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République des Lettres, il paraît qu'une des plus fortes raisons de Moebius contre Van-Dale, est que Dieu défendit aux Israëlites de consulter les devins et les esprits de Python; d'où l'on conclut que Python, c'est-àdire les démons, se mêlaient des oracles, et apparemment l'histoire de l'apparition de Samuel vient à la suite. Van-Dale répondra ce qu'il jugera à propos; pour moi, je déclare que, sous le nom d'oracle, je ne prétends pas comprendre la magie dont il est indubitable que le démon se mêle : aussi n'est-elle nullement comprise dans ce que nous entendons ordinairement par ce mot, non pas même selon le sens des anciens païens, qui, d'un côté, regardaient les oracles avec respect, comme une partie de leur religion; et de l'autre, avaient la magie en horreur aussi bien que nous. Aller consulter un nécromancien, ou quelqu'une de ces sorcières de Thessalie, pareille à l'Ericto de Lucain, cela ne s'appelait pas aller à l'oracle; et s'il faut marquer encore cette distinction, même selon l'opinion commune, on prétend que les oracles ont cessé à la venue de Jésus-Christ, et cependant on ne peut pas prétendre que la magie ait cessé. Ainsi, l'objection de Moëbius ne fait rien contre moi, s'il laisse le mot d'oracle dans sa signification ordinaire et naturelle, tant ancienne que moderne.

La seconde chose que j'ai à dire, c'est que l'on m'a averti que le R. P. Thomassin, prêtre de l'Oratoire, fameux par tant de beaux livres, où il a accordé une piété solide avec une profonde érudition, avait enlevé à ce livre-ci l'honneur de la nouveauté du paradoxe, en traitant les oracles de pures fourberies, dans sa Méthode d'étudier et d'enseigner chrétiennement les poètes.

J'avoue que j'en ai été un peu fâché; cependant je me suis consolé par la lecture du chap. XXI du livre II de cette Méthode, où je n'ai trouvé que dans l'article XIX, en assez peu de paroles, ce qui me pouvait être commun avec lui. Voici comme il parle : « La véritable » raison du silence imposé aux oracles, était que par » l'incarnation du verbe divin, la vérité éclairait le » monde, et y répandait une abondance de lumières » toute autre qu'auparavant. Ainsi, on se détrompait >> des illusions des augures, des astrologues, des ob»servations des entrailles des bêtes, et de la plupart des oracles, qui n'étaient effectivement que des im» postures où les hommes se trompaient les uns les >> autres par des paroles obscures et à double sens. Enfin, s'il y avait des oracles où les démons don» naient des réponses, l'avènement de la vérité in>> carnée avait condamné à un silence éternel le père » du mensonge. Il est au moins bien certain qu'on >> consultait les démons lorsqu'on avait recours aux

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enchantemens et à la magie, comme Lucain le rap>> porte du jeune Pompée, et comme l'Écriture l'assure » de Saül. » Je conviens que, dans un gros traité où l'on ne parle des oracles que par occasion, très brièvement et sans aucun dessein d'approfondir la matière, c'est bien en dire assez que d'attribuer la plupart des oracles à l'imposture des hommes, de révoquer en doute s'il y en a eu où les démons aient eu part, de ne donner une fonction certaine aux démons que dans les enchantemens et dans la magie, et enfin de faire cesser les oracles, non pas précisément parce que le fils de Dieu leur imposa silence tout d'un coup, mais parce que les esprits plus éclairés par la publication de

l'Évangile, se désabusèrent; ce qui suppose encore des fourberies humaines, et ne s'est pu faire si promptement. Cependant, il me paraît qu'une question décidée en si peu de paroles peut être traitée de nouveau dans toute son étendue naturelle, sans que le public ait droit de se plaindre de la répétition; c'est lui remettre en grand ce qu'il n'a vu qu'en petit, et tellement en petit, que les objets en étaient quasi imperceptibles.

ma

Je ne sais s'il m'est permis d'alonger encore préface par une petite observation sur le style dont je me suis servi. Il n'est que de conversation; je me suis imaginé que j'entretenais mon lecteur. J'ai pris cette idée d'autant plus aisément, qu'il fallait, en quelque sorte, disputer contre lui; et les matières que j'avais en main étant le plus souvent assez susceptibles de ridicule, m'ont invité à une manière d'écrire fort éloignée du sublime. Il me semble qu'il ne faudrait donner dans le sublime qu'à son corps défendant ; il est si peu naturel! J'avoue que le style bas est encore quelque chose de pis mais il y a un milieu, et même plusieurs; c'est ce qui fait l'embarras on a bien de la peine à prendre juste le ton que l'on veut, et à n'en point

sortir.

:

DES ORACLES.

Mon dessein n'est pas de traiter directement l'Histoire des Oracles; je ne me propose que de combattre l'opinion commune qui les attribue aux démons, et les fait cesser à la venue de Jésus-Christ; mais, en la combattant, il faudra nécessairement que je fasse toute l'histoire des oracles, et que j'explique leur origine, leur progrès, les différentes manières dont ils se rendaient, et enfin leur décadence, avec la même exactitude que si je suivais, dans ces matières, l'ordre naturel et historique.

Il n'est pas surprenant que les effets de la nature donnent bien de la peine aux philosophes. Les principes en sont si cachés, que la raison humaine ne peut presque, sans témérité, songer à les découvrir : mais quand il n'est question que de savoir si les oracles ont pu être un jeu et un artifice des prêtres païens, où peut être la difficulté? Nous qui sommes hommes, ne savonsnous pas bien jusqu'à quel point d'autres hommes ont pu être ou imposteurs, ou dupes? Surtout quand il n'est question que de savoir en quel temps les oracles ont cessé, d'où peut naître le moindre sujet de douter? Tous les livres sont pleins d'oracles. Voyons en quel

TOM. III.

טי

temps ont été rendus les derniers dont nous ayons con

naissance.

Mais nous n'avons garde de permettre que la décision des choses soit si facile : nous y faisons entrer des préjugés qui y forment des embarras bien plus grands que ceux qui s'y fussent trouvés naturellement; et ces difficultés, qui ne viennent que de notre part, sont celles dont nous avons nous-mêmes le plus de peine à nous démêler.

L'affaire des oracles n'en aurait pas, à ce que je crois, de bien considérables, si nous ne les y avions mises. Elle était de sa nature une affaire de religion chez les païens; elle en est devenue une sans nécessité chez les chrétiens ; et de toutes parts on l'a chargée de préjugés qui ont obscurci des vérités fort claires.

J'avoue que les préjugés ne sont pas communs d'euxmêmes à la vraie et aux fausses religions. Ils règnent nécessairement dans celles qui ne sont l'ouvrage que de l'esprit humain : mais dans la vraie, qui est un ouvrage de Dieu seul, il ne s'y en trouverait jamais aucun, si ce même esprit humain pouvait s'empêcher d'y toucher et d'y mêler quelque chose du sien. Tout ce qu'il y ajoute de nouveau, que serait-ce que des préjugés sans fondement ? Il n'est pas capable d'ajouter rien de réel et de solide à l'ouvrage de Dieu.

Cependant ces préjugés, qui entrent dans la vraie religion, trouvent, pour ainsi dire, le moyen de se faire confondre avec elle, et de s'attirer un respect qui n'est dû qu'à elle seule. On n'ose les attaquer, de peur d'attaquer en même temps quelque chose de sacré. Je ne reproche point cet excès de religion à ceux qui en sont capables; au contraire, je les en loue. mais enfin,

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