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comme il devait l'être, de la spiritualité de l'âme, vit qu'il n'y avait pas moyen de la bien établir, à moins qu'on ne mit une extrême disproportion entre ce qui est étendu et ce qui pense; en sorte que, quoiqu'on élevât infiniment l'être étendu, ou quoiqu'on abaissât infiniment l'être qui pense, jamais l'un ne pût arriver à l'autre. Tous ceux qui méditeront un peu sur cette matière, sont dans la nécessité de cette supposition, et seront effrayés de l'absurdité du système commun, où l'on donne aux bêtes une âme matérielle qui pense.

Mais si l'âme et le corps sont si disproportionnés, comment les mouvemens du corps causent-ils des pensées dans l'âme? comment les pensées de l'âme causentelles des mouvemens dans le corps? Quel lien approche deux êtres si éloignés? Voilà la difficulté qui fit inventer à Descartes les Causes occasionnelles. Il trouva que, puisqu'un mouvement et une pensée n'avaient nulle liaison naturelle, ils ne pouvaient être à l'égard l'un de l'autre Causes véritables (car il faut voir une liaison nécessaire entre la Cause véritable et son effet); mais qu'ils pouvaient être occasion ou Cause occasionnelle l'un de l'autre, parce que Dieu, à l'occasion d'un mouvement du corps, pouvait imprimer une pensée à l'âme, ou à l'occasion d'une pensée de l'âme, imprimer un mouvement au corps. Comme les mouvemens et les pensées n'avaient aucune liaison naturelle, parce qu'il ne peut point y en avoir entre la Cause occasionnelle et son effet, Dieu demeura la seule Cause véritable des uns et des autres, et il fut, pour ainsi dire, le seul médiateur de tout le commerce qui est entre le corps et l'âme.

Ensuite Descartes s'aperçut que l'on ne peut concevoir comment le mouvement d'un corps passe dans un autre, et toujours avec des proportions très exactement observées. Il avait déjà en main des Causes occasionnelles qui devaient leur naissance au système de l'âme; il vit qu'en les appliquant aux corps, il faisait cesser toute la difficulté: il fit donc les corps simples Causes occasionnelles de la communication des mouvemens les uns à l'égard des autres, puisqu'on ne concevait point quelle était la liaison entre le mouvement d'un corps et celui d'un second corps choqué par le premier, ni comment le mouvement du premier passait dans le second; et il voulut que Dieu fût la Cause véritable qui, à l'occasion du choc de deux corps, transportait quelque chose du mouvement de l'un dans l'autre car on voit toujours bien une liaison nécessaire entre la volonté de Dieu, et son effet.

Tel fut l'accroissement des Causes occasionnelles dans la physique : elles l'occupèrent tout entière sous Descartes. Le P. Malebranche est venu, aussi grand philosophe et théologien, que Descartes était grand philosophe, et il a transporté les Causes occasionnelles dans la théologie. Il prétend que les anges aient été les Causes occasionnelles des œuvres surprenantes de Dieu dans l'Ancien Testament, et que sous le Nouveau, Jésus-Christ, en tant qu'homme, soit la Cause occasionnelle de la distribution de la grâce. Ainsi les Causes occasionnelles furent faibles dans leur naissance, et inventées pour subvenir à un besoin pressant : mais peu à peu la commodité dont on les a trouvées, les a fait porter infiniment plus loin que la première nécessité ne demandait.

Ce n'est pas mon dessein de les suivre jusques dans la théologie dont elles se sont nouvellement emparées, c'est à Arnauld à les en chasser, s'il est possible. Je déclare que je me borne uniquement à la physique, et que je suis seulement en peine de savoir si ce système y peut être admis. Encore ne veux-je pas même toucher à l'union de l'âme et du corps, quoiqu'elle soit de la dépendance de la physique je ne parlerai que de deux corps que l'on prétend être l'un à l'autre Cause occasionnelle de mouvement. Je ferai voir d'abord pourquoi il me paraît qu'ils en sont Causes véritables ; ensuite je prouverai que Dieu dans ce système n'agit ni simplement, ni par des lois générales, ni plus en souverain que dans le système commun. Ceux qui entendent un peu cette matière, verront bien que tout ceci à rapport aux principaux avantages que les défenseurs des Causes occasionnelles attribuent à leur opinion. Ils soutiennent qu'il n'y a qu'eux qui fassent agir Dieu d'une manière qui porte le caractère de ses attributs, toujours avec une simplicité extrême, toujours par des lois générales, toujours en maître et en créateur de toutes choses. Mais je trouve que sur les deux premiers points ils font tout le contraire de ce qu'ils prétendent; et que sur le dernier ils ne font rien de mieux que nous. Je demande qu'on ne s'étonne point de mes paradoxes, et qu'on diffère, s'il se peut, la surprise jusqu'après mes preuves.

CHAPITRE III.

Qu'il semble que les corps ne sont point Causes occasionnelles, mais Causes véritables de mouvement les uns à l'égard des autres.

C'est un des articles dont je me défie le plus, parce qu'il est de ceux qui me paraissent les plus clairs, et que je ne comprends point comment mille autres n'ont point eu la même vue.

Une Cause véritable est celle entre laquelle et son effet on voit une liaison nécessaire, ou, si vous voulez, qui précisément parce qu'elle est, ou est telle, fait qu'une chose est, ou est telle.

Une Cause occasionnelle est celle qui ne fait rien précisément, parce qu'elle est, ou est telle, mais parce que, quand elle est, ou est telle, une cause véritable agit; en sorte qu'entre la Cause occasionnelle et son effet, vous ne voyez point de liaison nécessaire.

Je crois que de ces définitions, il suit évidemment ce que je prétends.

Selon le P. Malebranche, les corps n'ayant nulle force de se mouvoir les uns les autres, Dieu a fait un décret par lequel il s'oblige lui-même à transporter quelque chose du mouvement de l'un dans l'autre, à l'occasion de leur choc, selon les différentes proportions de grosseur et de vitesse qui seront dans ces corps.

Ce décret ne rend pas les corps capables de se choquer, d'être inégaux en grandeur, inégalement mus; il suppose en eux ces trois choses qui ne dépendent que de leur nature seule cela est clair.

:

Je suppose donc qu'avant ce décret, que je veux qui

ne soit pas fait encore, deux corps A et B se meuvent vers le même but ; que A soit un très grand nombre de fois plus grand et mu plus vite que B; que A soit un corps concave, et qu'enfin il vienne à rencontrer B par la partie concave. Il n'y a rien là qui ne précède le décret de la communication, et ne soit tiré de la seule nature des

corps.

Je demande ce qui arrivera à la rencontre de A et de B.

Il faudrait que, puisque les corps ne peuvent d'euxmêmes augmenter ni diminuer par le choc le mouvement les uns des autres, A et B conservassent la même quantité de mouvement qu'ils avaient.

Mais il est absolument impossible qu'ils la conservent tous deux en même temps.

Si A conserve tout son mouvement, il faut qu'il pousse B devant soi, et que par conséquent le mouvement de B augmente beaucoup.

Et B ne le peut éviter en se tirant de dedans A; car je suppose la ligne de la profondeur de A beaucoup plus grande que celle que B peut décrire en un instant, sans augmenter son mouvement.

Si le mouvement de B n'augmente pas, il faut que A ne fasse plus que suivre B, et que son mouvement diminue beaucoup.

Donc avant le décret par lequel Dieu établit le choc Cause occasionnelle de l'augmentation ou de la diminution des mouvemens, il faut nécessairement que les mouvemens augmentent ou diminuent par le choc.

Et remarquez que la seule impénétrabilité des corps rend nécessaire l'un des cas que j'ai proposés.

Car s'ils n'étaient pas impénétrables, A laisserait

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