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entre eux et les Anglais un fossé, une fosse. C'était le chemin creux d'Ohain.

L'instant fut épouvantable. Le ravin était là, inattendu, béant, à pic sous les pieds des chevaux, profond de deux toises 5 entre son double talus; le second rang y poussa le premier, et le troisième y poussa le second; les chevaux se dressaient, se rejetaient en arrière, tombaient sur la croupe, glissaient les quatre pieds en l'air, pilant et bouleversant les cavaliers, aucun moyen de reculer, toute la colonne n'était plus qu'un projectile, 10 la force acquise pour écraser les anglais écrasa les français, le ravin inexorable ne pouvait se rendre que comblé ; cavaliers et chevaux y roulerent pêle-mêle se broyant les uns les autres, ne faisant qu'une chair dans ce gouffre, et quand cette fosse fut pleine d'hommes vivants, on marcha dessus et le reste passa. 15 Presque un tiers de la brigade Dubois croula dans cet abîme. Ceci commença la perte de la bataille.

Une tradition locale, qui exagère évidemment, dit que deux mille chevaux et quinze cents hommes furent ensevelis dans le chemin creux d'Ohain. Ce chiffre vraisemblablement 20 comprend tous les autres cadavres qu'on jeta dans ce ravin le lendemain du combat.

Napoléon, avant d'ordonner cette charge des cuirassiers de Milhaud, avait scruté le terrain, mais n'avait pu voir ce chemin creux qui ne faisait pas même une ride à la surface du 25 plateau. Averti pourtant et mis en éveil par la petite chapelle blanche qui en marque l'angle sur la chaussée de Nivelles, il avait fait, probablement sur l'éventualité d'un obstacle, une question au guide Lacoste. Le guide avait répondu non. On pourrait presque dire que de ce signe de tête d'un paysan est 80 sortie la catastrophe de Napoléon.

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D'autres fatalités encore devaient surgir

Était-il possible que Napoléon gagnât cette bataille? nous répondrons non. Pourquoi? à cause de Wellington? à cause de Blücher? non. À cause de Dieu.

Bonaparte vainqueur à Waterloo, ceci n'était plus dans la loi du dix-neuvième siècle. Une autre série de faits se préparait, où Napoléon n'avait plus de place. La mauvaise volonté des événements s'était annoncée de longue date.

Il était temps que cet homme vaste tombât.

L'excessive pesanteur de cet homme dans la destinée humaine troublait l'équilibre. Cet individu comptait à lui seul plus que

le groupe universel. Ces pléthores de toute la vitalité humaine

concentrée dans une seule tête, le monde montant au cerveau d'un homme, cela serait mortel à la civilisation, si cela durait. Le moment était venu pour l'incorruptible équité suprême d'aviser. Probablement les principes et les éléments, d'où 5 dépendent les gravitations régulières dans l'ordre moral comme dans l'ordre matériel, se plaignaient. Le sang qui fume, le trop-plein des cimetières, les mères en larmes, ce sont des plaidoyers redoutables. Il y a, quand la terre souffre d'une surcharge, de mystérieux gémissements de l'ombre, que l'abîme 10 entend.

Napoléon avait été dénoncé dans l'infini, et sa chute était décidée.

Il gênait Dieu.

Waterloo n'est point une bataille; c'est le changement de 15 front de l'univers.

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13. LA MARSEILLAISE.

ROUGET DE L'ISLE (1760-1836).
Allons, enfants de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé!
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé.
Entendez-vous dans les campagnes
Mugir ces féroces soldats?

Ils viennent jusque dans nos bras,
Égorger nos fils, nos compagnes!

Aux armes, citoyens! formez vos bataillons!
Marchons, marchons !

Qu'un sang impur abreuve nos sillons!
Marchons, marchons !

Qu'un sang impur abreuve nos sillons!

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Aux armes, citoyens! formez vos bataillons!
Marchons, marchons !

Qu'un sang impur abreuve nos sillons!
Marchons, marchons !
Qu'un sang impur abreuve nos sillons!

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14. LA FEUILLE.

ARNAULT (1766-1834).

"De ta tige détachée,

Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu?-Je n'en sais rien.

L'orage a brisé le chêne

Qui seul était mon soutien ;
De son inconstante haleine,
Le zéphyr ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer,
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose

Et la feuille de laurier."

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16. LA CHIMÈRE.

THEOPHILE GAUTIER (1811-1872).

Une jeune chimère, aux lèvres de ma coupe,
Dans l'orgie, a donné le baiser le plus doux;
Elle avait les yeux verts, et jusque sur sa croupe
Ondoyait en torrent l'or de ses cheveux roux.

Des ailes d'épervier tremblaient à son épaule;
La voyant s'envoler, je sautai sur ses reins;
Et, faisant jusqu'à moi ployer son cou de saule,
J'enfonçai comme un peigne une main dans ses crins.

Elle se démenait, hurlante et furieuse,

Mais en vain. Je broyais ses flancs dans mes genoux
Alors elle me dit d'une voix gracieuse,

Plus claire que l'argent: Maître, où donc allons-nous ?

Par delà le soleil et par delà l'espace,

Où Dieu n'arriverait qu'après l'éternité;

Mais avant d'être au but ton aile sera lasse:
Car je veux voir mon rêve en sa réalité.

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17. EXTASE.

VICTOR HUGO (1802-1885).

J'étais seul près des flots, par une nuit d'étoiles.
Pas un nuage aux cieux, sur les mers pas de voiles.
Mes yeux plongeaient plus loin que le monde réel.
Et les bois, et les monts, et toute la nature,
Semblaient interroger dans un confus murmure
Les flots des mers, les feux du ciel.

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