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avec des bouffons, des hommes de plaisir, et cuir. cn. il y admettoit aussi des poètes; mais il paroissoit 1505. donner peu de soins au gouvernement, et ses sujets le jugeoient peu digne du trône. Une ambition démesurée faisoit remarquer ces défauts à son second frère don Ferdinand, et un ardent désir de vengeance poursuivoit le malheureux don Jules. Tous deux cherchèrent des associés pour renverser le gouvernement. Le comte Albertino Boschetti, de Modène, et Gérardo Ruberti, citoyen de Ferrare, se joignirent à eux, sur la promesse d'obtenir les premiers emplois dans un nouveau ministère. Ils cherchoient ensemble les moyens de se défaire du prince. Don Jules vouloit assaillir Alfonse et Hippolythe par le fer et le poison; Ferdinand, qui n'avoit pas les mêmes ressentimens, n'en vouloit qu'à la couronne. D'ailleurs il étoit difficile d'attaquer les deux frères à la fois; on ne les voyoit ensemble que dans les grandes cérémonies, et alors ils étoient entourés d'une garde nombreuse. Ils ne mangeoient jamais à la même table. Alfonse, avec sa joyeuse compagnie, prenoit ses repas de bonne heure; Hippolythe, avec la pompe et la délicatesse d'un homme d'église, prolongeoit les siens jusque après minuit.

Les conjurés, attendant toujours une occasion favorable, n'avoient encore fait aucune tentative; et cependant le chanteur Giani, qui

CHAP. CHL étoit de leur complot, avoit plusieurs fois été 1505. admis auprès du prince avec une telle familia

1506.

rité, qu'il l'avoit lié de ses mains, dans les jeux qu'ils faisoient ensemble. Mais Hippolythe, plus défiant, et ne perdant point le souvenir de sa cruauté passée, veilloit toujours sur don Jules; enfin au mois de juillet 1506, il surprit le secret du complot. Don Jules eut le temps de s'enfuir à Mantoue: ce fut en vain ; il fut livré à Alfonse par le marquis Jean François II de Gonzague; le chanteur Giani, qui avoit aussi pris la fuite, fut livré de même par le pape. La torture infligée aux prévenus, donna de nouveaux renseignemens sur le complot dont on les accusoit. Boschetti, Ruberti et Giani furent mis à mort; Ferdinand et Jules, qui avoient été condamnés au même supplice, reçurent leur grâce comme ils étoient déjà sur l'échafaud; on commua leur peine en une prison perpétuelle; Ferdinand y mourut en 1540, Jules fut remis en liberté en 1559, après cinquante-trois ans de captívité (1).

La maison d'Este étoit alors la principale protectrice des hommes de lettres; la plupart des savans, des historiens et des poètes cherchoient à plaire à Alfonse, et ces événemens cruels

(1) Paolo Giovio Vita di Alfonso d'Este, p. 17. — Muratori Annal. d'Italia. Ann. 1506, p. 34.-Fr. Guicciardini. L. VII, p. 36g.-Fr. Belcarii Comment. L. X, p. 295.

furent déguisés dans leurs récits, ou presque CHAR. GIL. absolument supprimés. Giovio évite de jeter 1506. aucun blâme sur le cardinal Hippolythe, qui par sa barbarie avoit causé l'égarement de ses frères. Jean-Baptiste Giraldi, dans ses commentaires sur l'histoire de Ferrare, dissimule les événemens; l'Arioste, en introduisant les deux malheureux frères parmi les ombres présentées à Bradamanté, ne veut voir en eux qu'une preuve de plus de la clémence d'Alfonse (1). Nous sommes arrivés à un temps où les encouragemens mêmes donnés aux lettres appelèrent les princes à s'occuper beaucoup plus de l'histoire, et les historiens à être beaucoup plus courtisans; leur véracité en souffrit, et les récits qui nous restent méritent moins de confiance.

L'Italie perdant la direction de ses propres affaires, se trouvoit toujours plus dépendante de la politique des étrangers; et depuis que le roi d'Espagne étoit en même temps roi de Naples, que le roi de France étoit en même temps duc de Milan, les négociations qui avoient lieu au-delà des monts, décidoient le plus souvent du sort d'une nation qui ne se gouvernoit plus elle-même. Aussi à cette époque tous les yeux, en Italie, étoient-ils tournés vers l'Espagne, où l'ar

(1) Orlando Furioso, Canto III. str. 60-62.

1506.

CHAP. CUL. chiduc Philippe, devenu roi de Castille par la mort d'Isabelle, s'étoit rendu par mer avec sa femme, son second fils Ferdinand, et une armée assez nombreuse. Il n'avoit point voulu se conformer au testament d'Isabelle qui, reconnoissant la foiblesse d'esprit de sa fille Jeanne, l'avoit soumise à la tutelle de son père, de préférence à celle de son mari. Il avoit sommé Ferdinand de lui rendre l'administration de son royaume de Castille, et voyant celui-ci tellement empressé à lui nuire, que dans ce but il vouloit déshéritér sa propre fille, et que ce motif avoit surtout déterminé son mariage avec Germaine de Foix; Philippe donna ordre à ses ambassadeurs de signer avec Ferdinand, à Salamanque, le 24 novembre 1505; un traité qui n'avoit d'autre but que de l'endormir dans la sécurité; puis il partit au mois de janvier des ports de Flandres (1).

Une tempête avoit jeté Philippe sur les côtes d'Angleterre, et Henri VII, pour complaire au vieux Ferdinand, avoit retenu ce jeune prince trois mois dans son île, avant de lui permettre de se rembarquer. Enfin il arriva en Biscaye, et il y fut reçu avec un égal enthousiasme par la noblesse et le peuple, qui n'aimoient point Ferdinand. Celui-ci, abandonné par ses cour

(1) Robertson's History of the reign of Charles the 7th, B. I, T. II, p. 12, editio 8°. London, 1792.

tisans eux-mêmes, et ne se sentant point en mesure de résister à son gendre, consentit, le 27 juin 1506, à un nouveau traité avec lui, par lequel il renonça à l'administration de la Castille, se réservant seulement pendant sa vie la moitié des revenus des conquêtes d'Amérique, la grande maîtrise des trois ordres de Saint-Jacques de Compostelle, d'Alcantara et de Calatrava, vingt-cinq mille ducats de rente, et la possession exclusive du royaume de Naples. A ces conditions il quitta la Castille, et promit de n'y jamais rentrer (1).

Ferdinand, humilié d'avoir été trompé par un politique bien plus jeune et bien moins habile que lui, et d'avoir été abandonné par ses courtisans et ses sujets, préféroit ne point voir le triomphe de son gendre en Espagne. Il s'embarqua donc à Barcelonne, le 4 septembre, avec l'intention de se montrer à ses nouveaux sujets du royaume de Naples, et de régler l'administration de sa conquête. Sa jalousie de Gonzalve de Cordoue, contribuoit aussi à l'attirer en Italie. Gonzalve, tout-puissant à Naples, chéri de ses soldats, et seul connu des Italiens, pouvoit ou réserver ce royaume pour le roi de Cas

Jacopo Nardi hist.

(1) Fr. Guicciardini. L. VII, p. 360. Fior. L. IV, p. 187. - Fr. Belcarii Comment. Rerum Gallic. Robertson's History of Charles the fifth.

Lib. X, p. 29T.

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A

CHAP. CHI.

1506.

B. I,
P. 16.

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