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L'oracle rendu au roi Thulis, un oracle si positif sur la sainte Trinité, peut-il être une fiction humaine? Comment le prêtre de Sérapis aurait-il deviné un si grand mystère, inconnu alors à toute la terre, et aux juifs mêmes?

Si ces autres oracles eussent été rendus par des prêtres imposteurs, qui obligeait ces prêtres à se décréditer eux-mêmes, et à publier la cessation de leurs oracles? N'est-il pas visible que c'étaient des démons que Dieu même forçait à rendre témoignage à la vérité? De plus, pourquoi les oracles cessaient-ils, s'ils n'étaient rendus que par des prêtres ?

CHAPITRE II.

Seconde raison des anciens Chrétiens pour croire les Oracles surnaturels. Convenance de cette opinion avec le système du christianisme.

Les démons étant une fois constans par le christianisme, il a été assez naturel de leur donner le plus d'emploi qu'on pouvait, et de ne les pas épargner pour les oracles, et les autres miracles païens qui semblaient en avoir besoin. Par là, on se dispensait d'entrer dans la discussion des faits, qui eût été longue et difficile ; et tout ce qu'ils avaient de surprenant et d'extraordinaire, on l'attribuait à ces démons que l'on avait en main. Il semblait qu'en leur rapportant ces événemens, on confirmât leur existence, et la religion même qui nous la révèle.

De plus, il est certain que, vers le temps de la naissance de Jésus-Christ, il est souvent parlé de la cessation des oracles, même dans les auteurs profanes. Pour

quoi ce temps-là plutôt qu'un autre avait-il été destiné à leur anéantissement? Rien n'était plus aisé à expliquer, selon le système de la religion chrétienne. Dieu avait fait son peuple du peuple juif, et avait abandonné l'empire du reste de la terre aux démons jusqu'à l'arrivée de son fils: mais alors il les dépouille du pouvoir qu'il leur avait laissé prendre, il veut que tout fléchisse sous Jésus-Christ, et que rien ne fasse obstacle à l'établissement de son royaume sur les nations. Il y a je ne sais quoi de si heureux dans cette pensée, que je ne m'étonne pas qu'elle ait eu beaucoup de cours; c'est une de ces choses à la vérité desquelles on est bien aise d'aider, et qui persuadent, parce qu'on y est favorable.

CHAPITRE III.

Troisième raison des anciens Chrétiens. Convenance de leur opinion avec la philosophie de Platon.

Jamais philosophie n'a été plus à la mode qu'y fut celle de Platon chez les chrétiens, pendant les premiers siècles de l'Eglise. Les païens se partageaient encore entre les différentes sectes de philosophes : mais la conformité que l'on trouva qu'avait le platonisme avec la religion, mit dans cette seule secte presque tous les chrétiens savans. De là vient l'estime prodigieuse dont on s'entéta pour Platon; on le regardait comme une espèce de prophète, qui avait deviné plusieurs points importans du christianisme, surtout la sainte Trinité, que l'on ne peut guère nier qui ne soit assez clairement contenue dans ses écrits. Aussi ne manqua-t-on pas de prendre ses ouvrages pour des commentaires de l'Ecri

ture, et de concevoir la nature du verbe comme il l'avait conçue. Il se figurait Dieu tellement élevé au-dessus des créatures, qu'il ne croyait pas qu'elles pussent être sorties immédiatement de ses mains, et il mettait entre elles et lui ce verbe, comme un degré par lequel l'action de Dieu pût passer jusqu'à elles. Les chrétiens prirent cette même idée de Jésus-Christ; et c'est là peutêtre la cause pourquoi jamais hérésie n'a été ni plus généralement embrassée, ni soutenue avec plus de chaleur que l'arianisme.

Ce platonisme donc, qui semblait faire honneur à la religion chrétienne, lorsqu'il lui était favorable, se trouva tout plein de démons; et de là ils se répandirent aisément dans le système que les chrétiens imaginèrent sur les oracles.

Platon veut que les démons soient d'une nature moyenne entre celle des dieux et celle des hommes; que ce soient des génies aériens destinés à faire tout le commerce des dieux et de nous; que, quoiqu'ils soient proche de nous, nous ne les puissions voir; qu'ils pénètrent dans toutes nos pensées, qu'ils aient de l'amour pour les bons, et de la haine pour les méchans; et que ce soit en leur honneur qu'on a établi tant de sortes de sacrifices, et tant de cérémonies différentes.

que

Il ne paraît point par là Platon reconnût de mauvais démons, auxquels on pût donner le soin des fourberies des oracles. Plutarque, dans le dialogue des oracles qui ont cessé, assure cependant qu'il en reconnaissait; et à l'égard des platoniciens, la chose est hors de doute. Eusèbe, dans sa Préparation évangélique, rapporte quantité de passages de Porphyre, où ce philosophe païen assure que les mauvais démons sont les

auteurs des enchantemens, des philtres et des maléfices; qu'ils ne font que tromper nos yeux par des spectres et par des fantômes; que le mensonge est essentiel à leur nature; qu'ils excitent en nous la plupart de nos passions; qu'ils ont l'ambition de vouloir passer pour des dieux ; que leurs corps aériens et spirituels se nourrissent de suffumigation, de sang répandu, et de la graisse des sacrifices; qu'il n'y a qu'eux qui se mêlent de rendre des oracles, et à qui cette fonction, pleine de tromperie, soit tombée en partage; et enfin à la tête de cette troupe de mauvais démons, il met Hécate et Sé, rapis.

Jamblique, autre platonicien, en dit autant; et comme la plupart de ces choses là sont vraies, les chrétiens reçurent le tout avec joie, et y ajoutèrent même un peu du leur, selon Tertullien, dans son Apologétique par exemple, que les démons dérobaient, dans les écrits des prophètes, quelque connaissance de l'avenir, et puis s'en faisaient honneur dans leurs oracles.

Ce système des chrétiens avait cela de commode, qu'il découvrait aux païens, par leurs propres principes, l'origine de leur faux culte, et la source de l'erreur où ils avaient toujours été. Ils étaient persuadés qu'il y avait quelque chose de șurnaturel dans leurs oracles ; et les chrétiens qui avaient à disputer contre eux, ne songeaient point à leur ôter cette pensée. Les démons, dont on convenait de part et d'autre, servaient à expliquer tout ce surnaturel. On reconnaissait cette espèce de miracle ordinaire qui s'était fait dans la religion des païens mais on leur en faisait perdre tout l'avantage par les auteurs auxquels on l'attribuait: et cette voie était bien plus courte et plus aisée que celle de contes

ter le miracle même par une longue suite de recherches et de raisonnemens.

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Voilà, comment s'établit, dans les premiers siècles de l'Église, l'opinion qu'on y prit sur les oracles des païens. Je pourrais aux trois raisons que j'ai apportées, en ajouter une quatrième, aussi bonne peut-être que toutes les autres ; c'est que dans le système des oracles rendus par les démons, il y a du merveilleux ; et si l'on a un peu étudié l'esprit humain, on sait quelle force le merveilleux a sur lui. Mais je ne prétends pas m'étendre sur cette réflexion : ceux qui y entreront m'en croiront bien, sans que je me mette en peine de la prouver : et ceux qui n'y entreront pas, ne m'en croiraient pas peut-être après toutes mes preuves.

Examinons présentement, l'une après l'autre, les raisons qu'on a eues de croire les oracles surnaturels.

CHAPITRE IV.

Que les histoires surprenantes qu'on débite sur les Oracles doivent être fort suspectes.

Il serait difficile de rendre raison des histoires et des oracles que nous avons rapportés, sans avoir recours aux démons; mais aussi tout cela est-il bien vrai ? Assurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait; mais enfin nous éviterons le ridicule d'avoir trouvé la cause de ce qui n'est point.

Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle

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