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passser B au travers de soi, sans qu'il arrivât nul changement au mouvement de l'un ni de l'autre.

Donc, de cela seul précisément, que les corps sont tels de leur nature, il suit qu'ils doivent par le choc changer le mouvement les uns des autres.

Donc ils le changent comme Causes véritables, et non comme Causes occasionnelles.

J'ai omis exprès deux cas chimériques.

L'un que A demeure immobile à la rencontre de B. Mais alors B, comme Cause véritable, fait cesser le mouvement de A, ou même lui donne un mode positif, si le repos en est un, comme le prétendent les Cartésiens.

L'autre, qu'à la rencontre de B, A soit réfléchi et retourne vers le lieu d'où il vient.

Mais alors B, comme Cause véritable, change la détermination du mouvement de 4.

Et quand les corps, en vertu de leur essence seule, et avant le décret, ne feraient que changer par le choc la détermination de leurs mouvemens, et non les mouvemens mêmes, cela suffirait pour ma preuve.

Car la grande raison du P. Malebranche, pour ne donner aux corps que la qualité de Causes occasionnelles, c'est que le mouvement n'est que l'existence même d'un corps, en tant qu'il existe successivement en différens lieux; que, puisque Dieu peut seul donner l'existence et la conserver, il peut aussi donner le mouvement; que tout mouvement d'un corps est donc une action immédiate de Dieu, et que par conséquent nulle créature ne peut avoir la force d'y rien changer, comme Cause véritable.

Je tâcherai dans la suite de répondre à ce raisonne

ment, qui, à dire vrai, est fort beau. Mais maintenant vous voyez bien que si vous en changez les termes, et que si vous mettiez détermination de mouvement au lieu de mouvement, vous trouverez que nulle créature ne doit avoir la force de rien changer, comme Cause véritable, à une détermination que Dieu a imprimée.

Cependant le moins qui puisse arriver dans l'hypothèse que nous avons faite, encore est-il inconcevable que cela arrivât, c'est que B, comme Cause véritable, change la détermination de A, ce qui vaut autant par rapport au raisonnement du P. Malebranche, que de changer le mouvement de A; et il est visible que les créatures étant une fois Causes véritables à l'égard des déterminations des mouvemens, tout le système des Causes occasionnelles est ruiné par les conséquences,

Mais, disent toujours les Cartésiens, quelle liaison entre le mouvement d'un corps et celui d'un autre? Conçoit-on comment se fait le passage du mouvement? On conçoit bien au contraire quelle liaison il y a entre la volonté de Dieu sur le mouvement d'un corps, et le mouvement de ce corps.

Presque tout cela est vrai. Je conviens que, pour établir une Cause véritable, il faut voir une liaison nécessaire entre elle et son effet, et que l'on ne conçoit point comment le mouvement d'un corps passe dans un autre. Je conviens que je vois clairement la liaison qui est entre la volonté de Dieu et le mouvement d'un corps mais les Cartésiens se trompent de croire en tirer avantage.

Tout l'art de la philosophie ne consiste qu'à démêler les unes d'avec les autres, des idées qui paraissent les

mêmes. Pour établir une Cause véritable, il faut voir une liaison nécessaire entre elle et son effet; mais il n'est pas besoin de voir comment elle produit son effet. Dieu est Cause véritable de tous les êtres. Je conçois bien que, puisqu'il est tout-puissant par son essence, il est impossible qu'il veuille qu'une chose soit, et que cette chose ne soit pas. Mais conçois-je comment cette chose est, sitôt que Dieu veut qu'elle soit? Nullement; au contraire, mon esprit est si faux, qu'il me représente l'action de Dieu comme quelque chose qui étant terminé et renfermé en lui-même, ne devrait rien produire au dehors. Je n'entends point comment cet être possible qui n'est point, est averti que Dieu veut qu'il soit. Je n'entends point où il prend ce qui le fait être ; c'est-à-dire proprement, que je ne vois que la nécessité du fait, mais que la manière dont il arrive m'échappe entièrement. Les mêmes difficultés tombent sur la manière dont un corps vient à être en mouvement, lorsque Dieu veut qu'il y soit. Je conçois seulement qu'il y est, puisque Dieu le veut.

De même je vois clairement, que puisque les corps sont impénétrables, ils doivent, en se rencontrant, se communiquer un mouvement, les uns aux autres; je viens de le prouver : mais comment ce mouvement passe-t-il des uns dans les autres? je n'en sais rien. S'il fallait entendre ces sortes de comment là, je ne trouverais pas que Dieu même fût une Cause véritable d'aucun effet.

J'ai cherché long-temps s'il ne pouvait y avoir d'autre réponse au raisonnement que nous avons fait; je n'en ai trouvé qu'une, indirecte, à la vérité, et qui n'est pas trop de bonne foi: mais je ne laisserai pas de

la proposer pour la prévenir, si elle venait en pensée à quelqu'un.

Peut-être donc me répondra-t-on, qu'on me refuse absolument l'hypothèse par laquelle j'ai mis A et B en mouvement; qu'il est vrai qu'avant le décret de Dieu, qui établit le choc Cause occasionnelle de la communication des mouvemens, chaque corps en particulier peut être mu et en choquer un autre, mais qu'afin qu'ils commencent à se mouvoir pour se choquer, il faut nécessairement qu'ils poussent et déplacent, c'està-dire, meuvent d'autres corps interposés, supposé le plein: que comme le plein est constant d'un côté chez les Cartésiens, et que d'un autre côté ils croient impossible qu'un corps en meuve un autre, ils ne sauraient accorder que A et B viennent à se choquer, parce que pour cela il faudrait qu'ils eussent déjà mu d'autres corps; qu'ainsi, avant le décret, tout sera immobile, non que les corps, avant ce décret, ne pussent être mus, car cela est de leur nature, mais à cause du plein qui fait qu'ils ne peuvent être mus sans en mouvoir d'autres, ce qui ne se peut qu'après le

décret.

Mais prenons garde : cette impuissance des corps qui fait qu'ils ne peuvent, comme Causes véritables, se communiquer du mouvement les uns aux autres, est de leur nature : le décret de Dieu, qui les établit occasions de mouvement les uns des autres, ne leur donne aucune force mouvante. Toute vertu, toute efficace, quelle qu'elle soit, est, selon le P. Malebranche, droit inaliénable de Dieu.

un

Donc l'impuissance de mouvoir d'autres corps est essentielle aux deux corps particuliers A et B.

Donc ils la conserveront dans toute hypothèse qui ne détruira point leur essence.

Je n'entre point dans la question du plein et du vide; je reconnais maintenant le plein.

Mais je puis prendre l'hypothèse du vide, et en tirer un raisonnement, par impossible; cela est dans les règles.

:

L'hypothèse du vide n'est point contre l'essence de A et de B, car en les concevant dans le vide, je ne les conçois pas moins étendues, figurées, mobiles, incapables même, si vous voulez, de mouvoir d'autres corps mais il est vrai que je détruis l'essence de l'espace où je les conçois, parce que je ne conçois point cet espace comme un corps, quoiqu'il en soit un. Or, cela est indifférent à notre question, qui n'a nul rapport à l'essence. de l'espace où je mets les corps, mais seulement à celle des corps. Il n'est pas de leur essence d'être dans un espace plein, quoiqu'ils y soient toujours; mais il est de l'essence de l'espace d'être plein.

Si l'impuissance de A et de B était de leur nature, ils la conserveraient dans l'hypothèse du vide qui ne la détruit point.

Mais dans cette hypothèse, ils pourront bien être mus, sans mouvoir d'autres corps interposés.

Après qu'ils auront commencé à être en mouvement, je veux qu'ils viennent à se choquer.

Alors il faudra qu'il arrive quelqu'un des cas rapportés ci-dessus, qui prouvent que A et B auront une action de Cause véritable..

Donc, puisque, dans une hypothèse qui ne détruit nullement leur nature, ils ne conserveront point leur

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