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Deux attaques étoient poursuivies en même CHAP. xcix. temps, l'une entre Santo-Antonio et Stampace, 1499. l'autre entre Stampace et la porte de la mer, et vingt pièces d'artillerie y étoient dressées en batterie. Vitelli, persistant dans l'ancienne tactique italienne, et ne voulant combattre qu'avec la certitude de vaincre, étoit résolu à ne point donner d'assaut, que les brèches ouvertes par son artillerie ne présentassent un libre passage à ses bataillons. Déjà de larges pans de mur avoient été abattus, mais il ne trouvoit point que ce fût assez; et cependant ses retards donnoient aux Pisans le temps d'élever derrière le mur qu'il battoit en brèche un fort parapet défendu par un large fossé. Aucun danger ne ralentissoit leur ardeur; l'artillerie balayoit leurs ouvrages, sans que les femmes ou les enfans abandonnassent la pelle. Deux sœurs travailloient l'une à côté de l'autre ; l'une fut tuée par un boulet; l'autre, relevant aussitôt ses membres épars, leur donna la sépulture dans le gabion même qu'elle remplissoit; et tout en prenant congé d'elle avec des gémissemens et des sanglots, elle continua son ouvrage sous le feu de la même batterie qui venoit de lui enlever sa compagne (1).

Enfin, les murs qui lioient Stampace aux for

(1) Jacopo Nardi Hist. L. III, p. 98. — Jacopo Arrosti Chroniche di Pisa. f. 210.

CHAP. XCIX. tifications de la ville se trouvèrent également 1499. abattus sur la droite et sur la gauche de cette grosse tour. Le comte Rinuccio avoit été blessé dans une escarmouche; et Paul Vitelli, demeuré seul chargé du commandement de l'armée, résolut, le dixième jour du siége, d'attaquer cette forteresse par un assaut. Elle étoit déjà ébranlée par des brèches fort dangereuses; et quoique les Pisans opposassent une résistance obstinée, les Florentins plantèrent leurs drapeaux sur le haut de la grosse tour de Stampace. Dans la première terreur de cet événement, les Pisans crurent que leur ville même étoit perdue sans ressource. Pierre Gambacorti s'enfuit par la porte opposée, du côté de Lucques, avec quarante arbalêtriers à cheval qui servoient sous lui; la garde du parapet, qui faisoit désormais la seule défense de la ville, étoit ébranlée, et sur le point de fuir. Mais Vitelli n'avoit donné d'ordres que pour l'assaut de la forteresse, et non pour celui de la ville. Rien n'étoit plus éloigné de son caractère et de sa pratique militaire, que de compromettre un succès déjà obtenu en voulant le poursuivre, et en recueillir des fruits qu'il ne s'étoit point proposés d'avance. Il craignoit de s'engager dans une ville occupée par une population valeureuse, et il fit reculer ses soldats, qui ne demandoient qu'à donner un nouvel assaut. Bientôt l'occasion

qu'il n'avoit pas voulu saisir lui échappa sans CMAP, XCIX. retour. Les Pisans, dont un grand nombre 1499. avoient voulu se cacher dans leurs maisons, furent renvoyés au combat par leurs femmes, et ils revinrent avec courage occuper la brèche. Leur artillerie reçut une direction nouvelle, sur les murs voisins, pour en écarter les assaillans; et après la prise de Stampace, la ville fut encore jugée susceptible de défense (1).

Vitelli avoit compté placer une batterie sur la tour même de Stampace, et dominer ainsi les ouvrages des assiégés; mais cette tour, déjà ébranlée par les brèches qu'il y avoit faites luimême, et ensuite par les attaques des Pisans, ne fut pas jugée assez solide pour porter les canons qu'il y avoit fait monter. Cependant il continuoit à faire battre en brèche les murs de la ville l'ouverture qu'avoit faite son artilleric avoit déjà cinquante brasses de largeur, et il n'étoit pas content encore. Il ne vouloit pas qu'à l'assaut ses soldats courussent le moindre danger, ou plutôt, comme les Florentins commencèrent à l'en accuser ouvertement et d'un commun accord, il ne vouloit pas prendre la ville, mais il désiroit conserver le plus long-temps possible les honneurs et les profits du commandement, demeurer à la tête d'une armée

(1) Fr. Guicciardini. L. IV, p. 234. — Jacopo Nardi hist. Fior La III, p. 98. — Jacopo Arrosti Chroniche di Pisa. f. 215.

CHAP. XCIX.

1499.

puissante, pour mettre son aide à l'enchère, au moment où les révolutions de Lombardie décideroient une des puissances qui se faisoient la guerre à appeler un nouveau condottiere, et se faire payer peut-être par les Pisans pour sa modération ou sa lenteur. Mais ces projets ambitieux furent contrariés par la nature. Dans le sol humide de la plaine de Pise, les fossés continuent à être pleins d'eau pendant la plus grande partie de l'été; puis au milieu d'août, l'ardeur du soleil les déssèche; et frappant alors sur le limon putréfié, elle en fait sortir des exhalaisons pestilentielles. En deux jours, la moitié de l'armée fut atteinte d'une fièvre maremmane. Paul Vitelli avoit annoncé qu'il donneroit l'assaut le 23 août : la brêche étoit pratiquable, et le succès auroit été certain, s'il avoit pu mettre en mouvement assez de soldats pour exécuter ses projets; mais ses officiers, les commissaires florentins auprès de l'armée, et lui-même, tout étoit atteint de la même maladie. Cependant des ordres furent donnés aussitôt pour faire arriver au camp de nouveaux renforts, et mettre le général en état de livrer au jour fixé un assaut qui devoit être décisif. Toute leur diligence fut inutile; le nombre des malades croissoit plus rapidement encore que celui des arrivans, et chaque jour Vitelli étoit moins en état de faire un effort vigoureux. Des

pluies chaudes succédèrent à la sécheresse, et CHAP. XCIX. au lieu de rassainir l'air, elles augmentèrent la 1499. mortalité. Il ne restoit plus aucune possibilité de succès; aussi Paul Vitelli abandonna le siége, et transporta son armée à Cascina. Il fit embarquer sur l'Arno sa grosse artillerie, pour l'envoyer à Livourne; une partie de ce convoi tomba entre les mains des Pisans. Malgré les instances des commissaires florentins, il abandonna la tour de Stampace, déclarant qu'ébranlée comme elle l'étoit par ses propres batteries, elle ne pouvoit se défendre, et que la garnison qu'on y laisseroit seroit bientôt faite prisonnière de guerre (1).

Autant les Florentins avoient eu de confiance dans les talens de Paul Vitelli, autant ils éprouvèrent d'irritation de son mauvais succès. Ils crurent que les lenteurs et les précautions exagérées de leur général ne pouvoient avoir pour cause que sa perfidie. Déjà ils lui reprochoient le sauf-conduit qu'il avoit donné au duc d'Urbin et à Julien de Médicis, pour sortir de Bibbiéna; ils avoient aussi témoigné beaucoup de défiance des conférences que Paul Vitelli avoit eues avec ce même Julien et avec Pierre, encore qu'elles fussent publiques, en présence

(1) Fr. Guicciardini. L. IV, p. 235. Scipione Ammirato. L. XXVII, p. 257.-Jacopo Nardi hist. Fior. L. III, p. 100. - Jacopo Arrosti Chroniche di Pisa. mssto. f. 219.

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