Page images
PDF
EPUB

solide, et retournent d'un autre côté, au lieu qu'elles passent au travers de ce qui leur présente des ouvertures en ligne droite, comme l'air ou le verre. Ainsi, ce qui fait que la lune nous éclaire, c'est qu'elle est un corps dur et solide, qui nous renvoie ces petites balles. Or, je crois que vous ne contesterez pas à la terre cette même dureté et cette même solidité. Admirez donc ce que c'est que d'être posté avantageusement. Parce que la lune est éloignée de nous, nous ne la voyons que comme un corps lumineux, et nous ignorons que ce soit une grosse masse semblable à la terre. Au contraire, parce que la terre a le malheur que nous la voyons de trop près, elle ne nous paraît qu'une grosse masse, propre seulement à fournir de la pâture aux animaux, et nous ne nous apercevons pas qu'elle est lumineuse, faute de nous pouvoir mettre à quelque distance d'elle. Il en irait donc de la même manière, dit la marquise, que lorsque nous sommes frappés de l'éclat des conditions élevées au-dessus des nôtres, et que nous ne voyons pas qu'au fond elles se ressemblent toutes extrêmement.

[ocr errors]

C'est la même chose, répondis-je. Nous voulons juger de tout, et nous sommes toujours dans un mauvais point de vue nous voulons juger de nous, nous en sommes trop près : nous voulons juger des autres, nous en sommes trop loin. Qui serait entre la lune et la terre, ce serait la vraie place pour les bien voir. Il faudrait être simplement spectateur du monde, et non pas habitant. Je ne me consolerai jamais, dit-elle, de l'injustice que nous faisons à la terre, et de la préoccupation trop favorable où nous sommes pour la lune, si vous ne m'assurez que les gens de la lune ne connais

sent pas mieux leurs avantages que nous les nôtres, et qu'ils prennent notre terre pour un astre, sans savoir que leur habitation en est un aussi. Pour cela, reprisje, je vous le garantis: nous leur paraissons faire assez régulièrement nos fonctions d'astre. Il est vrai qu'ils ne nous voient pas décrire un cercle autour d'eux; mais il n'importe, voici ce que c'est la moitié de la lune qui se trouva tournée vers nous au commencement du monde, y a toujours été tournée depuis; elle ne nous présente jamais que ces yeux, cette bouche, et le reste de ce visage que notre imagination lui compose sur le fondement des taches qu'elle nous montre. Si l'autre moitié opposée se présentait à nous, d'autres taches différemment arrangées nous feraient, sans doute, imaginer quelque autre figure. Ce n'est pas que la lune ne tourne sur elle-même; elle y tourne en autant de temps qu'autour de la terre, c'est-à dire, en un mois; mais lorsqu'elle fait une partie de ce tour sur elle-même, et qu'il devrait se cacher à nous, une joue, par exemple, de ce prétendu visage, et paraître quelque autre chose, elle fait justement une semblable partie de son cercle autour de la terre; et se mettant dans un nouveau point de vue, elle nous montre encore cette même joue. Ainsi la lune qui, à l'égard du soleil et des autres astres, tourne sur elle-même, n'y tourne point à notre égard: ils lui paraissent tous se lever et se coucher en l'espace de quinze jours ; mais pour notre terre, elle la voit toujours suspendue au même endroit du ciel. Cette immobilité apparente ne convient guère à un corps qui doit passer pour un astre, mais aussi elle n'est pas parfaite. La lune a un certain balancement qui fait qu'un petit coin du visage se cache quel

quefois, et qu'un petit coin de la moitié opposée se montre. Or, elle ne manque pas, sur ma parole, de nous attribuer ce tremblement, et de s'imaginer que nous avons, dans le ciel, comme un mouvement de pendule qui va et vient.

Toutes ces planètes, dit la marquise, sont faites comme nous qui rejetons toujours sur les autres ce qui est en nous-mêmes. La terre dit: Ce n'est pas moi qui tourne, c'est le soleil. La lune dit: Ce n'est pas moi qui tremble, c'est la terre. Il y a bien de l'erreur partout. Je ne vous conseille pas d'entreprendre d'y rien réformer, répondis-je; il vaut mieux que vous acheviez de vous convaincre de l'entière ressemblance de la terre et de la lune. Représentez-vous ces deux grandes boules suspendues dans les cieux. Vous savez que le soleil éclaire toujours une moitié des corps qui sont ronds, et que l'autre moitié est dans l'ombre. Il y a donc toujours une moitié, tant de la terre que de la lune, qui est éclairée du soleil, c'est-à-dire, qui a le jour, et une autre moitié qui est dans la nuit. Remarquez d'ailleurs que comme une balle a moins de force et de vitesse après qu'elle a été donner contre une muraille qui l'a renvoyée d'un autre côté, de même la lumière s'affaiblit lorsqu'elle a été réfléchie par quelque corps. Cette lumière blanchâtre, qui nous vient de la lune, est la lumière même du soleil; mais elle ne peut venir de la lune à nous que par une réflexion. Elle a donc beaucoup perdu de la force et de la vivacité qu'elle avait lorsqu'elle était reçue directement sur la lune; et cette lumière éclatante, que nous recevons du soleil, et que la terre réfléchit sur la lune, ne doit plus être qu'ue lumière blanchâtre, quand elle y est arrivée. Ainsi, ce qui

A

nous paraît lumineux dans la lune, et qui nous éclaire pendant nos nuits, ce sont des parties de la lune qui ont le jour; et les parties de la terre qui ont le jour, lorsqu'elles sont tournées vers les parties de la lune qui ont la nuit, les éclairent aussi. Tout dépend de la manière dont la lune et la terre se regardent. Dans les premiers jours du mois que l'on ne voit pas la lune, c'est qu'elle est entre le soleil et nous, et qu'elle marche de jour avec le soleil. Il faut nécessairement que toute sa moitié, qui a le jour, soit tournée vers le soleil, et que toute sa moitié, qui a la nuit, soit tournée vers nous. Nous n'avons garde de voir cette moitié qui n'a aucune lumière pour se faire voir; mais cette moitié de la lune, qui a la nuit, étant tournée vers la moitié de la terre, qui a le jour, nous voit sans être et nous voit sous la même figure que nous voyons la pleine-lune : c'est alors pour les gens de la lune pleine-terre, s'il est permis de parler ainsi. Ensuite la lune qui avance sur son cercle d'un mois, se dégage de dessous le soleil, et commence à tourner vers nous un petit coin de sa moitié éclairée, et voilà le croissant. Alors aussi les parties de la lune, qui ont la nuit, commencent à ne plus voir toute la moitié de la terre qui a le jour, et nous sommes en décours pour elles.

vue,

Il n'en faut pas davantage, dit brusquement la marquise; je saurai tout le reste quand il me plaira ; je n'ai qu'à y penser un moment, et qu'à promener la lune sur son cercle d'un mois. Je vois, en général, que dans la lune ils ont un mois à rebours du nôtre, et je gage que, quand nous avons pleine-lune, c'est que toute la moitié lumineuse de la lune est tournée vers toute la moitié obscure de la terre; qu'alors ils ne nous voient

ses,

point du tout, et qu'ils comptent nouvelle-terre. Je në voudrais pas qu'il me fût reproché de m'être fait expliquer tout au long une chose si aisée. Mais les éclipcomment vont-elles? Il ne tient qu'à vous de le deviner, répondis-je. Quand la lune est nouvelle, qu'elle est entre le soleil et nous, et que toute sa moitié obscure est tournée vers nous, qui avons le jour, Vous voyez bien que l'ombre de cette moitié obscure se jette vers nous. Si la lune est justement sous le soleil, cette ombre nous le cache, et en même temps noircit une partie de cette moitié lumineuse de la terre qui était vue par la moitié obscure de la lune. Voilà donc une éclipse de soleil pour nous pendant notre jour, et une éclipse de terre pour la lune pendant sa nuit. Lorsque la lune est pleine, la terre est entre elle et le soleil, et toute la moitié obscure de la terre est tournée vers toute la moitié lumineuse de la lune. L'ombre de la terre se jette donc vers la lune; si elle tombe sur le corps de la lune, elle noircit cette moitié lumineuse que nous voyons, et à cette moitié lumineuse qui avait le jour, elle lui dérobe le soleil. Voilà donc une éclipse de lune pendant notre nuit, et une éclipse de soleil pour la lune pendant le jour dont elle jouissait. Ce qui fait qu'il n'arrive pas des éclipses toutes les fois que la lune est entre le soleil et la terre, ou la terre entre le soleil et la lune, c'est que souvent ces trois corps ne sont pas exactement rangés en ligne droite, et que par conséquent celui qui devrait faire l'éclipse, jette son ombre un peu à côté de celui qui en devrait être couvert.

Je suis fort étonnée, dit la marquise, qu'il y ait si peu de mystère aux éclipses, et que tout le monde n'en

« PreviousContinue »