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quelque louable que soit cet excès, on ne peut disconvenir que le juste milieu ne vaille encore mieux, et qu'il ne soit plus raisonnable de démêler l'erreur d'avec la vérité, que de respecter l'erreur mêlée avec la vérité.

Le christianisme a toujours été par lui-même en état de se passer de fausses preuves; mais il y est encore présentement plus que jamais, par les soins que de grands hommes de ce siècle ont pris de l'établir sur ses véritables fondemens, avec plus de force que les anciens n'avaient jamais fait. Nous devons être remplis, sur notre religion, d'une confiance qui nous fasse rejeter de faux avantages qu'un autre parti que le nôtre pourrait ne pas négliger.

Sur ce pied là, j'avance hardiment que les oracles, de quelque nature qu'ils aient été, n'ont point été rendus par les démons, et qu'ils n'ont point cessé à la venue de Jésus-Christ. Chacun de ces deux points mérite bien une dissertation.

PREMIÈRE DISSERTATION.

Que les Oracles n'ont point été rendus par les Démons.

Il est constant qu'il y a des démons, des génies malfaisans, et condamnés à des tourmens éternels; la religion nous l'apprend. La raison nous apprend ensuite que ces démons ont pu rendre des oracles, si Dieu le leur a permis. Il n'est question que de savoir s'ils ont reçu de Dieu cette permission.

Ce n'est donc qu'un point de fait dont il s'agit; et, comme ce point de fait a uniquement dépendu de la volonté de Dieu, il était de nature à nous devoir être révélé, si la connaissance nous en eût été nécessaire.

Mais l'Écriture-Sainte ne nous apprend en aucune manière que les oracles aient été rendus par des démons, et dès lors nous sommes en liberté de prendre parti sur cette matière; elle est du nombre de celles que la sagesse divine a jugées assez indifférentes pour les abandonner à nos disputes.

Cependant les avis ne sont point partagés; tout le monde tient qu'il y a eu quelque chose de surnaturel dans les oracles. D'où vient cela? La raison en est bien aisée à trouver, pour ce qui regarde le temps présent. On a cru, dans les premiers siècles du christianisme, que les oracles étaient rendus par des démons: il ne nous en faut pas davantage pour le croire aujourd'hui. Tout ce qu'ont dit les anciens, soit bon, soit mauvais, est sujet à être bien répété ; et ce qu'ils n'ont pu eux-mêmes prouver par des raisons suffisantes, se prouve à présent par leur autorité seule. S'ils ont prévu cela, ils ont bien fait de ne se pas donner toujours la peine de raisonner si exactement.

Mais pourquoi tous les premiers chrétiens ont-ils cru que les oracles avaient quelque chose de surnaturel? Recherchons-en présentement les raisons, nous verrons ensuite si elles étaient assez solides.

CHAPITRE PREMIER.

Première raison pourquoi les anciens Chrétiens ont cru que les Oracles étaient rendus par les Démons. Les histoires surprenantes qui couraient sur le fait des Oracles et des Génies.

L'antiquité est pleine de je ne sais combien d'histoires surprenantes et d'oracles qu'on croit ne pouvoir attribuer qu'à des génies. Nous n'en rapporterons que quelques exemples, qui représenteront tout le reste.

Tout le monde sait ce qui arriva au pilote Thamus. Son vaisseau étant un soir vers de certaines îles de la

mer Égée, le vent céssa tout-à-fait. Tout les gens du vaisseau étaient bien éveillés; la plupart même passaient le temps à boire les uns avec les autres, lorsqu'on entendit tout d'un coup une voix qui venait des îles, et qui appelait Thamus. Thamus se laissa appeler deux fois sans répondre; mais à la troisième il répondit. La voix lui commanda que, quand il serait arrivé à un certain lieu, il criât que le grand Pan était mort. Il n'y eut personne dans le navire qui ne fût saisi de frayeur et d'épouvante. On délibérait si Thamus devait obéir à la voix mais Thamus conclut que si, quand ils seraient arrivés au lieu marqué, il faisait assez de vent pour passer outre, il ne fallait rien dire ; mais que si un calme les arrêtait là, il fallait s'acquitter de l'ordre qu'il avait reçu. Il ne manqua point d'être surpris d'un calme à cet endroit là, et aussitôt il se mit à crier de toute sa forcé que le grand Pan était mort. A peine avait-il cessé de parler, que l'on entendit de tous côtés des plaintes et des gémissemens,

comme d'un grand nombre de personnes surprises et affligées de cette nouvelle. Tous ceux qui étaient dans le vaisseau furent témoins de l'aventure. Le bruit s'en répandit en peu de temps jusqu'à Rome; et l'empereur Tibère ayant voulu voir Thamus lui-même, assembla des gens savans dans la théologie païenne, pour apprendre d'eux qui était ce grand Pan; et il fut conclu que c'était le fils de Mercure et de Pénélope. C'est ainsi que, dans le dialogue où Plutarque traite des oracles qui ont cessé, Cléombrote conte cette histoire, et dit qu'il la tient d'Épithersès, son maître de grammaire, qui était dans le vaisseau de Thamus, lorsque la chose

arriva.

Thulis fut un roi d'Égypte, dont l'empire s'étendait jusqu'à l'Océan. C'est lui, à ce qu'on dit, qui donna le nom de Thulé à l'île qu'on appelle présentement Islande. Comme son empire allait apparemment jusques là, il était d'une belle étendue. Ce roi, enflé de ses succès et de sa prospérité, alla à l'oracle de Sérapis, et lui dit :

« Toi qui es le maître du feu, et qui gouvernes le » cours du ciel, dis-moi la vérité. Y a-t-il jamais eu et >>> y aura-t-il jamais quelqu'un aussi puissant que moi? >> L'oracle lui répondit :

« Premièrement Dieu, ensuite la parole et l'esprit » avec eux, tous s'assemblant en un, dont le pouvoir » ne peut finir. Sors d'ici promptement, mortel, dont » la vie est toujours incertaine. »

Au sortir de là, Thulis fut égorgé.

Eusèbe a tiré des écrits mêmes de Porphyre, ce grand ennemi des chrétiens, les oracles suivans:

(( « I. 1. Gémissez, Trépiés. Apollon vous quitte; il

>> vous quitte, forcé par une lumière céleste. Jupiter » a été ; il est, et il sera. O grand Jupiter! hélas! mes >> fameux oracles ne sont plus.

» 2. La voix ne peut revenir à la prêtresse : elle » est déjà condamnée au silence depuis long-temps. >> Faites toujours à Apollon des sacrifices dignes d'un >> Dieu.

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» 3. Malheureux prêtre, disait Apollon à son prêtre, » ne m'interroge plus sur le divin père, ni sur son fils unique, ni sur l'esprit qui est l'âme de toutes choses. » C'est cet esprit qui me chasse à jamais de ces lieux. » Auguste, déjà vieux, et songeant à se choisir un successeur, alla consulter l'oracle de Delphes. L'oracle ne répondait point, quoique Auguste n'épargnât pas les sacrifices. A la fin cependant il en tira cette réponse :

« L'enfant hébreux, à qui tous les dieux obéissent, » me chasse d'ici, et me renvoie dans les enfers. Sors » de ce temple sans parler.

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Il est aisé de voir que sur de pareilles histoires, on n'a pas pu douter que les démons ne se mêlassent des oracles. Ce grand Pan qui meurt sous Tibère, aussi bien que Jésus-Christ, est le maître des démons, dont l'empire est ruiné par cette mort d'un Dien si salutaire à l'univers; ou si cette explication ne vous plaît pas, car enfin on peut, sans impiété, donner des sens contraires à une même chose, quoiqu'elle regarde la religion, ce grand Pan est Jésus-Christ lui-même, dont la mort cause une douleur et une consternation générales parmi les démons, qui ne peuvent plus exercer leur tyrannie sur les hommes. C'est ainsi qu'on a trouvé moyen de donner à ce grand Pan deux faces bien diffe

rentes.

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