Page images
PDF
EPUB

pérégrinations, tant en Asie qu'en Afrique. Cette observation est parfaitement juste, et il y avait bien pensé lui-même; mais cette carte n'existant pas, il s'agissait d'en dresser une nouvelle appropriée à la circonstance. Malheureusement la perte de sa vue lui a rendu ce travail impossible, quoiqu'il en eût réuni les éléments. Il espère, grâce aux offres obligeantes qui lui ont été faites de plusieurs côtés, et les yeux d'autrui suppléant les siens, pouvoir plus tard réparer cette omission forcée.

Dès la publication du premier volume de cette relation, des turcophiles, plus ou moins désintéressés et à coup sûr peu clairvoyants ou peu sincères, ont accusé l'auteur de parti pris contre les Turcs. Le parti pris est bien plutôt de leur côté, vu qu'il faut être aveugle ou fermer les yeux volontairement, pour ne pas voir que la Turquie, celle d'Europe en particulier, est une société en dissolution. Bien loin d'avoir infirmé le jugement formulé il y a dix-huit mois par l'auteur, les faits lui ont donné une éclatante confirmation, et ces faits ne l'ont point surpris, puisqu'il les avait prévus, annoncés même, et qu'ils sont d'ailleurs dans la force des choses. On perd son temps à réparer une maison qui tombe en ruine: car, tandis qu'on la relève d'un côté, elle s'écroule d'un autre. Cet engouement des Turcs succédant, pour le rappeler en passant, à l'engouement des Grecs, est une plaisanterie infiniment trop prolongée. Il serait temps qu'on voulût bien voir les choses comme elles sont,

et qu'on ne s'acharnât pas en pure perte à des reconstitutions impossibles. Galvaniser les morts n'est point les ressusciter; loin de là, c'est constater que la vie les a quittés pour toujours.

Paris, le 25 avril 1858.

500 LIEUES

SUR LE NIL

I

LE ROYAUME DE SENNÂR.

Le vaste territoire que les Egyptiens appellent Beled-el-Soudan, Pays des Noirs, et qui a été conquis par Méhémet-Ali, il y a une trentaine d'années, dut faire partie de cet empire d'Éthiopie dont l'histoire d'abord si vague, si confuse, ne se précise un peu qu'à l'époque où le royaume de Méroé parut sur la scène du monde. Son histoire se fondit, s'absorba plus tard dans celle de l'Égypte, dont cependant il ne partagea pas toutes les vicissitudes; car il ne fut ni conquis ni noyé comme elle dans l'immense débordement de l'empire romain. Le christianisme s'y introduisit vers le iv ou le

ve siècle, et a laissé en divers lieux, notamment à Dongola, à Méroé, plus loin encore, des monuments non équivoques de son existence: des croix, des ornements d'église, des inscriptions liturgiques en caractères coptes, et autres objets de même nature. Tout récemment, en 1852, on a découvert, aux environs d'Ouled-Médeny, sur la rive gauche du Fleuve-Bleu, entre le 13° et le 14° degré, des églises souterraines, d'une date très-ancienne. L'année précédente, le docteur Reitz, vice-consul d'Autriche à Khartoum, l'un des premiers explorateurs de ces contrées, ayant trouvé à Aboukhara, ou dans le voisinage, des croix, des encensoirs, voire des rosaires, croyait à l'existence, en cet endroit, d'une ville chrétienne du ve siècle, ensevelie dans les sables depuis douze cents ans.

Dès l'aurore de l'hégire, avant que les armées des premiers kalifes n'eussent débordé sur l'Égypte et n'en eussent fait la conquête, úne grande tribu du Hedjaz, les Ouled-Abbas, passèrent la mer Rouge et, débarqués sur la 'terre d'Afrique, se répandirent dans le pays de Taka, dans l'île de Sennâr, Djezeereg-el-Hoye, formée par les deux Nils, et jusqu'au Fazogl sur la frontière abyssinienne; ils envahirent, plus à l'ouest, le Cordofan et le Darfour. De cette souche primitive sortirent plusieurs rejetons qui prirent des noms particuliers et s'approprièrent définitivement les terres où ils s'étaient fixés: tels

« PreviousContinue »