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1503.

CHAP CHI. tés, résolut d'attaquer l'Espagne en même temps par Baïonne et Fontarabie, et par le comté de Roussillon; de faire ravager les côtes de Catalogne et de Valence par une flotte française; enfin de faire marcher dans le royaume de Naples, une armée suffisante pour y recouvrer la supériorité (1).

Le commandement de cette armée fut donné à Louis de La Trémouille; sous lui devoit servir François de Gonzague, marquis de Mantoue, le même qui avoit arrêté les Français à Fornovo, et qui avoit commandé l'armée vénitienne envoyée contre eux dans la Pouille. Le Bailli de Bissy avoit été chargé de lever et de conduire les Suisses. Les Florentins, les Siennois, les princes de Ferrare, de Mantoue et de Bologne, avoient promis des contingens; l'armée de La Trémouille devoit être forte de dixhuit cents lances, et de dix-huit mille fantassins; une flotte puissante devoit la seconder, et l'on n'avoit point encore vu la France faire d'appareil plus formidable (2). Cependant La Trémouille avant de s'engager dans le royaume de Naples, vouloit être sûr de la conduite que tien

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(2) Fr. Guicciardini. Lib. VI, p. 313, Jacopo Nardi. L. IV, p. 153. Mémoires de La Trémoille. T. XIV, ch. XI, p. 167.-Pauli Jovii Vita magni Consalvi. L. II, p. 229.

droient le pape et son fils. Aux craintes déjà si CHAP. CII. légitimes qu'excitoit leur caractère, se joignoit 1503. depuis quelque temps la défiance que devoient causer leurs négociations contradictoires; les prétentions insolentes du pape qui vouloit poursuivre, et dépouiller de ses fiefs Gian Giordano Orsini, quoiqu'il fût sous la protection expresse du roi (1); la permission qu'il avoit accordée aux Espagnols de recruter dans Rome même, et les intrigues bien connues de Valentinois avec Gonzalve de Cordoue. Valentinois qui avoit cinq cents hommes d'armes sous ses ordres, offroit de les joindre à l'armée française, pourvu que Louis XII lui sacrifiât nonseulement Gian Giordano Orsini, mais l'état de Sienne; et les Français étoient sur le point de souscrire à ce honteux traité, lorsque Borgia en proposa un moins ignominieux, mais plus dangereux. Il leur offrit le passage par l'état de l'Église, en demeurant lui-même neutre et armé. Il étoit facile de reconnoître que son intention étoit de se décider d'après les circonstances, pour accabler les vaincus ; ou bien qu'en dépit de ses promesses, pendant que les Français seroient dans le royaume de Naples, il attaqueroit la Toscane laissée par eux dégarnie de troupes (2). Mais au milieu de ces projets et de

(1) Jacopo Nardi hist. Fior. Lib. IV, p. 151–154. (2) Idem, p. 155.

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CHAP. CII. ces espérances, le pape Alexandre VI fut frappé le 18 août d'une mort presque subite; le duc César Borgia son fils, et le cardinal de Cornéto, furent en même temps rapportés à Rome, presque moribonds, d'une vigne où ils devoient souper avec lui, et le corps d'Alexandre VI, bientôt couvert d'une gangrène noire et effrayante, donna lieu à tout le public de supposer que lui, son fils et son convive, étoient victimes d'un poison qu'il avoit lui-même préparé pour un autre (1).

La vie entière d'Alexandre Borgia avoit été signalée par tant de crimes, il avoit si bien mérité la haine de Rome, de l'Italie et de la chrétienté, qu'il ne faut point s'étonner si sa mort fut attribuée aux forfaits mêmes auxquels il avoit accoutumé sa cour, et si l'on fut empressé de trouver dans le renversement si rapide de sa famille, et dans la juste punition de sa scélératesse, une conséquence des moyens odieux qu'il mettoit en usage pour augmenter sa fortune. On avoit vu pendant tout son pontificat, Alexandre VI retirer un double avantage pécuniaire, des promotions au sacré collége, que la constitution de l'Église lui donnoit le droit de faire. En onze promotions il avoit créé quarante

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(3) Fr. Guicciardini. L. VI, p. 314. Raphael Volaterranus. Lib. XXII, apud Raynald. Annal. eccles. 1503, §. 10,

p. 540.

pape

1503.

trois cardinaux (1); presque aucune de ces no- CHAP, CH, minations n'avoit été gratuite; la plupart lui rapportoient au moins dix mille florins; celle de Francesco Sodérini, frère du gonfalonier de Florence, lui en avoit rapporté vingt mille; celle de Doménico Grimani, fils du procurateur de Saint-Marc, trente mille; d'autres avoient peut-être été payées à un plus haut prix. Mais c'étoit peu pour le de vendre cette premièredes dignités ecclésiastiques. Les cardinaux employés par lui dans l'administration, s'enrichissoient rapidement; le pape fut accusé d'en avoir fait périr un grand nombre, pour s'emparer de leurs héritages, et pour disposer de leurs bénéfices, qui retournoient au saint-siége. C'étoient là, disoit-on, les criminelles ressources par lesquelles le pape suffisoit aux dépenses prodigieuses que demandoient et l'entretien des armées du duc de Valentinois, et le luxe de la cour pontificale, et les prodigalités de Lucrèce Borgia, et l'établissement des autres fils et neveux d'Alexandre. L'on raconta et l'on crut dans toute l'Italie, que le pape avoit invité le cardinal Adrien de Cornéto à un repas, dans sa vigne de Belvédère, près du Vatican; qu'il avoit l'intention de l'y empoisonner, comme il avoit fait auparavant des cardinaux de Saint-Ange,

(1) Onofrio Panvino Vita di Alessandro F1, p. 479.

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CHAP. CH.

1503.

de Capoue et de Modène, autrefois ses ministres
les plus zélés, ensuite les victimes de sa cupidité.
Que le duc de Valentinois avoit envoyé un vin
empoisonné à l'échanson du pape, sans le mettre
dans sa confidence, et en lui recommandant
seulement de ne point le donner sans un ordre
exprès; que pendant l'absence momentanée de
cet échanson, son remplaçant donna par erreur
de ce vin au pape, à César Borgia, et au car-
dinal de Cornéto. Ce dernier dit ensuite lui-
même à Paul Jove, qu'au moment où il eut
pris ce breuvage, il sentit dans ses entrailles
un feu ardent, qu'il perdit la lumière du jour,
et bientôt l'usage de tous ses sens, et qu'après
une longue maladie, son rétablissement fut pré-
cédé l'excoriation de toute sa peau (1).
Les écrivains contemporains les mieux in-
formés et les plus détaillés, s'accordent sur les
circonstances de cet événement. Cependant un
journal de la cour de Rome, et les lettres de
l'ambassadeur de la maison d'Este, semblent
prouver que la maladie du pape dura huit jours,
qu'on la qualifia de fièvre pernicieuse, et qu'on
la traita comme telle (2). Après tout, nous ne sa-

par

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- Vila

(1) Paulo Giovio Vita di Leone X. Lib. II, p. 82. del cardinale Pompeo Colonna, p. 358. Ejusd. Vita magni Consalvi. L. II, p. 229. Fr. Guicciardini. Lib. VI, p. 314.

Alf. de Ulloa Vita di Carlo V. L. I, f. 31.

(2) Muratori Annali d'Italia, T. X, p. 15.- Raynaldi Ann.

eccles. 1503, §. 11, p. 541.

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