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sentent le plus ou le moins de certitude ou de vraisemblance, et qui en marquent, pour ainsi dire, les minutes par leur sentiment. Placez les habitans des planètes un peu au-dessous d'Alexandre, mais au-dessus de je ne sais combien de points d'histoire qui ne sont pas tout-à-fait prouvés : je crois qu'ils seront bien là. J'aime l'ordre, dit-elle, et vous me faites plaisir d'arranger mes idées; mais pourquoi n'avez-vous pas déjà pris ce soin là? Parce que, quand vous croirez les habitans des planètes un peu plus ou un peu moins qu'ils ne méritent, il n'y aura pas grand mal, répondis-je. Je suis sûr que vous ne croyez pas le mouvement de la terre autant qu'il devrait être cru; en êtes-vous beaucoup à plaindre? Oh! pour cela, reprit-elle, j'en fais bien mon devoir, vous n'avez rien à me reprocher ; je crois fermement que la terre tourne. Je ne vous ai pourtant pas dit la meilleure raison qui le prouve, répliquai-je. Ah! s'écria-telle, c'est une trahison de m'avoir fait croire les choses avec de faibles preuves. Vous ne me jugiez donc pas digne de croire sur de bonnes raisons? Je ne vous prouvais les choses, répondis-je, qu'avec de petits raisonnemens doux, et accommodés à votre usage; en eussé-je employé d'aussi solides et d'aussi robustes, que si j'avais eu à attaquer un docteur? Oui, dit-elle; prenez-moi présentement pour un docteur, et voyons cette nouvelle preuve du mouvement de la terre.

Volontiers, repris-je; la voici. Elle me plaît fort, peut-être parce que je crois l'avoir trouvée; cependant elle est si bonne et si naturelle, que je n'oserais m'assurer d'en être l'inventeur. Il est toujours sûr qu'un savant entêté, qui y voudrait répondre, serait réduit à parler beaucoup; ce qui est la seule manière

dont un savant puisse être confondu. Il faut, ou que tous les corps célestes tournent en vingt-quatre heures autour de la terre, ou que la terre, tournant sur ellemême en vingt-quatre heures, attribue ce mouvement à tous les corps célestes. Mais qu'ils aient réellement cette révolution de vingt-quatre heures autour de la terre, c'est bien la chose du monde où il y a le moins d'apparence, quoique l'absurdité n'en saute pas d'abord aux yeux. Toutes les planètes font certainement leurs grandes révolutions autour du soleil: mais ces révolutions sont inégales entre elles, selon les distances où les planètes sont du soleil; les plus éloignées font leurs cours en plus de temps, ce qui est fort naturel. Cet ordre s'observe même entre les petites planètes subalternes, qui tournent autour d'une grande. Les quatre lunes de Jupiter, les cinq de Saturne, font leurs cercles en plus ou moins de temps autour de leur grande planète, selon qu'elles en sont plus ou moins éloignées. De plus, il est sûr que les planètes ont des mouvemens sur leurs propres centres; ces mouvemens sont encore inégaux : on ne sait pas bien sur quoi se règle cette inégalité; si c'est, ou sur la différente grosseur des planètes, ou sur leur différente solidité, ou sur la différente vitesse des tourbillons particuliers qui les enferment, et des matières liquides où elles sont portées mais enfin l'inégalité est très certaine; et en général tel est l'ordre de la nature, que tout ce qui est commun à plusieurs choses, se trouve en même temps varié par des différences particulières.

Je vous entends, interrompit la marquise, et je crois que vous avez raison. Oui, je suis de votre avis : si les planètes tournaient autour de la terre, elles tourne

raient en des temps inégaux selon leurs distances, ainsi qu'elles font autour du soleil ; n'est-ce pas ce que vous voulez me dire? Justement, Madame, repris-je ; leurs distances inégales, à l'égard de la terre, devraient produire des différences dans ce mouvement prétendu autour de la terre; et les étoiles fixes, qui sont si prodigieusement éloignées de nous, si fort au-dessus de tout ce qui pourrait prendre autour de nous un mouvement général, du moins situées en lieu où ce mouvement devrait être fort affaibli, n'y aurait-il pas bien de l'apparence qu'elles ne tourneraient pas autour de nous en vingt-quatre heures, comme la lune qui en est si proche ? Les comètes qui sont étrangères dans notre tourbillon, qui y tiennent des routes différentes les unes des autres, qui ont aussi des vitesses si différentes, ne devraient-elles pas être dispensées de tourner toutes autour de nous dans ce temps de vingt-quatre heures? Mais non, planètes, étoiles fixes, comètes, tout tournera en vingt-quatre heures autour de la terre. Encore, s'il y avait dans ces mouvemens quelques minutes de différence, on pourrait s'en contenter : mais ils seront tous de la plus exacte égalité, ou plutôt de la seule égalité exacte qui soit au monde; pas une minute de plus ou de moins. En vérité, cela doit être étrangement suspect.

Oh! dit la marquise, puisqu'il est possible que cette grande égalité ne soit que dans notre imagination, je me tiens fort sûre qu'elle n'est point hors de là. Je suis bien aise qu'une chose qui n'est point du génie de la nature, retombe entièrement sur nous, et qu'elle en soit déchargée, quoique ce soit à nos dépens. Pour moi, repris-je, je suis si ennemi de l'égalité parfaite,

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que je ne trouve pas bon que tous les tours que la terre fait chaque jour sur elle-même, soient précisément de vingt-quatre heures, et toujours égaux les uns aux autres; j'aurais assez d'inclination à croire qu'il y a des différences. Des différences, s'écria-t-elle; et nos pendules ne marquent-elles pas une entière égalité? Oh! répondis-je, je récuse les pendules; elles ne peuvent pas elles-mêmes être tout-à-fait justes; et quelquefois qu'elles le seront en marquant qu'un tour de vingt-quatre heures sera plus long ou plus court qu'un autre, on aimera mieux les croire déréglées que de soupçonner la terre de quelque irrégularité dans ses révolutions. Voilà un plaisant respect qu'on a pour elle; je ne me fierais guère plus à la terre qu'à une pendule : les mêmes choses à peu près qui dérégleront l'une, dérégleront l'autre ; je crois seulement qu'il faut plus de temps à la terre qu'à une pendule pour se dérégler sensiblement ; c'est tout l'avantage qu'on lui peut accorder. Ne pourrait-elle pas peu à peu s'approcher du soleil? Et alors se trouvant dans un endroit où la matière serait plus agitée et le mouvement plus rapide, elle ferait en moins de temps sa double révolution, et autour du soleil, et autour d'elle-même. Les années seraient plus courtes, et les jours aussi; mais on ne pourrait s'en apercevoir, parce qu'on ne laisserait pas de partager toujours les années en trois cent soixantecinq jours, et les jours en vingt-quatre heures. Ainsi, sans vivre plus que nous ne vivons présentement, on vivrait plus d'années; et au contraire, que la terre s'éloigne du soleil, on vivra moins d'années que nous, et on ne vivra pas moins. Il y a beaucoup d'apparence, dit-elle, que quand, cela serait, de longues suites de

siècles ne produiraient que de bien petites différences. J'en conviens, répondis-je; la conduite de la nature n'est pas brusque, et sa méthode est d'amener tout par des degrés qui ne sont sensibles que dans les changemens fort prompts et fort aisés. Nous ne sommes presque capables de nous apercevoir que de celui des saisons pour les autres, qui se font avec une certaine lenteur, ils ne manquent guère de nous échapper. Cependant, tout est dans un branle perpétuel, et par conséquent tout change; et il n'y a pas jusqu'à une certainę demoiselle, que l'on a vue dans la lune avec des lunettes, il y a peut-être quarante ans, qui ne soit considérablement vieillie. Elle avait un assez beau visage; ses joues se sont enfoncées, son nez s'est allongé, son front et son menton se sont avancés, de sorte que tous ses agrémens sont évanouis, et que l'on craint même pour ses jours.

Que me contez-vous là? interrompit la marquise. Ce n'est point une plaisanterie, repris-je. On apercevait dans la lune une figure particulière, qui avait de l'air d'une tête de femme qui sortait d'entre des rochers, et il est arrivé du changement dans cet endroit là. Il est tombé quelques morceaux de montagnes, et ils ont laissé à découvert trois pointes, qui ne peuvent plus servir qu'à composer un front, ́un nez et un menton de vieille. Ne semble-t-il pas, dit-elle, qu'il y ait une destinée malicieuse qui en veuille particulièrement à la beauté? Ç'a été justement cette tête de demoiselle qu'elle a été attaquer sur toute la lune. Peut-être qu'en récompense, répliquai-je, les changemens qui arrivent sur notre terre embellissent quelque visage que les gens de la lune y voient ; j'entends quelque vi

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