mille fantassins; la citadelle tint à peine deux ou trois jours. A chaque capitulation Louis XII exigeoit toujours que les gentilshommes vénitiens qui se trouvoient dans les villes, demeurassent ses prisonniers. Il vouloit les forcer à payer des rançons assez grosses pour ruiner leurs familles, et les mettre dans l'impossibilité de soulager, par leurs fortunes privées, les finances de la république. Cependant il s'approchoit de Brescia pour suivre l'armée vénitienne qui s'étoit retirée vers cette ville, et qui étoit déjà fort diminuée par la désertion.

CHAP. CV.

Les deux provéditeurs George Cornaro et André 1509. Gritti, avoient supplié vainement les Bressans de les admettre dans leurs murs; le comte Jean François de Gambara, chef de la faction gibeline, au moment où il avoit été instruit de la déroute de Vaila, s'étoit emparé des portes avec ses partisans, il en avoit refusé l'entrée aux troupes vénitiennes, et le 24 mai, il les livra aux Français. Pitigliano ne se trouvant plus en sûreté auprès d'une ville révoltée, se retira à Peschiéra, avec les restes de son armée (1).

Les calamités se succédoient pour les Vénitiens avec une rapidité si effrayante, que ni le sénat, dont on avoit souvent vanté la constance et la fermeté, ni le peuple, dont on attendoit du patriotisme, ne trouvoient en eux-mêmes assez de force pour y résister. Des efforts prodigieux avoient été faits, avant l'ouverture de la campagne, pour rassembler de l'argent la république, dans ce but, avoit eu recours à des expédiens contraires à tous ses usages; elle avoit emprunté de toutes mains, elle avoit obtenu des dons patriotiques de tous les nobles et de toutes • les villes sujettes; elle avoit retranché à tous les fonctionnaires publics la moitié de leur trai

(1) Fr. Guicciardini. L. VIII, p. 427. — Petri Bembi histor. Ven. Lib. VIII, p. 173. Jacopo Nardi. hist. Fior. Lib. IV, P. 207. Fr. Belcarii Comment. Lib. XI, p. 319.

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