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t-elle, des soleils s'éteignent? Oui, sans doute, répondis-je. Les anciens ont vu dans le ciel des étoiles fixes que nous n'y voyons plus. Ces soleils ont perdu leur lumière, grande désolation assurément dans tout le tourbillon; mortalité générale sur toutes les planètes ; car que faire sans soleil ? Cette idée est trop funeste, reprit-elle. N'y aurait-il pas moyen de me l'épargner? Je vous dirai, si vous voulez, répondis-je, ce que disent de fort habiles gens, que les étoiles fixes qui ont disparu, ne sont pas pour cela éteintes; que ce sont des soleils qui ne le sont qu'à demi, c'est-à-dire, qui ont une moitié obscure, et l'autre lumineuse; que comme ils tournent sur eux-mêmes, tantôt ils nous présentent la moitié lumineuse, tantôt la moitié obscure, et qu'alors nous ne les voyons plus. Selon toutes les apparences, la cinquième lune de Saturne est faite ainsi; car pendant une partie de sa révolution, on la perd absolument de vue, et ce n'est pas qu'elle soit alors plus éloignée de la terre; au contraire, elle en est quelquefois plus proche que dans d'autres temps où elle se laisse voir; et quoique cette lune soit une planète qui naturellement ne tire pas à conséquence pour un soleil, on peut fort bien imaginer un soleil qui soit en partie couvert de taches fixes, au lieu que le nôtre n'en a que de passagères. Je prendrais bien, pour vous obliger, cette opinion-là, qui est plus douce que l'autre; mais je ne puis la prendre qu'à l'égard de certaines étoiles, qui ont des temps réglés pour paraître et pour disparaître, ainsi qu'on a commencé à s'en apercevoir; autrement les demi-soleils ne peuvent pas subsister. Mais que dirons-nous des étoiles qui disparaissent, et ne se remontrent pas après le temps pendant lequel

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elles auraient dû assurément achever de tourner sur elles-mêmes? Vous êtes trop équitable pour vouloir m'obliger à croire que ce soient des demi-soleils; cependant, je ferai encore un effort en votre faveur. Ces soleils ne se seront pas éteints; ils se seront seulement enfoncés dans la profondeur immense du ciel, et nous ne pouvons plus les voir : en ce cas, le tourbillon aura suivi son soleil, et tout s'y portera bien. Il est vrai que la plus grande partie des étoiles fixes n'ont pas ce mouvement par lequel elles s'éloignent de nous; car en d'autres temps elles devraient s'en rapprocher et nous les verrions, tantôt plus grandes, tantôt plus petites, ce qui n'arrive pas. Mais nous supposerons qu'il n'y a que quelques petits tourbillons plus légers et plus agiles qui se glissent entre les autres, et font de certains tours, au bout desquels ils reviennent, tandis que le gros des tourbillons demeure immobile : mais voici un étrange malheur. Il y a des étoiles fixes qui passent beaucoup de temps à ne faire que paraître et disparaître, et enfin disparaissent entièrement. Des demisoleils reparaîtraient dans des temps réglés ; des soleils qui s'enfonceraient dans le ciel, ne disparaîtraient qu'une fois pour ne reparaître de long-temps. Prenez votre résolution, Madame, avec courage; il faut que ces étoiles soient des soleils qui s'obscurcissent assez pour cesser d'être visibles à nos yeux, et ensuite se rallument, et à la fin s'éteignent tout-à-fait. Comment un soleil peut-il s'obscurcir et s'éteindre, dit la marquise, lui qui est en lui-même une source de lumière? Le plus aisément du monde, selon Descartes, répondis-je. Il suppose que les taches de notre soleil étant ou des écumes ou des brouillards, elles peuvent s'épaissir, se

TOM. III.

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mettre plusieurs ensemble, s'accrocher les unes aux autres; ensuite, elles iront jusqu'à former autour du soleil une croûte qui s'augmentera toujours, et adieu le soleil. Si le soleil est un feu attaché à une matière solide qui le nourrit, nous n'en sommes pas mieux; la matière solide se consumera. Nous l'avons déja même échappé belle, dit-on. Le soleil a été très pâle pendant des années entières, pendant celle, par exemple, qui suivit la mort de César : c'était la croûte qui commençait à se faire; la force du soleil la rompit et la dissipa; mais si elle eût continué, nous étions perdus. Vous me faites trembler, dit la marquise. Présentement que je sais les conséquences de la pâleur du soleil, je crois qu'au lieu d'aller voir les matins, à mon miroir, si je ne suis point pâle, j'irai voir au ciel si le soleil ne l'est point lui-même. Ah! Madame, répondis-je, rassurezvous; il faut du temps pour ruiner un monde. Mais enfin, dit-elle, il ne faut que du temps. Je vous l'avoue, repris-je. Toute cette masse immense de matière qui compose l'univers, est dans un mouvement perpétuel dont aucune de ses parties n'est entièrement exempte; et dès qu'il y a du mouvement quelque part, ne vous y fiez point : il faut qu'il arrive des changemens, soit lents, soit prompts, mais toujours dans des temps proportionnés à l'effet. Les anciens étaient plaisans de s'imaginer que les corps célestes étaient de nature à ne changer jamais, parce qu'ils ne les avaient pas encore vus changer. Avaient-ils eu le loisir de s'en assurer par l'expérience? Les anciens étaient jeunes auprès de nous. Si les roses, qui ne durent qu'un jour, faisaient des histoires, et se laissaient des mémoires les unes aux autres, les premières auraient fait le portrait de leur jar

dinier d'une certaine façon, et de plus de quinze mille âges de roses; les autres qui l'auraient encore laissé à celles qui les devaient suivre, n'y auraient rien changé. Sur cela, elles diraient : «Nous avons toujours » vu le même jardinier; de mémoire de rose on n'a vu » que lui; il a toujours été fait comme il est assuré>>ment il ne meurt point comme nous; il ne change » seulement pas. » Le raisonnement des roses serait-il bon? Il aurait pourtant plus de fondement que celui que faisaient les anciens sur les corps célestes; et quand même il ne serait arrivé aucun changement dans les cieux jusqu'à aujourd'hui, quand ils paraîtraient marquer qu'ils seraient faits pour durer toujours, sans aucune altération, je ne les en croirais pas encore; j'attendrais une plus longue expérience. Devons-nous établir notre durée, qui n'est que d'un instant, pour la mesure de quelqu'autre? Serait-ce à dire que ce qui aurait duré cent mille fois plus que nous, dût toujours durer? On n'est pas si aisément éternel. Il faudrait qu'une chose eût passé bien des âges d'homme mis bout à bout pour commencer à donner quelque signe d'immortalité. Vraiment, dit la marquise, je vois les mondes bien éloignés d'y pouvoir prétendre. Je ne leur ferais seulement pas l'honneur de les comparer à ce jardinier qui dure tant à l'égard des roses; ils ne sont que comme les roses mêmes qui naissent et qui meurent dans un jardin les unes après les autres; car je m'attends bien que s'il disparaît des étoiles anciennes, il en paraît de nouvelles ; il faut que l'espèce se répare. Il n'est pas à craindre qu'elle périsse, répondis-je. Les uns vous diront que ce ne sont que des soleils qui se rapprochent de nous, après avoir été long-temps perdus pour

nous dans la profondeur du ciel. D'autres vous diront que ce sont des soleils qui se sont dégagés de cette croûte obscure qui commençait à les environner. Je crois aisément que tout cela peut être ; mais je crois aussi que l'univers peut avoir été fait de sorte qu'il s'y formera de temps en temps des soleils nouveaux. Pourquoi la matière propre à faire un soleil ne pourra-t-elle pas, après avoir été dispersée en plusieurs endroits différens, se ramasser à la longue en un certain lieu, et y jeter les fondemens d'un nouveau monde ? J'ai d'autant plus d'inclination à croire ces nouvelles productions, qu'elles répondent mieux à la haute idée que j'ai des ouvrages de la nature. N'aurait-elle le pouvoir que de faire naître et mourir des planètes ou des animaux par une révolution continuelle? Je suis persuadé, et vous l'êtes déjà aussi, qu'elle met en usage ce même pouvoir sur les mondes, et qu'il ne lui en coûte pas davantage. Mais nous avons sur cela plus que de simples conjectures. Le fait est, que depuis près de cent ans que l'on voit avec les lunettes un ciel tout nouveau et inconnu aux anciens, il n'y a pas beaucoup de constellations où il ne soit arrivé quelque changement sensible; et c'est dans la voie de lait qu'on en remarque le plus, comme si dans cette fourmilière de petits mondes il régnait plus de mouvement et d'inquiétude. De bonne foi, dit la marquise, je trouve à présent les mondes, les cieux et les corps célestes si sujets au changement, que m'en voilà tout-à-fait revenue. Revenons-en encore mieux, si vous m'en croyez, répliquai-je, n'en parlons plus; aussi bien, vous voilà arrivée à la dernière voûte des cieux; et pour vous dire s'il y a encore des étoiles au-delà, il faudrait être

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