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et ayant déjà des desseins sur l'empire, voulut consulter l'oracle de Sérapis; mais qu'il fit auparavant sortir tout le monde du temple. Peut-être cependant n'entrat-il pas pour cela dans le sanctuaire. A ce compte, les exemples d'un tel privilége seront très rares; car mon auteur avoue qu'il n'en connaît point d'autres que ces deux là, si ce n'est peut-être qu'on y veuille ajouter ce que Tacite dit de Titus, à qui le prêtre de la Vénus de Paphos ne voulut découvrir qu'en secret beaucoup de grandes choses qui regardaient les desseins qu'il méditait alors; mais cet exemple prouve encore moins que celui de Vespasien, la liberté que les prêtres accordaient aux grands d'entrer dans les sanctuaires de leurs temples. Sans doute il fallait un grand crédit pour les obliger à la confidence de leurs mystères, et même ils ne la faisaient qu'à des princes naturellement intéressés à leur garder le secret, et qui, dans le cas où ils se trouvaient, avaient quelque raison particulière de faire valoir les oracles.

Dans ces sanctuaires ténébreux étaient cachées toutes les machines des prêtres, et ils y entraient par des conduits souterrains. Rufin nous décrit le temple de Sérapis tout plein de chemins couverts; et pour rapporter un témoignage encore plus fort que le sien, l'Ecriture-Sainte ne nous apprend-t-elle pas comment Daniel découvrit l'imposture des prêtres de Bélus, qui savaient bien rentrer secrètement dans son temple pour prendre les viandes qu'on y avait offertes? Il me semble que cette histoire seule devait décider toute la question en notre faveur. Il s'agit là d'un des miracles du paganisme qui était cru le plus universellement, de ces victimes que les dieux prenaient la peine de venir

manger eux-mêmes. L'Ecriture attribue-t-elle ce prodige aux démons? Point du tout, mais à des prêtres imposteurs; et c'est là la seule fois où l'Ecriture s'étend un peu sur un prodige du paganisme; et en ne nous avertissant point que tous les autres n'étaient pas de la même nature, elle nous donne à entendre fort clairement qu'ils en étaient. Combien, après tout, devait-il être plus aisé de persuader aux peuples que les dieux descendaient dans des temples pour leur parler, leur donner des instructions utiles, que de leur persuader qu'ils venaient manger des membres de chèvres et de moutons? Et si les prêtres mangeaient bien en la place des dieux, à plus forte raison pouvaient-ils parler aussi en leur place.

Les voûtes des sanctuaires augmentaient la voix, et faisaient un retentissement qui imprimait de la terreur : aussi voyez-vous, dans tous les poètes, que la Pythie poussait une voix plus que humaine; peut-être même les trompettes, qui multipliaient le son, n'étaient-elles pas alors tout-à-fait inconnues; peut-être le chevalier Morland n'a-t-il fait que renouveler un secret que les prêtres païens avaient su avant lui, et dont ils avaient mieux aimé tirer du profit, en ne le publiant pas, que de l'honneur en lê publiant. Du moins le P. Kirker assure qu'Alexandre avait une de ces trompettes avec laquelle il se faisait entendre de toute son armée en même temps.

Je ne veux pas oublier une bagatelle, qui peut servir à marquer l'extrême application que les prêtres avaient à fourber. Du sanctuaire ou du fond des temples, il sortait quelquefois une vapeur très agréable, qui remplissait tout le lieu où étaient les consultans. C'était l'arrivée du dieu qui parfumait tout. Jugez si des gens

qui poussaient jusqu'à ces minuties presque inutiles l'exactitude de leurs impostures, pouvaient rien négliger d'essentiel.

CHAPITRE XIII.

Distinctions de jours et autres mystères des Oracles.

Les prêtres n'oubliaient aucune sorte de précaution. Ils marquaient à leur gré de certains jours où il n'était point permis de consulter l'oracle. Cela avait un air mystérieux, ce qui est déjà beaucoup en pareilles matières; mais la principale utilité qu'ils en retiraient, c'est qu'ils pouvaient vous renvoyer sur ce prétexte, s'ils avaient des raisons pour ne pas vouloir vous répondre, ou que pendant ce temps de silence ils prenaient leurs mesures et faisaient leurs préparatifs.

A l'occasion de ces prétendus jours malheureux, il fut rendu à Alexandre un des plus jolis oracles qui ait jamais été. Il était allé à Delphes pour consulter le dieu; et la prêtresse, qui prétendait qu'il n'était point alors permis de l'interroger, ne voulait point entrer dans le temple. Alexandre, qui était brusque, la prit par le bras pour l'y mener de force, et elle s'écria: Ah ! mon fils, on ne peut te résister. Je n'en veux pas davantage, dit Alexandre, cet oracle me suffit.

Les prêtres avaient encore un secret pour gagner du temps, quand il leur plaisait. Avant que de consulter l'oracle, il fallait sacrifier; et si les entrailles des victimes n'étaient pas heureuses, le dieu n'était pas encore en humeur de répondre. Et qui jugeait des entrailles des victimes? les prêtres. Le plus souvent même

ainsi qu'il paraît par beaucoup d'exemples, ils étaient seuls à les examiner; et tel qu'on obligeait à recommencer le sacrifice, avait pourtant immolé un animal dont le cœur et le foie étaient les plus beaux du monde.

Ce qu'on appelait les mystères et les cérémonies secrètes d'un dieu, était sans doute un des meilleurs artifices que les prêtres eussent imaginés pour leur sûreté. Ils ne pouvaient si bien couvrir leur jeu, que bien des gens ne soupçonnassent la fourberie. Ils s'avisèrent d'établir de certains mystères qui engageaient à un secret inviolable ceux qui y étaient initiés.

Il est vrai qu'il y avait de ces mystères dans des temples qui n'avaient point d'oracles; mais il y en avait aussi dans beaucoup de temples à oracles, par exemple, dans celui de Delphes. Plutarque, dans ce dialogue si souvent cité, dit qu'il n'y avait personne à Delphes, ni dans tout ce pays, qui ne fut initié aux mystères. Ainsi tout était dans la dépendance des prêtres; si quelqu'un eût osé ouvrir la bouche contre eux, on eût bien crié à l'athée et à l'impie, et on lui eût fait des affaires dont il ne se fût jamais tiré.

Sans les mystères, les habitans de Delphes n'eussent pas laissé d'être toujours engagés à garder le secret aux prêtres sur leurs friponneries; car Delphes était une ville qui n'avait point d'autre revenu que celui de son temple, et qui ne vivait que d'oracles; mais les prêtres s'assuraient encore mieux de ces peuples, en se les attachant par le double lien de l'intérêt et de la superstition. On eût été bien reçu à parler contre les oracles dans une telle ville!

Ceux qu'on initiait aux mystères donnaient des assu

rances de leur discrétion; ils étaient obligés à faire aux prêtres une confession de tout ce qu'il y avait de plus caché dans leur vie, et c'était après cela à ces pauvres initiés à prier les prêtres de leur garder le secret. Ce fut sur cette confession qu'un Lacédémonien, qui s'allait faire initier aux mystères de Samothrace, dit brusquement aux prêtres : Si j'ai fait des crimes, les dieux le savent bien.

Un autre répondit à peu près de la même façon. Estce à toi ou au dieu qu'il faut confesser ses crimes? C'est au dieu, dit le prêtre. Hé bien, retire-toi donc, reprit le Lacédémonien, et je les confesserai au dieu. Tous ces Lacedémoniens n'avaient pas extrêmement l'esprit de dévotion. Mais ne pouvait-il pas se trouver quelque impie qui allât, avec une fausse confession, se faire initier aux mystères, et qui en découvrît ensuite toute l'extravagance, et publiât la fourberie des prêtres?

Je crois que ce malheur a pu arriver, et je crois aussi que les prêtres le prévenaient autant qu'il leur était possible. Ils voyaient bien à qui ils avaient affaire, et je vous garantis que les deux Lacédémoniens, dont nous venons de parler, ne furent point reçus. De plus, on avait déclaré les épicuriens incapables d'être initiés aux mystères, parce que c'étaient des gens qui faisaient profession de s'en moquer, et je ne crois pas même qu'on leur rendît d'oracles. Ce n'était pas une chose difficile que de les reconnaître; tous ceux d'entre les Grecs qui se mêlaient un peu de littérature, faisaient choix d'une secte de philosophie; et le surnom qu'ils tiraient de leur secte, était presque ce qu'est parmi nous celui qu'on prend d'une terre. On distinguait, par exemple, trois Démétrius, parce que l'un était Démé

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