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CHAP. CII.

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les factions avoient été comprimées, toutes les voleries des magistrats et des princes avoient cessé; une protection éclairée avoit été accordée à tous les hommes distingués; les militaires avoient trouvé de l'avancement dans les armées, ou dans le commandement des châteaux du duc; les hommes de lettres avoient été richement pourvus de bénéfices ecclésiastiques : l'état prospéroit enfin, et aucun Romagnol ne pouvoit envisager sans crainte le retour des anciens petits seigneurs (1).

Louis de La Trémouille, qui devoit commander l'armée française, avoit été retenu à Parme par une maladie, qui ne lui permit plus de prendre aucune part à cette expédition. Le marquis de Mantoue en avoit pris le commandement comme lieutenant du roi; cependant l'autorité étoit demeurée presque en entier entre les mains du bailli d'Occan et de Sandricourt, parce que les Français dédaignoient d'obéir à un prince étranger. Cette armée étoit entrée en Toscane par le chemin de Pontrémoli; mais elle avoit été retardée par la lenteur des Suisses, qui s'engageoient mal volontiers dans les expéditions désastreuses du royaume de Naples. Enfin elle traversa l'état de Sienne, et elle arriva entre

(1) Fr. Guicciardini. Lib. VI, p. 316. Macchiavelli il Prencipe. Cap. VII, p. 259.

Népi et l'Isola, au moment où les cardinaux CHAP. CII. étoient prêts à entrer au conclave. Le premier 1503. ministre de la France et le favori du roi, le cardinal George d'Amboise, arrivoit en même temps en hâte avec les cardinaux d'Aragon et Ascagne Sforza, auxquels il avoit rendu la liberté, sur l'assurance que leurs suffrages seroient réglés par le sien. Appuyé de toute la protection de son maître, de la disposition de ses trésors, de celle d'une puissante armée, parvenue jusque sous les murs de Rome, il se croyoit presque assuré du souverain pontificat; et il subordonna à ses prétentions personnelles les négociations du cabinet et les opérations de l'ar mée française. Il rechercha surtout le duc de Valentinois, qui se disoit maître de toutes les voix des cardinaux espagnols; pour l'attacher à son parti, il ne craignit pas de mécontenter les Orsini, jusque alors dévoués à la France. Borgia, de son côté, sentit que l'armée de France étoit plus près de lui que celle d'Espagne, et pouvoit Jui faire et plus de bien et plus de mal; il rompit donc les négociations entamées avec Gonzalve de Cordoue, par l'entremise des Colonna, et le premier de septembre, il signa avec les ambassadeurs français un nouveau traité, par lequel il s'engageoit à servir Louis XII avec toutes ses forces, dans la guerre de Naples, tandis qu'en retour le monarque lui garantissoit les états qu'il

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CHAP. GIL avoit encore, et lui promettoit son aide pour recouvrer ceux qu'il avoit perdus (1). Gonzalve de Cordoue, à la nouvelle de ce traité, donna ordre à tous les capitaines espagnols, qui servoient dans l'armée de Borgia, de le quitter pour se ranger sous les drapeaux d'Espagne, s'ils ne vouloient se rendre coupables de haute trahison. Cette ordonnance enleva au duc de Valentinois Hugues de Moncade, Jérôme Oloric, Pédro de Castro, Diégo de Chignones, et d'autres encore de ses plus habiles officiers (2).

La cession des suffrages des cardinaux, dépendans de la maison Borgia, n'avoit pas fait une condition explicite du traité de Valentinois; cependant c'étoit le principal motif qui avoit engagé le cardinal d'Amboise à le signer. Mais ces cardinaux, de la voix desquels on croyoit disposer, songeoient beaucoup plus à leurs avantages futurs qu'à leur reconnoissance pour des bienfaits passés. Ils désirèrent avant tout assurer leur liberté, et celle de leur élection; pour cela, ils ne consentirent à s'enfermer au conclave, qu'après que le cardinal d'Amboise eut pris l'engagement de ne point laisser dépasser Népi à l'armée française, et que César Borgia fut

(1) Fr. Guicciardini. Lib. VI, p. 317. - Jac. Nardi hist. Fior. L. IV, p. 157.

(2) Pauli Jovii Vita magni Consalvi. L. II, p. 230. de Ulloa Vita di Carlo F. L. I, f. 32.

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parti de Rome avec deux cents hommes d'armes CHAP. CIT. et trois cents chevau-légers, pour se rendre à 1503. cette armée (1).

Les cardinaux n'étoient point encore assez avancés dans leurs négociations entre eux pour procéder à une élection définitive. George d'Amboise n'exerçoit point sur le conclave le crédit sur lequel il avoit compté; mais il espéroit, avec plus de temps, gagner de nouveaux partisans; ses adversaires ne doutoient pas, au contraire, qu'il ne perdit quelques voix, dès que l'armée française se seroit éloignée : les uns et les autres reconnoissoient d'autre part combien, pour leur liberté, et pour l'indépendance de l'Église, il seroit dangereux de prolonger le conclave, au milieu de tant de mouvemens militaires. Tous s'accordèrent donc à choisir pour pape un cardinal dont les forces épuisées, et la maladie bien connue, faisoient prévoir la fin prochaine. Ce fut François Piccolomini, neveu du pape Pie II, par lequel il avoit été fait archevêque de Sienne, et ensuite cardinal. Ce doyen des cardinaux, qui jouissoit d'une haute réputation de vertu, réunit les suffrages de trente-sept de ses frères, sur trente-huit qui se trouvoient au conclave. Il fut proclamé le 22 septembre, et couronné le 8 octobre, sous le nom de Pie III (2):

(1) Fr. Guicciardini. L. VI, p. 318.

(2) Onofrio Panvino Vita di Pio III. 219 Pontefice, p. 481.

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Après cette élection, l'armée française qui n'avoit plus de motif de s'arrêter, passa le Tibre, et continua sa route vers le royaume de Naples; le duc de Valentinois, qui étoit toujours malade, et qui s'étoit fait porter en litière à Népi, se fit rapporter de même à Rome, où il se fortifia dans le Borgo, avec deux cent cinquante hommes d'armes, autant de chevau-légers, et huit cents fantassins. Les Orsini qui soupiroient après le moment où ils pourroient se venger de lui, étoient de leur côté entrés dans la ville avec leurs troupes, et s'y fortifioient dans un autre quartier. Ils y avoient appelé Jean Paul Baglioni et Barthélemi d'Alviano; et chaque jour ils livroient des combats aux gens de Va-· lentinois. Au moment où la guerre alloit se renouveler, ils traitoient comme condottiéri pour se mettre à la solde de l'une ou l'autre des puissances. Leur inclination les portoit pour la France, et elle étoit encore augmentée par leur rivalité avec les Colonna qui étoient engagés à J'Espagne. Mais le cardinal d'Amboise les avoit vivement offensés par la faveur qu'il avoit mon trée à Valentinois : il avoit ensuite marchandé leurs services, comme s'il ne tenoit aucun

Fr. Guicciardini. L. VI, p. 318. Raynaldi Ann. eccles. 1503,
§. 13, p. 541. Petri Bembi histor. Ven. L. VI, p. 154.
Jacopo Nardi hist. Fior. L. IV, p. 158.
p. 274. — Arn. Ferroni. L. III, p. 54.

-Fr. Belcarii. L. IX,

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