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furent les Chakieh établis à Dongola, les Djiôalin à Chendi et à Berber, les Beni-Hamer à Taka, les Soukria entre l'Atbara et le Fleuve-Bleu, les Rifah dans le Fazogl, les Hassanieh, sur le Fleuve-Blanc, les Cababisch, les Bakara, d'autres encore, dans le Cordofan et sur les frontières du Darfour.

Il y eut alors un grand déplacement de peuples: les envahisseurs, renforcés d'émigrations postérieures venues comme eux du Hedjaz et aussi de l'Yemen, refoulèrent devant eux les populations indigènes trop faibles pour résister au torrent: les Nouba, à qui la Nubie doit son nom, et qui habitaient Dongola, cédèrent la place aux Chakieh, et se retirèrent, pour ne les plus quitter, dans les montagnes du Cordofan; les races nègres de l'île de Sennår se réfugièrent les unes sur les bords du FleuveBlanc, les autres dans les régions escarpées qui séparent le Fazogl de l'Abyssinie. Restés maîtres du Soudan et de la Nubie, les Arabes substituèrent leurs usages, leur culte, à ceux du pays, abolirent le christianisme naissant, et firent disparaître tout ce qui restait de l'antique civilisation éthiopienne. La révolution fut complète : ce fut un nouveau peuple, un nouveau Dieu.

Il est remarquable que les Arabes du Soudan ne fondèrent ni royaume ni empire: isolés, séparés, ils vivaient indépendants les uns des autres, souvent en hostilité. Chaque tribu, rangée sous la loi de

son cheik, formait comme un État particulier, aucun lien politique ne réunissait en un corps c membres dispersés d'une même famille. Tel est génie des Arabes essentiellement nomades amoureux de la liberté, ils ne comprennent d'autr unité que celle de la famille et de la tribu, qui elle même n'est qu'une famille un peu plus grande C'est la vie patriarcale dans son essence; or les patriarches n'avaient ni rois, ni princes; ils étaient princes et rois eux-mêmes sous leur tente; ils ne reconnaissaient qu'un maître, et ce maître c'était l'Éternel.

Cet état de choses dura jusqu'au 1x siècle de l'hégire, le xv de notre ère, époque à laquelle une nouvelle invasion changea les conditions politiques de la contrée. Vers 1480, autant qu'il est possible de préciser une date dans un pays sans histoire écrite, et chez lequel le souvenir des événements et des hommes ne se transmet que par la tradition, une nuée d'aventuriers nègres s'abattit entre les deux Nils, dans cette partie du Soudan où la légende locale place le royaume de Macrob, qui florissait au temps de Cambyse, et qui depuis fut gouverné par douze reines et par dix rois. Les Fundgi, nom des nouveaux venus, étaient partis de la rive orientale du Nil Blanc et des montagnes qui bordent ce fleuve entre le 12 et le 9 degrés. Une grande bataille leur fut livrée à Ar

badjy1: les conquérants, en étant sortis vainqueurs, allèrent fonder sur le Fleuve-Bleu la ville de Sennår, mot qui veut dire dents de feu, parce qu'ils avaient, dit-on, rencontré dans cet endroit une jeune fille dont les dents avaient cette couleur. Ainsi fut fondé le royaume de Sennår.

Le premier mek ou melek, c'est-à-dire roi, fut Amarah-Dou-Naks, qui régna quarante-deux ans. Le nouvel empire ne paraît pas s'être beaucoup étendu d'abord; ce ne fut que deux siècles plus tard, vers la fin du xvi que le mek Aouanseh II, le treizième des successeurs d'Amârah, fit la conquête du Fazogl. Les meks ou rois de Soba, dynastie nègre aussi, qui avait précédé les Fundgi et résisté, à ce qu'il paraît, à l'invasion des Arabes établis partout alentour, furent dépossédés par leur puissant voisin, et, réfugiés au sud dans les montagnes du Fleuve-Bleu, devinrent enfin leurs tribu

1. Cette ville, située à six lieues N. O. de Ouled-Médeny et à une lieue et demie du Nil-Bleu, fut détruite sous les Fundgi pendant les guerres civiles. On a bâti récemment, près du lieu qu'elle occupait, la petite ville de Messalamieh, peuplée de 2 à 3000 âmes, et devenue l'un des principaux marchés du Soudan oriental. Ses habitants, presque tous adonnés au commerce, trafiquent avec l'Abyssinie, le Dongola, le Kordofan, et même avec le Darfour. Entre cette ville et Ouled-Médeny, est le gros bourg de Théyba, résidence d'une famille de fakihs en grande vénération dans le pays. C'est dans le voisinage que se trouve le village d'Abou-Ochar, ainsi nommé de la quantité d'asclépias, en arabe ochar, qui croît aux environs.

taires. Le royaume de Sennâr étendit alors ses frontières au nord jusqu'à Dongola. Bruce fait un tableau fort piquant de cette cour noire, surtout de sa partie féminine. Un de ses meks avait fait entourer son palais, Dieu sait quel palais! d'une palissade de dents d'éléphants.

Il y avait à cette cour un officier dont les fonctions consistaient à tuer le roi régnant en temps de révolution, et qui ne le quittait jamais. Comme Bruce s'étonnait que le prince fundgi souffrît près de sa personne son assassin futur, ou du moins éventuel : « Si mon sort est de finir ainsi, lui répondit Sa Majesté Africaine, je n'y saurais échapper; et, dans ce cas, j'aime mieux le subir dans les formes et selon le cérémonial dû à mon rang, que d'être brutalement tué par le premier venu. »

Le nom de la France apparaît épisodiquement et tragiquement dans les ténèbres de cette histoire. aussi peu connue qu'elle est sans doute peu digne de l'être. Voici à quelle occasion. En 1703, Louis XIV envoya un ambassadeur au Grand-Négus, ou empereur d'Abyssinie: c'était M. Le Noir du Roule, qui, pour se rendre à son poste, prit la voie de l'Égypte. Dès le Caire, une partie de sa suite l'abandonna, effrayée des fatigues et surtout des dangers qu'il fallait affronter. Tantôt par le Nil, tantôt par le désert, il parvint à Sennâr au mois d'août 1705. D'après la chronologie des souverains du pays,

mek alors régnant devait être Aouanseh II, ou son fils Badeh III el-Ahmar.

Notre compatriote reçut d'abord un excellent accueil; mais l'hospitalité se changea bientôt en défiance, puis en trahison. Ces étrangers passaientpour des magiciens qui allaient en Abyssinie changer le cours du Nil et ruiner par là le royaume de Sennår. Ils devaient aussi, disait-on, apprendre l'art de la guerre aux Abyssins, leur fournir des canons; et comme l'ambassadeur, étalant un luxe imprudent, n'avait pas moins de soixante chameaux chargés de riches bagages, d'or même, à ce que croyaient les indigènes, la cupidité se mit de la partie, et l'ambassade tout entière fut massacrée sur la place du marché par des cavaliers du mek, au moment où elle se remettait en route pour continuer son voyage. L'empereur d'Abyssinie jura de tirer vengeance d'une injure si sanglante; mais l'expédition qu'il dirigea dans ce but contre Sennår n'eut aucun succès. Le monarque abyssinien se consola de son échec en menaçant les meurtriers de se venger d'une autre manière; ce qui lui serait facile, affirmait-il, puisque Dieu avait mis dans ses mains la source de leur fleuve. Pourtant on n'a pas ouï dire que le Nil Bleu eût cessé dès lors de couler dans son lit.

Les tribus arabes fixées dans le pays avaient reconnu la suzeraineté des Fundgi et leur payaient

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