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nacés et outragés par tant d'insolence, ju- CHAP. CIV. rèrent de se venger d'un mépris si peu mé- 1506.

rité (1).

Chaque jour quelque gentilhomme insultoit quelque citoyen de l'ordre du peuple; mais celui-ci ne pouvoit espérer de redressement, parce que la moitié de tous les tribunaux et de tous les conseils, étoit composée de nobles déterminés à soustraire leurs consorts à toute punition, et parce que le gouverneur royal étoit toujours prêt à les seconder. Aussi après chaque outrage, après chaque acte de violence, le peuple se réunissoit-il toujours pour demander que, puisque les familles de l'ordre populaire, illustres, riches et dès long-temps en possession du gouvernement, étoient deux fois plus nombreuses que celles des nobles, elles obtinssent aussi les deux tiers des emplois publics. Cette demande présentée à plusieurs reprises, étoit repoussée avec indignation par les nobles, et éludée par le gouverneur. Mais celui-ci commençoit à devenir inquiet de la fermentation universelle; pour la calmer il se fit la règle de punir également de l'exil l'offenseur et l'offensé, toutes les fois qu'un noble faisoit injure à un homme du peuple, afin

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(1) Jean d'Anton, hist. de Louis XII. Ann. 1506, p. 47. Observations sur les Mémoires de Fleuranges. T. XVI, p. 329. Uberti Folieta. L. XII, p. 687. Ag. Giustiniani Ann. di Gen. L. VI, f. 258.

CHAP. CIV. de les soustraire tous deux aux yeux des fac1506. tieux qu'ils pouvoient aigrir.

Cet artifice retarda quelque temps une explosion qui paroissoit inévitable, il ne put toutefois l'empêcher. Une querelle survenue dans un marché, pour l'occasion la plus futile, entre Visconti Doria, gentilhomme d'ailleurs universellement estimé, mais orgueilleux et irascible comme ses pareils, et un homme du peuple (1), fut immédiatement suivie d'une prise d'armes. Paul-Baptiste Giustiniani et Emmanuel Canali, tous deux de l'ordre du peuple, quoique de fa18 juillet. milles illustres, se mirent à la tête du soulève

(1) « Là feut un nommé Guillon, de ceux du peuple, dit » Jean d'Anton, historien français contemporain, lequel mar» chandoit à quelqu'un qui là estoit, des potirons, que les aul» cuns appellent champignons, et iceux voulut emporter; ce » que vouloit aussi le vicomte Doria, gentilhomme, et meit la » main au pannier où estoient lesdits potirons. Celui Guillon, » qui encore ne les avoit payés, les voulut emporter, disant que » premier les avoit marchandés, et qu'il les auroit; et voyant >> cela, ledit gentilhomme donne un grand coup de poing au travers du visage dudit Guillon, en disant: Emporte cela, » villain, et j'emporterai les potirons.—Et de fait tirà une dague » qu'il avoit, et voulut frapper ledit Guillon, qui tantost quitta >> le gaige, et comme oultragé d'avoir été battu, tout plein d'ire >> et de courroux commence à crier : Pople! pople! sur les gen>> tilshommes, dont tout à coup se meut le peuple.. Si qu'en » moins d'une heure, plus de dix mille villains furent armés par » les rues », Jean d'Anton, hist. de Louis XII, p. 47. — Observ. sur les Mémoires de Fleuranges. T. XVI, p. 330. — Ag, Giustiniani. Lib. VI, f. 259.

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ment. Visconti Doria fut tué, un autre Doria, CHAP. CIV. et quelques nobles encore furent blessés, et Roccabertino, lieutenant du roi, ne réussit à apaiser le tumulte qu'en promettant que désormais l'ordre du peuple auroit deux parts dans les élections, et la noblesse la troisième. La proposition en fut portée le lendemain au conseil souverain, et y reçut force de loi (1).

Mais la victoire étoit due à un soulèvement de tout le peuple, tandis que les familles illustres de l'ordre populaire paroissoient avoir voulu s'en réserver les fruits à elles seules: bientôt elles ne furent plus maîtresses des classes inférieures qu'elles avoient mises en mouvement. Trois jours après qu'on eut porté la loi qui changeoit le partage des honneurs publics, la popu lace, soulevée de nouveau, vint attaquer les maisons des nobles, et les livrer au pillage. Les chefs de l'ordre populaire opposèrent autant de résistance qu'ils purent à ce tumulte anarchique les nobles s'enfuirent, et implorèrent, contre leur patrie, l'assistance des étrangers (2).

(1) Uberti Folieta. L. XII, p. 690. — P. Bizarro hist. Genu. L. XVIII, p. 414. - Fr. Guicciardini. Hist. Lib. VII, p. 371. Fr. Belcarii Comment. Rer. Gallic. L. X, p. 296. — Ag. Giustiniani. Ann. Lib. VI, f. 260.

(2) Uberti Folieta Genuens. hist. Lib. XII, p. 691. — Jacopo Nardi hist. Fior. Lib. IV, p. 192.

CHAP. CIV.

Les nobles génois, fugitifs, se donnèrent 1506. rendez-vous à Asti, et s'y rassemblèrent auprès de Philippe de Ravestein, que Louis XII avoit nommé gouverneur de Gênes, pour que le haut rang de ce seigneur, et le souvenir de l'autorité qu'il avoit déjà exercée dans cette ville, pliassent plus facilement tous les citoyens à l'obéissance. Mais tandis que Jean-Louis de Fieschi, et tous les gentilshommes fugitifs, s'étoient rangés autour de Ravestein, des ambassadeurs de la république arrivèrent auprès de lui, pour justifier la conduite de leurs concitoyens, et assurer le gouverneur de leur soumission. Ravestein fit son entrée à Gênes le 15 août, entouré de troupes, et précédé par les magistrats à pied. Il cherchoit à inspirer de la terreur ; il excita plutôt de la défiance et du ressentiment. L'aristocratie bourgeoise, qui avoit commencé la révo、 lution, craignoit de se compromettre avec lui, et redoutoit d'autre part la rivalité des classes inférieures : mais celles-ci, par leur vigueur, firent comprendre à Ravestein le danger de provoquer une ville puissante, que le moindre abus d'autorité pourroit pousser à la révolte, Il obligea Jean-Louis de Fieschi à sortir de Gênes; il permit la création des magistrats d'après le décret qui faisoit un nouveau partage des hon-neurs publics, et il ne s'opposa point à ce que

le peuple créât en même temps huit tribuns CHAP. CIV. destinés à être ses protecteurs (1).

La même cause qui se plaidoit devant Ravestein, se plaidoit aussi devant Louis XII, à qui la république avoit envoyé le jurisconsulte Nicolas Odérici, comme ambassadeur, pour défendre les prétentions du peuple. Le motif cependant par lequel les nobles avoient le plus cherché à irriter le roi, fut justement celui qui lui fit sentir le besoin de la modération. Ils avoient représenté leurs adversaires comme délibérant déjà s'ils ne soumettroient point la république à tout autre prince étranger.

A cette époque, Philippe Ier, roi de Castille, vivoit encore; et Louis XII, qui le voyoit marcher rapidement à cette puissance qu'atteignit ensuite Charles-Quint, avoit conçu de lui la plus extrême défiance. Pour ne pas lui donner une occasion de prendre pied à Gênes, Louis consentit à sanctionner lui-même le décret qui avoit réduit les nobles au tiers des honneurs publics: mais il y mit pour condition, que tous les fiefs de Jean-Louis de Fieschi dans la rivière du Levant lui seroient rendus. Pendant la durée des troubles, le parti populaire les avoit atta

(1) Uberti Folieta Genuens. histor. L. XII, p. 692. - Petri Bizarri S. P. que Genuens. histor. Lib. XVIII, p. 415. - Fr. Guicciardini Lib. VII, p. 371. Ag. Giustiniani. Lib. VI, f. 260 v.

1506.

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