Page images
PDF
EPUB

qué de sagesse de leur demander une chose qui était audelà de leur nature.

La troisième action n'est imparfaite qu'au cas que des pièces de métal aient pu être mises dans une disposition où elles eussent sonné les heures d'elles-mêmes En ce cas là elle ne manque pas de sagesse; car selon la supposition, elle ne demande aux choses que ce qu'elles peuvent faire; mais elle manque d'intelligence de ne leur faire pas exéuter son dessein par leur nature seule, comme il se pourrait. Il y a toujours plus d'habileté à faire une machine qui exécute votre dessein, qu'à n'en faire pas quand il est possible d'en faire une.

Avant que la machine que je veux faire soit faite, je ne puis agir plus parfaitement que d'une action indifférente à la nature des sujets; car s'ils résistaient à quelque disposition, je manquerais de sagesse en les y mettant mais comme je les suppose indifférens à toute disposition, mon action sera toujours indifférente à leur nature, c'est à mon dessein à me déterminer.

Mais la machine faite, je ne dois plus agir que précisément selon sa nature.

Vous voyez donc par ces trois espèces d'actions que nous avons proposées, que l'uniformité, en tant que simple uniformité, ne suffit pas pour rendre une action parfaite; mais qu'il faut que ce soit une uniformité qui suppose de la sagesse et de l'intelligence.

Remarquez encore qu'une action n'en est pas plus parfaite pour être plus uniforme, si ce n'est de cette uniformité d'intelligence et de sagesse.

Je suppose qu'il soit impossible qu'une machine sonne les heures d'elle-même. Il faut que j'aille les lui faire sonner toutes de ma main. Cette action a son uni

formité, en ce que j'agis toujours par rapport à mon dessein et au-delà de la nature de mon sujet.

J'établis un homme qui, quoique je sache fort bien quand il faudra aller sonner l'heure, ne manquera jamais à me faire signe d'y aller quand il le faudra ; et alors je dis Voilà mon action devenue plus uniforme, et par conséquent plus parfaite; car j'agis toujours sur les signes de cet homme. Ai-je raison?

:

Non sans doute. La nouvelle uniformité de mon action ne suppose pas en moi plus de sagesse; je n'en demande pas moins à ma machine une chose qu'elle ne peut faire. Elle ne suppose pas plus d'intelligence, car la nature de cet homme n'a aucun rapport aux heures; il ne me fait signe précisément que parce que je le veux : il est visible que je n'en suis pas plus habile pour l'avoir voulu. La connaissance de ce rapport arbitraire que j'ai établi sans nécessité, ne me rend pas intelligent mais de l'avoir établi sans nécessité, cela me rend moins sage. Voilà tout ce que produit la nouvelle uniformité de mon action.

Comme on entend en géneral et confusément par le mot d'actions ou lois générales, des actions d'une uniformité qui les rend plus parfaites, sans démêler précisément en quoi consiste cette perfection, je crois que nous pouvons définir les actions ou lois générales, celles qui exécutent un dessein selon la nature du sujet en sorte que la nature du sujet demande par elle-même ce que demande aussi le dessein.

Les actions ou lois particulières seront celles qui exécutent un dessein au-delà ou contre la nature du sujet cela s'entend assez.

A quoi il faut ajouter une troisième espèce d'actions

ou de lois auxquelles on n'a point encore pensé, quoiqu'elles eussent pu servir à éclaircir cette matière. Nous les appellerons actions ou lois moyennes, et ce seront celles qui exécutent un dessein d'une manière indifférente à la nature du sujet.

Il est aisé d'appliquer à Dieu et à son action ces définitions, et les exemples que nous avons apportés. Toute notre question est déjà résolue dans une espèce d'allégorie.

Il est du dessein de Dieu que les mouvemens des corps qui se rencontrent passent des uns dans les

autres.

Mais selon la nature des corps, cela ne se peut jamais faire; car il est de leur nature de n'avoir nulle force pour se mouvoir les uns les autres.

Voilà donc déjà Dieu qui demande aux corps quelque chose qui est au-delà de leur nature. Il tombe done dans l'un des deux inconvéniens de la loi particulière, qui est de n'avoir pas proportionné son dessein à la nature du sujet.

Cela répond au dessein que j'avais de faire sonner l'heure à une machine, quoique je supposasse qu'il fût impossible qu'une machine sonnât l'heure.

Et l'inconvénient est même encore plus grand à l'égard de Dieu qu'il n'était au mien. Si mes desseins excèdent la nature des piéces de métal, ce n'est pas moi qui leur ai donné leur nature. Mais les essences des choses sont fondées sur l'essence de Dieu; elles sont nécessairement telles, parce que l'essence de Dieu qui est nécéssaire, est telle. Or, il est inconcevable que la sagesse divine, en formant ses desseins, demande aux choses plus que ce qui est en elles par la participation de la

nature divine qui a déterminé leurs essences. Il est inconcevable que leur nature, quoique aussi parfaite qu'elle puisse être, soit pourtant assez imparfaite pour ne pouvoir exécuter les desseins de Dieu, ou que les desseins de Dieu soient si excessifs, qu'ils ne puissent être exécutés par la nature des choses, quoique très parfaite.

Au cas que, selon la nature des corps, leurs mouvemens ne puissent augmenter ou diminuer par leurs rencontres, Dieu a dû former un dessein dont l'exécution permit que les corps retinssent toujours, nonobstant leurs rencontres, la même quantité de mouvement. Alors Dieu eut agi par une loi générale.

Vous direz qu'il est de leur nature de pouvoir être mus, tantôt plus, tantôt moins, selon que Dieu le

veut.

Il est vrai ; cela est de leur nature quand vous les regardez simplement comme corps, comme parties d'une matière indifférente qui en tout temps a un mouvement plus ou moins grand. Mais si vous les regardez comme parties d'une machine, il est de leur nature de n'être inégalement mus, tantôt plus, tantôt moins, que selon la disposition de la machine le demande.

que

Si une machine, après avoir reçu du mouvement, ne peut sonner l'heure, et si je la lui fais sonner de ma main, j'agis alors par une loi particulière, et contre la nature de cette machine, qui veut être abandonnée à tout ce qui pourra arriver naturellement de la disposition où je l'ai mise.

Mais si je prends deux pièces de métal qui n'ont nulle liaison ni nul rapport qui les rendent parties du même tout, et que je les frappe l'une contre l'autre d'un

nombre de coups égal à l'heure, j'agis par une loi moyenne, parce que ces deux pièces de métal demeurent dans un état où elles sont indifférentes à tous les mouvemens que je leur voudrai donner.

A prendre les corps simplement comme matière, Dieu n'agit sur eux que par une loi moyenne, lorsqu'il les meut, tantôt plus, tantôt moins. Mais le monde matériel, selon l'idée de tous les philosophes, et particulièrement selon celle des Cartésiens, est une machine. Dieu doit donc à toutes les parties de cette machine un premier mouvement, si inégal qu'il lui plaira, il n'importe; jusques-là les corps sont indifférens : mais il faut que tout ce qui arrive ensuite dans la machine, arrive en vertu de la disposition où elle est, et par la seule nature des parties qui la composent. Or, il est impossible qu'en vertu de cette disposition, et par la nature des corps, il arrive que les mouvemens des uns augmentent, et que ceux des autres diminuent : car on suppose que les corps n'ont d'eux-mêmes nulle force mouvante, et assurément aucun arrangement ne leur en peut donner. Donc l'augmentation ou la diminution du mouvement des corps est contre leur nature, en tant qu'ils sont parties d'une machine. Donc elle se fait par une loi particulière.

Et ce qui porte encore davantage un caractère manifeste de loi particulière, ce sont les proportions que Dieu a établies en la communication des mouvemens. Il est, par exemple, de la nature de deux corps, quelque inégaux qu'ils soient, de résister également à la rencontre d'un troisième, et d'être également inébranlables, puisque ce troisième n'a pas plus de force pour en mouvoir l'un que l'autre.

« PreviousContinue »