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CHAPITRE CIV.

Soulèvement de Génes, et sa punition par Louis XII; entrevue de ce monarque avec . Ferdinand-le-Catholique; Maximilien menace la France; il attaque les Vénitiens, puis fait la paix avec eux; détresse de Pise, et sa soumission aux Florentins.

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CHAP. CIV.

1506.

Il n'y avoit eu peut-être point de période dans
l'histoire d'Italie, pendant laquelle Gênes eût
moins attiré l'attention des autres peuples, et
eût moins éprouvé de convulsions intestines
que celle que nous venons de parcourir. La ré-
publique, il est vrai, n'étoit plus libre; elle
n'avoit plus une volonté à elle, elle ne se déci-
doit plus par ses propres délibérations sur le
parti qu'elle embrasseroit. Gênes, que la vio-
lence de ses révolutions avoit jetée sous la do-
mination des Sforza, avoit ensuite passé sous
l'autorité du roi de France, comme si elle eût
fait partie du duché de Milan. C'étoit cepen-
dant par une capitulation volontaire, qu'elle
avoit accordé au souverain de Lombardie à
près les mêmes prérogatives qu'exerçoit aupa-.

peu

ravant son propre doge. Cette capitulation subsistoit toujours entre elle et la France; et quoique la liberté ne fût plus entière, quoique toute énergie publique eût diminué dans la même proportion que les droits des citoyens, quoique cette cité n'eût plus de flottes qui dominassent la Méditerranée, plus d'armées qui disputassent l'empire de l'Italie, plus de trésor qui pût soudoyer les puissances étrangères, plus de commerce enfin qui pût rivaliser avec celui de Venise, ou seulement de Florence, cependant son administration étoit encore républicaine, la constitution étoit demeurée à peu près sur ses antiques bases, et la sûreté des personnes et des propriétés étoit passablement garantie.

Les factions qui, peu d'années auparavant, avoient acquis à Gênes une puissance si redoutable, se sentoient contenues par la crainte du monarque; elles ne répandoient plus de sang, elles ne se disputoient plus l'autorité les armes à la main. La loi avoit partagé les magistratures par égales parts entre les nobles et les plébéiens, et les uns et les autres s'étoient longtemps contentés de ce partage. Mais depuis qu'un gouverneur français tenoit à Gênes la place du doge, ce gouverneur, toujours orgueilleux de sa propre naissance, avoit montré une préférence marquée à la noblesse du pays qu'il administroit. Il ne recevoit qu'elle dans sa société,

TOME XIII.

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CHAP. CIV.

1506.

CHAP CIV. il lui accordoit l'avantage dans toutes les con1506. testations, et lors même qu'il faisoit exécuter entre elle et le peuple la lettre des capitulations, il s'étonnoit que des gens de rien eussent osé dicter des lois à des gens de qualité.

La noblesse génoise profitant de la faveur du gouverneur, avoit pris avec les classes inférieures un ton d'insolence qu'elle ne s'étoit jamais permis aussi long-temps que le doge, selon les anciennes lois de l'état, avoit été tiré exclusivement de l'ordre plébéien. En même temps, sacrifiant toute autre considération à ses jouissances personnelles, elle avoit complétement abandonné le soin de l'indépendance de la patrie, et dans toute contestation, elle embrassoit toujours l'intérêt du maître étranger qui dominoit sur la république (1).

L'opposition entre l'intérêt public des citoyens, et l'intérêt de courtisan qui animoit les nobles, se manifesta lorsque les Pisans en 1504 voulurent se donner aux Génois, et sollicitèrent avec les plus vives instances comme une faveur, ce que dans un autre temps les Génois auroient regardé comme le plus brillant avantage. Tout le parti populaire témoigna son empressement pour accepter cette proposition; la noblesse au contraire connoissant les inten

(1) Fr. Guicciardini. Lib. VII, p. 370.

tions de la cour, s'y opposa avec une extrême CHAP. CIV. obstination (1). Celui parmi elle qui mit le plus 1506. de zèle à déjouer le vœu commun de ses concitoyens, fut Jean-Louis de Fieschi, le plus riche à cette époque de tous les membres de la noblesse, et celui qui pouvoit compter sur les cliens les plus nombreux; car d'un côté il possédoit dans la rivière de Levant des fiefs considérables; de l'autre il tenoit des bontés du roi, des gouvernemens importans dans la rivière de Ponent. Jean-Louis de Fieschi s'opposoit à l'acquisition de Pise', parce qu'il vouloit tenir la république de Gênes dans un état de foiblesse, pour y fonder avec moins d'obstacle le crédit de sa famille ; parce qu'il vouloit plaire à Louis XII, jaloux de tout accroissement de puissance des Génois; enfin parce qu'il ménageoit les Florentins; et l'opinion publique à Gênes l'accusa même d'avoir été gagné par eux à prix d'argent (2). Mais le discours par lequel il chercha à faire prévaloir son opinion, indique l'affoiblissement étrange de la république; sa population n'étoit plus composée, au lieu de matelots et de soldats, que de tisserans et de manufacturiers; en sorte qu'elle trouvoit avec peine de quoi armer deux ou trois galères

(1) Petri Bizarri Senatus populique Genuens. hist. L. XVIÌ,

p. 412.

(2) Uberti Polietæ Genuens. hist. Lib. XII, p. 681.

CHAP. CIV. pour la garde du port, tandis qu'elle n'avoit 1506. point de trésor, et ne vouloit ou ne pouvoit point supporter d'imposition extraordinaire (1).

L'irritation du peuple contre la noblesse alla toujours croissant depuis cette contestation sur l'acquisition de Pise. Il l'accusa dès lors d'avoir sacrifié l'honneur de la patrie aux avantages personnels qu'elle attendoit de la cour. D'ailleurs à cette époque le nom de noblesse étoit restreint à Gênes aux seuls descendans des quatre puissantes familles qui avoient pendant un siècle exercé la souveraineté dans cette république, tandis que les descendans de ceux qui, avant le treizième siècle, avoient partagé l'administration avec les Doria et les Spinola, les Fieschi et les Grimaldi, ou de ceux qui s'étoient élevés depuis l'an 1339, étoient également confondus sous le nom de peuple. Ce dernier ordre égaloit celui des nobles en richesses et en talens, et ne se croyoit pas même inférieur en naissance. Les uns comme les autres se vouoient au commerce, qui inspire des sentimens d'égalité; et lorsque les nobles commencèrent à s'armer de poignards sur le manche desquels ils avoient fait écrire châtie-vilain (castiga-villano), les plébéiens qui se sentoient en même temps me

(1) Uberti Folieta Genuens. hist. L. XII, p. 682.

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