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complétement, et pour le faire il étoit encore CHAP. CIV. obligé de redoubler toutes les impositions, et 1507. d'accabler le peuple par des extorsions inouïes; en sorte qu'il mécontentoit également les deux classes de gentilshommes, et tous les contribuables (1).

Ferdinand n'avoit pas mieux gagné l'affection de Jules II, son unique voisin, que de ses propres sujets. Il lui avoit demandé une investiture pleine et entière de tout le royaume, en son propre nom, quoique d'après son traité avec la France, l'Abruzze et la Campanie qui avoient été cédées à Louis XII par le traité de Grenade, dussent être considérées comme formant la dot de Germaine de Foix, sa femme. De plus Ferdinand demandoit que le cens annuel que le royaume devoit à l'Église fût réduit pour lui, comme il l'avoit été pour ses derniers prédécesseurs; Jules, au contraire, insistoit sur le payement entier du tribut, tel qu'il étoit réglé par les premières investitures. Ces points en contestation n'avoient pas encore pu être décidés, lorsque Ferdinand résolut de quitter le royaume de Naples, et de s'en retourner à Barcelonne. Il mit à la voile le 4 juin de sa capitale, et il ne voulut point relâcher à Ostie, encore qu'il

(1) Fr. Guicciardini. L. VII, p. 384. - Jo. Marianæ de rebus Hispaniæ. L. XXIX, cap. 4, p. 262. — Jacopo Nardi hist. Fiør, L. IV, p. 195. - Fr. Belcarii. Comment. L. X, p. 302.

CHAP. CIV.

sût

le que pape l'y attendoit, pour avoir avec 1507. lui une entrevue (1).

Ferdinand étoit pressé de revenir en Espagne, par la nécessité de pourvoir au gouvernement du royaume de Castille. Sa fille Jeanne, depuis la mort de Philippe, son mari, étoit absorbée par sa douleur; elle ne sembloit rien comprendre, que ce qui se rapportoit à l'époux qu'elle avoit perdu; sur aucun autre sujet on ne pouvoit obtenir d'elle aucune réponse. Quoique sa conduite parût souvent extraordinaire et que sa douleur semblât excessive, on n'avoit point encore reconnu que sa raison étoit dérangée. Un tel soupçon se présente bien tard à des courtisans, et il est long-temps repoussé malgré l'évidence. Cependant la reine ne vouloit donner aucun ordre, elle ne vouloit signer aucun décret, et l'attachement inébranlable des Castillans à leurs formes légales, jetoit le royaume dans une anarchie absolue. La noblesse de chaque ville étoit divisée par des factions, qui commençoient à se faire justice à elles-mêmes les armes à la main; la nation n'étoit point encore accoutumée à l'horreur des procédures de l'inquisition établie par Isabelle, et Cordoue s'étoit soulevée pour secouer le joug des in

(1) Fr. Guicciardint. Lib. VII, p. 384. - Jo. Mariana de rebus Hispaniæ. Lib. XXIX, cap. VIII, p. 269.-Fr. Belcarii Comment. Lib. X, p. 302,

1507.

quisiteurs (1). Ferdinand étoit rappelé par tous CHAP, CIV. les partis dans un royaume d'où il avoit été expulsé si peu de mois auparavant sa main seule paroissoit pouvoir mettre un terme à l'anarchie.

Ferdinand ne devoit plus retrouver en Espagne l'aventurier celèbre qu'il y avoit fait conduire prisonnier. La liberté de César Borgia, duc de Valentinois, avoit été refusée par Ferdinand au roi de Navarre, dont il avoit épousé la sœur, au duc de Ferrare qui avoit épousé la sienne, et qui offroit d'être sa caution, aux cardinaux espagnols qui devoient leur élection à Alexandre VI (2). Mais Borgia avoit enfin réussi à s'échapper au moyen d'une échelle de corde, de la forteresse de Médina del Campo, où il étoit enfermé. Il s'étoit refugié auprès de son beau-frère, Jean d'Albret, roi de Navarre. Celui-ci qui faisoit alors la guerre au comte de Lérin, crut ne pouvoir confier à un meilleur guerrier le commandement de son armée. Cependant César Borgia fut attiré le 10 mars par un parti de cavalerie qui s'enfuit à son approche, dans une embuscade qui lui étoit préparée près de Viane. Un coup de lance le renversa de son cheval, il continua encore à se défendre

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(1) Jo, Mariana de rebus Hisp. Lib. XXIX, cap. III et V, p. 261-264.

(2) Idem, Lib, XXVIII, c. XII, p. 240.

1507.

CHAP CIV. Vaillamment à pied, jusqu'à ce qu'il fut accablé par le nombre et massacré. Cet homme que tant de forfaits ont illustré, n'étoit pas aussi sans vertus; vaillant, éloquent, adroit, prodigue de ses bienfaits, sans jamais déranger ses finances; zélé pour la conservation de la justice dans ses états; assez éclairé pour leur avoir donné une administration qui les fit prospérer en peu de temps, il sut se rendre cher à ses sujets comme à ses soldats, tandis qu'il étoit l'horreur et l'effroi des princes ses voisins, et de ceux qui ne lui étoient pas soumis (1).

Ferdinand arriva à Savonne le 28 juin, et il y trouva Louis XII qui l'y avoit attendu; les deux souverains passèrent quatre jours dans des conférences secrètes et très-in times. Louis XII avoit été le premier rendre visite à Ferdinand sur sa galère; à son tour il le reçut ensuite chez lui à Savonne; et l'Italie ne pouvoit concevoir que ces deux monarques si long-temps ennemis, et si peu délicats sur leur parole, se fiassent alternativement l'un à l'autre. Gonzalve de Cordoue accompagnoit le roi catholique, Ferdinand n'avoit pas voulu le laisser après lui à Naples; et Louis XII, rempli d'admiration pour le général qui lui avoit fait tant de mal, voulut que seul entre les hommes privés, il fût admis

1

(1) Jo. Marianæ de rebus Hispan. L. XXIX, c. VI, p. 266. . Jacopo Nardi hist. Fior. Lib. IV, p. 199.

1507.

la table où mangeoient les deux rois et la reine. chap. civ. Toute la cour de France témoigna le même respect pour Gonzalve; mais ce fut le dernier jour de triomphe de ce grand capitaine: tant d'honneurs ne servirent qu'à augmenter la défiance de Ferdinand, qui, lui refusant la grande maîtrise de Compostelle, cherchant à diminuer sa fortune, à rabaisser sa famille, à perdre son crédit auprès de ses amis, le retint à Loxa, à dix milles de Grenade, dans une sorte d'exil, jusqu'au 2 décembre 1515, que Gonzalve mourut d'une fièvre double-quarte, dans la soixantetroisième année de son âge (1).

Les résolutions arrêtées par les deux rois dans leur conférence de Savonne, et qu'on apprit ensuite avoir eu principalement pour objet les affaires de Venise, et celles de Pise, demeurèrent quelque temps encore enveloppées d'un profond secret; tandis que l'entrée de Louis XII en Italie avec une puissante armée, que la soumission de Gênes, que son séjour à Milan, et sa conférence à Savonne avec Ferdinand, éton- ́ noient tous les peuples et alarmoient toutes

(1) Pauli Jovii Vita magni Consalvi Cordubensis. Lib. III, p. 252, usque ad finem, p. 268. Fr. Guicciardini. L. VII, p. 385. Jo. Mariana de rebus Hispan. L. XXIX, c. IX, P. Bizarri Genuens. L. XVIII, p. 425. Jac. Nardi hist. Fior. L. IV, p. 198. - Fr. Belcarii Comm. Rer. Gallic. Lib. X, p. 303.

p. 270.

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