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pes. Le sol est accidenté, sans atteindre jamais de grandes hauteurs. Le mont Berk-el-Anak, qui court à l'est et s'enfonce dans le désert, est une colline plutôt qu'une montagne, et ne doit ce dernier nom qu'à son isolement qui, ainsi que le Djebel-Rayan, dans la Haute-Nubie, le fait paraître beaucoup plus élevé qu'il ne l'est en effet au milieu des vastes plaines dont il est environné.

Tantôt on marche parmi les rocailles, tantôt sur des bancs calcaires à fleur de terre; mais le plus habituellement dans un sable mouvant que le vent amoncelle en dunes parfois très-élevées. Le Nil, qui est très-souvent caché derrière un épais rideau de palmiers, se fraye un passage sur plusieurs points, à travers des rochers de toutes dimensions, de toutes formes, qui coupent son lit transversalement, et qui, sans former précisément des cataractes, n'en gênent pas moins la navigation. Des bouquets d'acacias, d'une médiocre venue, végètent çà et là au milieu des sables; mais l'arbre le plus commun, sans aucune comparaison, est le palmier. Le mimosa de la grande espèce est presque rare. Les dattiers le sont encore plus, et ils sont d'un rapport insignifiant. Quelques îles, cependant, en sont couronnées, et, réfléchi dans le miroir du fleuve, leur gracieux éventail agité par tous les vents n'est pas le moindre ornement de ces paysages africains.

Je ne fus pas peu frappé de la solitude qui régnait partout sur notre passage. Nous ne rencontrâmes, dans toute une semaine, que deux caravanes; encore toutes les deux étaient-elles fort peu considérables. L'une se composait d'officiers turcs qui suivaient la même direction que nous et qui nous témoignèrent le désir de faire route ensemble. Le nôtre était absolument contraire: nous connaissions par expérience l'indiscrétion de cette race de voyageurs; noùs doublâmes le pas pour les laisser derrière nous. La seconde caravane, composée d'Arabes, venait dans le sens opposé, et nous nous croisâmes avec elle par une chaleur affreuse; on se sàlua poliment de part et d'autre en se donnant du salamaleïk, et l'on s'offrit de l'eau fraîche fort précieuse, je vous assure, sous ce soleil dévorant.

Voilà pour les rencontres étrangères. Quant aux naturels, on n'en voyait presque nulle part, malgré la proximité des villages; on eût dit un pays dépeuplé par la peste ou par la guerre. Traversant, au milieu du jour, un de ces villages, et même un des plus grands, je n'y découvris pas un seul habitant. En vain le parcourus-je dans tous les sens; toutes les portes étaient closes, et je dus renoncer à l'espoir de m'y procurer le lait quotidien sur lequel j'avais compté. Force fut donc de me rabattre sur l'eau fraîche de la zimzimie que je portais toujours accrochée à l'arçon de ma selle, et sur l'abri de

Mme Lafargue, dont je bénis une fois de plus la prévoyance hospitalière.

Nos chameaux étaient fort peu chargés; plusieurs même ne l'étaient pas du tout, et cela, grâce au nombre exagéré que nous en avait fait prendre à Berber le Cheik-el-Atmour. Nous aurions, par conséquent, pu marcher très-vite. Nous marchions, au contraire, très-lentement, et à toutes petites journées, sous prétexte qu'il fallait ménager les forces des animaux et les nôtres pour le passage de ce fameux Désert-sans-Eau, qu'on faisait miroiter à nos yeux comme quelque chose de formidable. On partait tard, on campait tôt, on se donnait du bon temps. Comme je n'étais nullement pressé, que rien ne me rappelait au Caire à jour fixe, cette manière paresseuse de voyager ne me déplaisait pas trop, et je la trouvais en somme fort agréable. Elle me permettait de prolonger tout à mon aise mes chères haltes de l'après-midi, à l'ombre des doums. On n'atteignit Abou-Hamed qu'à la fin du septième jour, tandis qu'on aurait pu commodément y arriver le quatrième. En mettant pied à terre, je m'aperçus que le nègre Saïd, que j'ai nommé précédemment et qui était attaché à mon service particulier, avait oublié à la dernière station un petit sac de voyage qu'il portait en bandoulière, et qui renfermait sous clef divers objets à mon usage impossibles à remplacer dans le pays;

plus, avec d'autres papiers de quelque prix, le reçu des cinquante guinées par moi prêtées à mon compagnon de voyage à notre départ de Khartoum. Saïd se rappelait avoir laissé le sac en question pendu aux branches d'un palmier. Les passants étant rares dans ces solitudes, il y avait grande chance de retrouver l'objet égaré en l'allant chercher immédiatement; l'oublieux serviteur, étant reparti sur-le-champ, le rapporta, en effet, au milieu de la nuit, à ma grande satisfaction: car la perte du reçu plus haut mentionné m'eût jeté dans un grand embarras, comme on le verra par la suite.

VIII

LE KABIR.

Abou-Hamed est sous l'invocation d'un saint musulman qui y est enterré et lui donne son nom. Les vrais croyants ne manquent jamais de se recommander à lui avant d'entreprendre la redoutable traversée de l'Atmour-Belâ-Ma, et les marchands déposent sur son tombeau, où ils les retrouvent à leur retour, les objets qu'ils ne peuvent emporter. Fort insignifiant par lui-même, ce village doit une certaine importance à sa position. Comme il est situé au point où le Nil revient sur lui-même au sud-ouest pour décrire la grande courbe d'Amboucol, c'est ici que les caravanes quittent le Nil, et font leurs derniers préparatifs pour le passage du désert. Il est pourvu à cet effet d'un khan beaucoup plus spacieux que tous les autres, même assez commode, et dont nous primes possession dès notre arrivée, en vertu du droit de pre

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