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pendant personne ne s'était encore avisé de dire que Pan fût Jésus-Christ mort en Judée.

L'histoire de Thulis est rapportée par Suidas, auteur qui ramasse beaucoup de choses, mais qui ne les choisit guère. Son oracle de Serapis pèche de la même manière que les livres des sybilles, par le trop de clarté sur nos mystères; mais de plus, ce Thulis, roi d'Egypte, n'était pas assurément un des Ptolomées. Et que deviendra tout l'oracle, s'il faut que Serapis soit un Dieu qui n'ait été amené en Egypte que par un Ptolomée, qui le fit venir de Pont, comme beaucoup de savans le prétendent sur des apparences très fortes? Du moins, il est certain qu'Hérodote, qui aime tant à discourir sur l'ancienne Egypte, ne parle point de Sérapis, et que Tacite conte tout au long comment et pourquoi un des Ptolomées fit venir de Pont le dieu Sérapis, qui n'était alors connu que là.

L'oracle rendu à Auguste sur l'enfant hébreu, n'est point du tout recevable. Cédrénus le cite d'Eusèbe, et aujourd'hui il ne s'y trouve point. Il ne serait pas impossible que Cédrénus citât à faux, ou citât quelque ouvrage faussement attribué à Eusèbe. Il est bien homme à vous rapporter sur la foi de certains faux actes de saint Pierre, qui couraient encore de son temps, que Simon le magicien avait à sa porte un gros dogue, qui dévorait ceux que son maître ne voulait pas laisser entrer; que saint Pierre voulant parler à Simon, ordonna à ce chien de lui aller dire, en langage humain, que Pierre, serviteur de Dieu, le demandait ; que le chien s'acquitta de cet ordre, au grand étonnement de ceux qui étaient alors avec Simon; mais que Simon, pour leur faire voir qu'il n'en savait pas moins que saint Pierre,

ordonna au chien, à son tour, d'aller lui dire qu'il entrât, ce qui fut exécuté aussitôt. Voilà ce qui s'appelle, chez les Grecs, écrire l'histoire. Cédrénus vivait dans un siècle ignorant, où la licence d'écrire impunément des fables, se joignait encore à l'inclination générale qui y porte les Grecs.

Mais quand Eusèbe, dans quelque ouvrage qui ne serait pas venu jusqu'à nous, aurait effectivement parlé de l'oracle d'Auguste, Eusèbe lui-même se trompait quelquefois, et on en a des preuves constantes. Les premiers défenseurs du christianisme, Justin, Tertullien, Théophile, Tatien, auraient-ils gardé le silence sur un oracle si favorable à la religion? Etaient-ils assez peu zélés pour négliger cet avantage? Mais ceux mêmes qui nous donnent cet oracle, le gâtent, en y ajoutant qu'Auguste, de retour à Rome, fit élever, dans le capitole, un autel, avec cette inscription: C'est ici l'autel du fils unique, ou aîné de Dieu. Où avait-il pris cette idée d'un fils unique de Dieu, dont l'oracle ne parle point?

Enfin, ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'Auguste, depuis le voyage qu'il fit en Grèce, dix-neuf ans avant la naissance de Jésus-Christ, n'y retourna jamais; et même, lorsqu'il en revint, il n'était guère dans la disposition d'élever des autels à d'autres dieux qu'à lui; car il souffrit, non-seulement que les villes d'Asie lui en élevassent et lui célébrassent des jeux sacrés, mais même qu'à Rome on consacrât un autel à la Fortune, qui était de retour, Fortuna reduci, c'est-à-dire à luimême, et que l'on mît le jour d'un retour si heureux entre les jours de fête.

Les oracles qu'Eusèbe rapporte de Porphyre, parais

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sent plus embarrassans que tous les autres. Eusèbe n'aura pas supposé à Porphyre des oracles qu'il ne citait point; et Porphyre, qui était si attaché au paganisme, n'aura pas cité de faux oracles sur la cessation des oracles mêmes, et à l'avantage de la religion chrétienne. Voici, ce semble, le cas où le témoignage d'un ennemi a tant de force.

Mais aussi, d'un autre côté, Porphyre n'était pas assez mal habile homme pour fournir aux chrétiens des armes contre le paganisme, sans y être nécessairement engagé par la suite de quelque raisonnement, et c'est ce qui ne paraît point ici. Si ces oracles eussent été allégués par les chrétiens, et que Porphyre, en convenant qu'ils avaient été effectivement rendus, se fût défendu des conséquences qu'on en voulait tirer, il est sûr qu'ils seraient d'un très grand poids; mais c'est de Porphyre même que les chrétiens, selon qu'il paraît par l'exemple d'Eusèbe, tiennent ces oracles; c'est Porphyre qui prend plaisir à ruiner sa religion et à établir la nôtre. En vérité, cela est suspect de soi-même, et le devient encore davantage par l'excès où il pousse la chose; car on nous rapporte de lui-même je ne sais combien d'autres oracles très clairs et très positifs sur la personne de Jésus-Christ, sur sa résurrection, sur son ascension; enfin, le plus entêté et le plus habile des païens nous accable de preuves du christianisme. Défions-nous de cette générosité.

Eusèbe a cru que c'était un assez grand avantage de pouvoir mettre le nom de Porphyre, à la tête de tant d'oracles si favorables à la religion. Il nous les donne dépouillés de tout ce qui les accompagnait dans les écrits de Porphyre. Que savons-nous s'il ne les réfutait

pas? Selon l'intérêt de sa cause, il le devait faire; et s'il ne l'a pas fait, assurément il avait quelque inten tion cachée.

On soupçonne que Porphyre était assez méchant pour faire de faux oracles, et les présenter aux chrétiens, à dessein de se moquer de leur crédulité, s'ils les recevaient pour vrais, et appuyaient leur religion sur de pareils fondemens. Il en eût tiré des conséquences pour des choses bien plus importantes que ces oracles, et eût attaqué tout le christianisme par cet exemple, qui, au fond, n'eût pourtant rien conclu.

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Il est toujours certain que ce même Porphyre, qui nous fournit tous ces oracles, soutenait, comme nous avons vu, que les oracles étaient rendus par des génies menteurs. Il se pourrait donc bien faire qu'il eût mis en oracles tous les mystères de notre religion, exprès pour tâcher à les détruire, et pour les rendre suspects de fausseté, parce qu'ils auraient été attestés par de faux témoins. Je sais bien les chrétiens ne le preque naient pas ainsi mais comment eussent-ils jamais prouvé par raisonnement, que les démons étaient quelquefois forcés à dire la vérité? Ainsi Porphyre demeurait toujours en état de se servir de ses oracles contre eux; et selon le tour de cette dispute, ils devaient nier que ces oracles eussent jamais été rendus, comme nous le nions présentement. Cela, ce me semble, explique pourquoi Porphyre était si prodigue d'oracles favorables à notre religion, et quel tour avait pu prendre le grand procès d'entre les chrétiens et les païens. Nous ne faisons que le deviner, car toutes les pièces n'en sont pas venues jusqu'à nous. C'est ainsi qu'en examinant un peu les choses de près, on trouve

La différence est bien grande. C'est aux hommes à se précautionner contre les erreurs où ils peuvent être jetés par d'autres hommes, mais ils n'ont nul moyen de se précautionner contre celles où ils seraient jetés par des génies qui sont au-dessus d'eux. Mes lumières suffisent pour examiner si une statue parle ou ne parle pas; mais du moment qu'elle parle, rien ne me peut plus désabuser de la divinité que je lui attribue. En un mot, Dieu n'est obligé, par les lois de sa bonté, qu'à me garantir des surprises dont je ne puis me garantir moi-même ; pour les autres, c'est à ma raison à faire son devoir.

Aussi voyons-nous que quand Dieu a permis aux démons de faire des prodiges, il les a en même temps confondus par des prodiges plus grands. Pharaon eût pu être trompé par ses magiciens; mais Moïse était là plus puissant que les magiciens de Pharaon. Jamais les démons n'ont eu tant de pouvoir, ni n'ont fait tant de choses surprenantes que du temps de Jésus-Christ et des apôtres.

Cela n'empêche pas que le paganisme n'ait toujours été appelé, avec justice, le culte des démons. Premièrement, l'idée qu'on y prend de la divinité, ne convient nullement au vrai Dieu, mais à ces génies réprouvés et éternellement malheureux.

Secondement, l'intention des païens n'était pas tant d'adorer le premier être, la source de tous les biens, que ces êtres malfaisans, dont ils craignaient la colère ou le caprice, Enfin, les démons, qui ont sans contredit le pouvoir de tenter les hommes et de leur tendre des piéges, favorisaient, autant qu'il était en eux, l'erreur grossière des païens, et leur fermaient les yeux

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