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par elles-mêmes, et toutes, en un mot, autant de soleils.

Ne me trompé-je point, s'écria la marquise, ou si je vois où vous me voulez mener? M'allez-vous dire : « Les étoiles fixes sont autant de soleils; notre soleil est » le centre d'un tourbillon qui tourne autour de lui : pourquoi chaque étoile fixe ne sera-t-elle pas aussi le >> centre d'un tourbillon qui aura un mouvement au» tour d'elle? Notre soleil a des planètes qu'il éclaire; pourquoi chaque étoile fixe n'en aura-t-elle pas aussi » qu'elle éclairera? » Je n'ai à vous répondre, lui disje, , que ce que répondit Phèdre à OEnone : C'est toi qui

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l'as nommé.

Mais, reprit-elle, voilà l'univers si grand que je m'y perds; je ne sais plus où je suis; je ne suis plus rien. Quoi, tout sera divisé en tourbillons jetés confusément les uns parmi les autres? Chaque étoile sera le centre d'un tourbillon, peut-être aussi grand que celui où nous sommes? Tout cet espace immense, qui comprend notre soleil et nos planètes, ne sera qu'une petite parcelle de l'univers? Autant d'espaces pareils que d'étoiles fixes? Cela me confond, me trouble, m'épouvante. Et moi, répondis-je, cela me met à mon aise. Quand le ciel n'était que cette voûte bleue où les étoiles étaient clouées, l'univers me paraissait petit et étroit; je m'y sentais comme oppressé. Présentement qu'on a donné infiniment plus d'étendue et de profondeur à cette voûte, en la partageant en mille et mille tourbillons, il me semble que je respire avec plus de liberté, et que je suis dans un plus grand air, et assurément l'univers a toute une autre magnificence. La nature n'a rien épargné en le produisant ; elle a fait

une profusion de richesses tout-à-fait digne d'elle. Rien n'est si beau à se représenter que ce nombre prodigieux de tourbillons dont le milieu est occupé par un soleil qui fait tourner des planètes autour de lui. Les habitans d'une planète d'un de ces tourbillons infinis, voient de tous côtés les soleils des tourbillons dont ils sont environnés ; mais ils n'ont garde d'en voir les planètes qui, n'ayant qu'une lumière faible, empruntée de leur soleil, ne la poussent point au-delà de leur monde.

Vous m'offrez, dit-elle, une espèce de perspective si longue, que la vue n'en peut attraper le bout. Je vois clairement les habitans de la terre; ensuite vous me faites voir ceux de la lune et des autres planètes de notre tourbillon assez clairement à la vérité, mais moins que ceux de la terre. Après eux viennent les habitans des planètes des autres tourbillons. Je vous avoue qu'ils sont tout-à-fait dans l'enfoncement, et que quelque effort que je fasse pour les voir, je ne les aperçois presque point. Et en effet, ne sont-ils pas presque anéantis par l'expression même dont vous êtes obligé de vous servir en parlant d'eux? Il faut que vous les appeliez les habitans d'une des planètes de l'un de ces tourbillons, dont le nombre est infini, Nous-mêmes, à qui la même expression convient, avouez que vous ne sauriez presque plus nous démêler au milieu de tant de mondes. Pour moi, je commence à voir la terre si effroyablement petite, que je ne crois pas avoir désormais d'empressement pour aucune chose. Assurément, si on a tant d'ardeur de s'agrandir, si on fait desseins sur desseins, si on se donne tant de peine, c'est que l'on ne connait pas les tourbillons. Je pré

tends bien que ma paresse profite de mes nouvelles lumières; et quand on me reprochera mon indolence, je répondrai: Ah! si vous saviez ce que c'est que les étoiles fixes! Il faut qu'Alexandre ne l'ait pas su, répliquai-je; car un certain auteur, qui tient que la lune est habitée, dit fort sérieusement qu'il n'était pas possible qu'Aristote ne fût dans une opinion si raisonnable (comment une vérité eût-elle échappé à Aristote?); mais qu'il n'en voulut jamais rien dire, de peur de fâcher Alexandre, qui eût été au désespoir de voir un monde qu'il n'eût pas pu conquérir. A plus forte raison lui eût-on fait mystère des tourbillons des étoiles fixes, quand on les eût connus en ce temps-là ; c'eût été faire trop mal sa cour que de lui en parler. Pour moi, qui les connais, je suis bien fâché de ne pouvoir tirer d'utilité de la connaissance que j'en ai. Ils ne guérissent tout au plus, selon votre raisonnement, que de l'ambition et de l'inquiétude, et je n'ai point ces maladies là: Un peu de faiblesse pour ce qui est beau, voilà mon mal, et je ne crois pas que les tourbillons y puissent rien. Les autres mondes vous rendent celui-ci petit, mais ils ne vous gâtent point de beaux yeux ou une belle bouche; cela vaut toujours son prix, en dépit de tous les mondes possibles.

C'est une étrange chose que l'amour, répondit-elle en riant; il se sauve de tout, et il n'y a point de système qui lui puisse faire de mal. Mais aussi, parlez-moi franchement, votre système est-il bien vrai? Ne mé déguisez rien; je vous garderai le secret. Il me semble qu'il n'est appuyé que sur une petite convenance bien légère. Une étoile fixe est lumineuse d'elle-même comme le soleil; par conséquent il faut qu'elle soit,

comme le soleil, le centre et l'âme d'un monde, et qu'elle ait ses planètes qui tournent autour d'elle. Cela est-il d'une nécessité bien absolue? Écoutez, Madame, répondis-je, puisque nous sommes en humeur de mêler toujours des folies de galanterie à nos discours les plus sérieux, les raisonnemens de mathématiques sont faits comme l'amour. Vous ne sauriez accorder si peu de chose à un amant, que bientôt après il ne faille lui en accorder davantage, et à la fin, cela va loin. De même, accordez à un mathématicien le moindre principe, il va vous en tirer une conséquence qu'il faudra que yous lui accordiez aussi, et de cette conséquence encore une autre ; et malgré vous-même, il vous mène si loin, qu'à peine le pouvez-vous croire. Ces deux sortes de gens là prennent toujours plus qu'on ne leur donne. Vous convenez que quand deux choses sont semblables en tout ce qui me paraît, je les puis croire aussi semblables en ce qui ne me paraît point, s'il n'y a rien d'ailleurs qui m'en empêche. De là, j'ai tiré que la lune était habitée, parce qu'elle ressemble à la terre; les autres planètes , parce qu'elles ressemblent à la lune. Je trouve que les étoiles fixes ressemblent à notre soleil ; je leur attribue tout ce qu'il a. Vous êtes engagée trop avant pour pouvoir reculer; il faut franchir le pas de bonne grâce. Mais, dit-elle, sur le pied de cette ressemblance que vous mettez entre les étoiles fixes et notre soleil, il faut que les gens d'un autre grand tourbillon ne le voient que comme une petite étoile fixe, qui se montre à eux seulement pendant leurs nuits.

Cela est hors de doute, répondis-je. Notre soleil est si proche de nous, en comparaison des soleils des autres tourbillons, que sa lumière doit avoir infiniment

plus de force sur nos yeux que la leur. Nous ne voyons donc que lui quand nous le voyons, et il efface tout : mais dans un autre grand tourbillon, c'est un autre soleil qui y domine ; et il efface à son tour le nôtre, qui n'y paraît que pendant les nuits avec le reste des autres soleils étrangers, c'est-à-dire, des étoiles fixes. On l'attache avec elles à cette grande voûte du ciel, et il y fait partie de quelque ourse ou de quelque taureau. Pour les planètes qui tournent autour de lui, notre terre, par exemple, comme on ne les voit point de si loin, on n'y songe seulement pas. Ainsi, tous les soleils sont soleils de jour pour le tourbillon où ils sont placés, et soleils de nuit pour tous les autres tourbillons. Dans leur monde, ils sont uniques en leur espèce; partout ailleurs, ils ne servent qu'à faire nombre. Ne faut-il pas pourtant, reprit-elle, que les mondes, malgré cette égalité, diffèrent en mille choses? car un fond de ressemblance ne laisse pas de porter des differences infinies.

Assurément, repris-je; mais la difficulté est de deviner. Que sais-je? Un tourbillon a plus de planètes qui tournent autour de son soleil, un autre en a moins. Dans l'un, il y a des planètes subalternes, qui tournent autour de planètes plus grandes : dans l'autre, il n'y en a point. Ici, elles sont toutes ramassées autour de leur soleil, et font comme un petit peloton, au-delà duquel s'étend un grand espace vide, qui va jusqu'aux tourbillons voisins: ailleurs, elles prennent leurs cours vers les extrémités du tourbillon, et laissent le milieu vide. Je ne doute pas même qu'il ne puisse y avoir quelques tourbillons déserts et sans planètes d'autres dont le soleil, n'étant pas au centre, ait un véritable

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