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Cependant, Dieu en établissant les proportions de la communication des mouvemens, veut qu'un grand corps résiste plus qu'un petit, et soit plus difficile à ébranler. Il détermine donc ces deux corps à une égalité qui est contre leur nature.

En général, vous voyez bien que la communication des mouvemens n'étant point naturelle aux corps, les proportions de cette communication ne peuvent suivre de leur nature, car les proportions ont pour fondement nécessaire la communication.

Dieu ne peut donc établir ces proportions, sans agir au-delà ou contre la nature des corps, c'est-à-dire par des lois particulières.

Et même toutes les fois qu'il réduit en pratique, pour ainsi dire, ces règles qu'il a établies, il agit encore par des lois particulières; car l'exécution, quoiqu'uniforme, de ce qui est contre la nature des sujets, blesse toujours, quoiqu'uniformément, la nature de ces sujets.

Que le choc soit Cause occasionnelle tant qu'il vous plaira, cela ne remédie à rien; c'est cet homme qui me fait signe que j'aille sonner l'heure. Je n'en agis pas moins contre la nature de ma machine toutes les fois que je la fais sonner. J'agis avec une uniformité de plus, je l'avoue : mais nous avons vu que cette uniformité, qui ne part ni de plus de sagesse, ni de plus d'intelligence, ne contribue en rien à la perfection de l'action, et dès lors même est vicieuse par son inutilité.

Sans répéter sur le choc ce que j'ai dit sur cet homme, j'aime mieux vous faire voir toute cette matière d'une vue générale.

Souvenez-vous que nous avons montré que l'unifor

mité par elle-même n'est point parfaite : il n'y a que l'uniformité dans quelque chose de parfait, qui soit parfaite.

Souvenez-vous aussi qu'une action qui exécute un dessein n'est d'une uniformité qui la rende plus parfaite, que quand elle est toujours selon la nature du sujet.

Mais elle est toujours imparfaite, quoiqu'uniforme, si elle est toujours contre la nature du sujet; ou toujours indifférente, supposé qu'elle eût pu être selon la nature du sujet.

Lorsqu'entre l'agent qui agit de l'une de ces deux manières imparfaites, et le sujet sur lequel il agit, on mettra une Cause occasionnelle, réparera-t-on l'imperfection de l'action?

On n'aura garde de la réparer; car cette imperfection consiste en ce que l'action n'est pas selon la nature du sujet. Or, cette Cause occasionnelle, qui précisément parce qu'elle est Cause occasionnelle, ne peut avoir qu'un rapport arbitraire et jamais naturel, tant à l'action de l'agent qu'au sujet sur lequel on agit, ne mettra assurément rien dans cette action qui fasse qu'elle soit davantage selon la nature du sujet. Elle y mettra une uniformité nouvelle : mais comme elle ne changera rien dans le rapport qu'a l'action au sujet, elle laissera toujours l'action indifférente ou particulière quoiqu'uniforme.

On se trompe dans le système des Causes occasionnelles, en nous donnant une action pour générale, dès qu'elle est uniforme.

L'uniformité enferme seulement la continuation constante du même rapport, quel qu'il soit, entre l'ac

tion et le sujet. La généralité, s'il est permis de parler ainsi, détermine ce rapport à être le plus parfait qui puisse être. Cette équivoque règne dans les ouvrages des Cartésiens d'un bout à l'autre.

Maintenant si cette uniformité nouvelle, que la Cause occasionnelle ajoute à l'action, ne fait pas que l'action ait un rapport plus parfait à la nature du sujet, elle ne fait pas non plus qu'elle en ait un plus parfait au dessein; car le dessein s'exécuterait bien sans Cause occasionnelle, et au contraire il s'en exécute souvent plus mal, disent les Cartésiens. Cette nouvelle uniformité est donc tout au moins absolument superflue, et - par conséquent elle ne peut jamais être admise, lorsqu'il s'agit d'une action de Dieu.

Voilà, je crois, l'endroit faible du système des Causes occasionnelles, et le nœud de toutes les difficultés qui peuvent être faites sur cette matière.

corps

Dieu n'établira donc point le choc Cause occasionnelle de la communication des mouvemens, supposé que les n'aient d'eux-mêmes aucune force mouvante; et quand même il l'établirait, son action n'en serait pas moins particulière, parce qu'elle sera toujours ou contre la nature de machine que Dieu a donnée à toute la matière, ou contre la nature propre des corps, ainsi que nous l'avons prouvé.

il

Dans cette hypothèse de l'impuissance des corps, me paraît que Dieu n'aurait pu agir plus parfaitement que par les lois moyennes. Il n'eût point établi le choc Cause occasionnelle, cela n'eût servi de rien; il n'eût point mis les corps dans une disposition de machine d'où il ne pouvait rien tirer; il les eût laissés dans un état où ils eussent été indifférens à tout mouvement,

et les eût remués inégalement à chaque instant, selon son dessein. Si je ne pouvais faire de machine qui sonnat les heures, je ne m'amuserais point à en faire une qui ne servirait de rien; je n'établirais point d'homme qui me fût Cause occasionnelle par ses signes, puisque je saurais bien quand il faudrait sonner l'heure ; je la sonnerais avec deux pièces de métal quand il faudrait : ce serait le mieux que je pusse faire. Mettrais-je une disposition de machine dans ces pièces de métal exprès pour rendre mon action particulière, au lieu de moyenne, c'est-à-dire moins parfaite?

Certainement Dieu ne l'a pas fait non plus; et puisqu'il a mis une disposition de machine dans le monde matériel, son action n'est ni moyenne ni particulière. Mais afin qu'elle soit générale, il faut que les corps aient de leur nature une force mouvante qui agisse selon les différentes proportions de leur grosseur et de leur vitesse, et que Dieu les ait d'abord mus et arrangés de telle sorte que la seule communication naturelle de leurs mouvemens amène à chaque instant ce que Dieu veut qui arrive. Il n'en coûte à Dieu que de conserver toujours le même mouvement dans la masse de la matière, et jamais action ne peut être ni plus générale que celle là, ni supposer plus de sagesse et d'intelligence.

CHAPITRE VI.

Qu'il semble que le Système des Causes occasionnelles ne rend pas Dieu plus souverain, que le Système commun de la force mouvante des corps.

Les défenseurs des Causes occasionnelles paraissent être bien fiers de ce que dans leur système il n'y a point d'autre moteur que Dieu, point de force mouvante qu'en lui: mais je crois que cet avantage nous pourra être commun avec eux, pourvu que le système commun de la force des corps soit bien expliqué. Je ne sais si les philosophes qui le soutiennent, m'avoueront du tour que je vais lui donner.

Il est certain que l'existence des créatures est une vraie existence, réellement distinguée de celle de Dieu, cela n'est point contre sa grandeur ni contre sa souveraineté. Il pourrait donc bien aussi n'être pas contre sa souveraineté et sa grandeur, qu'il y eût dans les créatures une vraie force mouvante réellement distinguée de la sienne.

Jusques-là tout est égal; et tout ce que vous me direz contre la force des créatures, je vous le rétorquerai contre leur existence.

Mais comme l'existence des créatures étant dépendante et participée, a un caractère qui la met infiniment au-dessous de celle de Dieu, aussi leur force mouvante doit avoir quelque caractère qui la mette infiniment au-dessous de celle qui est en Dieu.

Cela se découvre sans peine. La force mouvante de Dieu est celle par laquelle il produit un mouvement qui n'était point: la force mouvante des créatures est celle par laquelle elles font passer d'un corps dans un

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