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dansent avec toute la liberté imaginable. A Canope, il y a sur le canal une infinité d'hôtelleries qui servent à retirer ces voyageurs, et à favoriser leurs divertissemens.

Aussi le sophiste Eunapius, païen, paraît avoir grand regret au temple de Sérapis, et nous en décrit la fin malheureuse avec assez de bile. Il dit que des gens qui n'avaient jamais entendu parler de la guerre, se trouvèrent pourtant fort vaillans contre les pierres de ce temple, et principalement contre les riches offrandes dont il était plein; que dans ces lieux saints on y plaça des moines, gens infâmes et inutiles, qui, pourvu qu'ils eussent un habit noir et mal-propre, prenaient une autorité tyrannique sur l'esprit des peuples; et que ces moines, au lieu des dieux que l'on voyait par les lumières de la raison, donnaient à adorer des têtes de brigands punis pour leurs crimes, qu'on avait salées afin de les conserver. C'est ainsi que cet impie traite les moines et les reliques : il fallait que la licence fût encore bien grande du temps qu'on écrivait de pareilles choses sur la religion des empereurs. Rufin ne manque pas de nous marquer qu'on trouva le temple de Serapis tout plein de chemins couverts, et de machines disposées pour les fourberies des prêtres. · Il nous apprend, entre autres choses, qu'il y avait à l'orient du temple une petite fenêtre par où entrăit à certain jour un rayon du soleil qui allait donner sur la bouche de Sérapis. Dans le même temps, on apportait un simulacre du soleil qui était de fer, et qui, étant attiré par de l'aimant caché dans la voûte, s'élevait vers Sérapis. Alors, on disait que le soleil saluait ce dieu ; mais quand le simulacre de fer retombait, et que le

rayon se retirait de dessus la bouche de Sérapis, le soleil lui avait assez fait sa cour, et il allait à ses affaires.

Après que Théodose eut défait le rebelle Eugène, il alla à Rome où tout le sénat tenait encore pour le paganisme. La grande raison des païens était que, depuis douze cents ans, Rome s'était fort bien trouvée de ses dieux, et qu'elle en avait reçu toutes sortes de prospérités. L'empereur harangua le sénat, et l'exhorta à embrasser le christianisme; mais on lui répondit toujours que, par l'usage et l'expérience, on avait reconnu le paganisme pour une bonne religion, et que si on le quittait pour le christianisme, on ne savait ce qui en arriverait. Voilà quelle était la théologie du sénat romain. Quand Théodose vit qu'il ne gagnait rien sur ces gens-là, il leur déclara que le fisc était trop chargé des dépenses qu'il fallait faire pour les sacrifices, et qu'il avait besoin de cet argent-là pour payer ses troupes. On eut beau lui représenter que les sacrifices n'étaient point légitimes s'ils ne se faisaient de l'argent public, il n'eut point d'égard à cet inconvénient. Ainsi, les sacrifices et les anciennes cérémonies cessèrent, et Zozime ne manque pas de remarquer que depuis ce temps-là, toutes sortes de malheurs fondirent sur l'empire Romain.

Le même auteur raconte qu'à ce voyage que Théodose fit à Rome, Serena, femme de Stilicon, voulut entrer dans le temple de la mère des dieux pour lui insulter, et qu'elle ne fit point de difficulté de s'accommoder d'un beau collier que la déesse portait. Une vieille vestale lui reprocha fort aigrement cette impiété, et la poursuivit jusques hors du temple avec

mille imprécations. Depuis cela, dit Zozime, la pauvre Serena eut souvent, soit en dormant, soit en veillant, une vision qui la menaçait de la mort.

Les derniers efforts du paganisme furent ceux que fit Symmaque, pour obtenir des empereurs Valentinien, Théodose et Arcadius, le rétablissement des priviléges des vestales, et de l'autel de la Victoire dans le capitole; mais tout le monde sait avec quelle vigueur saint Ambroise s'y opposa.

Il paraît pourtant, par les pièces mêmes de ce fameux procès, que Rome avait encore l'air extrêmement païen, car saint Ambroise demande à Symmaque s'il ne suffit pas aux païens d'avoir les places publiques, les portiques, les bains remplis de leurs simulacres, et s'il faut encore que leur autel de la Victoire soit placé dans le capitole, qui est le lieu de la ville où il vient le plus de chrétiens. « Afin que ces chrétiens, dit-il, recoivent

malgré eux la fumée des sacrifices dans leurs yeux, » la musique dans leurs oreilles, les cendres dans leur gosier, et l'encens dans leur nez. » ·

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Mais lors même que Rome était assiégée par Alaric, sous Honorius, elle était encore pleine d'idoles. Zozime dit que, comme tout devait alors conspirer à la perte de cette malheureuse ville, non-seulement on ôta aux dieux leurs parures, mais que l'on fondit quelques uns de ces dieux qui étaient d'or ou d'argent, et que de ce nombre fut la vertu ou la force, après quoi aussi elle abandonna entièrement les Romains. Zozime ne doutait pas que cette belle pointe ne renfermât la véritable cause de la prise de Rome.

On ne sait si, sur la foi de cet auteur, on peut recevoir l'histoire suivante. Honorius défendit à ceux qui

n'étaient pas chrétiens, de paraître à la cour avec un baudrier, ni d'avoir aucun commandement. Générid, païen, et même barbare, mais très brave homme, qui commandait les troupes de Pannonie et de Dalmatie, ne parut plus chez l'empereur, mit bas le baudrier, et ne fit plus aucunes fonctions de sa charge. Honorius lui demandant un jour pourquoi il ne venait pas au palais en son rang, selon qu'il y était obligé, il lui représenta qu'il y avait une loi qui lui ôtait le baudrier et le commandement. L'empereur lui dit que cette loi n'était pas pour un homne comme lui; mais Générid répondit qu'il ne pouvait recevoir une distinction qui le séparait d'avec tous ceux qui professaient le même culte. En effet, il ne reprit point les fonctions de sa charge, jusqu'à ce que l'empereur, vaincu par la nécessité, eut lui-même rétracté sa loi. Si cette histoire est vraie, on peut juger qu'Honorius ne contribua pas beaucoup à la ruine du paganisme.

Mais enfin, tout l'exercice de religion païenne fut défendu, sous peine de la vie, par une constitution des empereurs Valentinien III et Martien, l'an 451 de Jésus-Christ. C'était là le dernier coup que l'on pût porter à cette fausse religion. On trouve pourtant que les mêmes empereurs, qui étaient si zélés pour l'avancement du christianisme, ne laissaient pas de conserver quelques restes du paganisme, peut-être assez considérables. Ils prenaient, par exemple, le titre de souverains pontifes, et cela voulait dire souverains pontifes de augures, des aruspices, enfin de tous les colléges des prêtres païens, et chefs de toute l'ancienne idolâtrie romaine.

Zozime prétend que le grand Constantin même, et Valentitien et Valens reçurent volontiers des pontifes

païens, et ce titre, et l'habit de cette dignité, qu'on leur allait offrir, selon la coutume à leur avènement à l'empire: mais que Gratien refusa l'équipage pontifical; et que quand on le rapporta aux pontifes, le premier d'entre eux dit tout en colère: Si princeps non vult appellari pontifex, admodùm brevi pontifex Maximus fiet. C'est une pointe attachée aux mots latins, et fondée sur ce Maxime se révoltait alors contre Gratien, pour le dépouiller de l'empire.

que

Mais un témoignage plus irréprochable sur ce chapitre-là, que celui de Zozime, c'est celui des inscriptions. On y voit le titre de souverain pontife, donné à des empereurs chrétiens; et même dans le sixième siècle, deux cents après que le christianisme était monté sur le trône, l'empereur Justin, parmi toutes ses autres qualités, prend celle de souverain pontife, dans une inscription qu'il avait fait faire pour la ville de Justinopolis en Istrie, à laquelle il donnait son nom.

Être un des dieux d'une fausse religion, c'est encore bien pis que d'en être le souverain pontife. Le paganisme avait érigé les empereurs romains en dieux; et pourquoi non? il avait bien érigé la ville de Rome en déesse. Les empereurs Théodose et Arcadius, quoique chrétiens, souffrent que Symmaque, ce grand défenseur du paganisme, les traite de votre divinité, ce qu'il ne pouvait dire que dans le sens et selon la coutume des païens; et nous voyons des inscriptions en l'honneur d'Arcadius et d'Honorius, qui portent : Un tel dévoué à leur divinité et à leur majesté.

Mais les empereurs chrétiens ne reçoivent pas seulement ces titres, ils se les donnent eux-mêmes. On ne voit autre chose dans les constitutions de Théodose,

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