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SATIRE PREMIERE.

DAMON, ce grand auteur, dont la mufe fertile,

Amufa fi long-temps, & la cour, & la ville;
Mais qui n'étant vetu que de fimple bureau
Pafie l'été fans linge & l'hiver fans manteau,
Et de qui le corps fec & la mine affamée

N'en font pas micux refaits Four tant de renommée
Las de perdre en rimant, & fa peine, & fon bien,
D'emprunter en tous lieux, & de ne gagner rien,
Sans habits, fans argent, ne fachant plus que faire,
Vient de s'enfuir chargé de fa feule mifere;
Et bien-loin des fergents, des clercs & du palais,
Va chercher un repos qu'il ne trouva jamais ;
Sans attendre qu'ici la juftice ennemie-
L'enferme en un cachot le refte de fa vie ;
Ou que d'un bonnet verd le falutaire affront
Flétriffe les lauriers qui lui couvrent le front..

Mais le jour qu'il partit, plus défait & plus blême,. Que n'eft un pénitent fur la fin du carême,

La colere dans l'ame, & le feu dans les yeux,

Il diftilla fa rage en ces triftes adieux..

(a) Puifqu'en ces lieux, jadis aux mufes fi commodes, Le mérite & l'efprit ne font plus à la mode,

Qu'un poëte, dit-il, s'y voit maudit de Dieu,
Et qu'ici la vertu n'a plus ni feu nilieu;

(a) Il y a beaucoup de traits ici empruntés de la troifieme fatire de Juvenal, où Umbritius, quittant Rome, lui fait de Jemblables reproches, depuis le v. 21.

Quando artibus, inquit, honeftis

Nullas in urbe locus, nulla emolumenta laborum
Res hodie minor eft, here quàm fuit, atque eadem cras
Deteret exiguis aliquid, proponimus illuc..

Le fatigatas ubi, Dedalus exuit alas.

A S

Allons du moins chercher quelque antre ou quelque

roche,

D'où jamais ni l'huiffier ni le fergent n'approche;
Et fans laffer le ciel par des vœux impuiflants,
Mertons-nous à l'abri des injures du temps.
Tandis que libre encor, malgré les deftinées,
Mon corps n'eft point courbé fous le faix des années;
Qu'on ne voit point mes pas fous l'âge chanceler,
(6) Et qu'il refte à la parque encor de quoi filer,
C'eft là dans mon malheur le feul confeil à fuivre.
(c) Que George vive ici, puifque George y fait vivre ;
Qu'un million comptant par fes fourbes acquis,.
De clerc, jadis laquais, a fait comte & marquis:
Que Jaquin vive ici, dont l'adresse funeste
A plus caufé de maux que la guerre & la pefte;
Qui de fes revenus, écrits par alphabet,
Peut fournir aisément un Calepin complet.
Qu'il regne dans ces lieux, il a droit de s'y plaire;
(d. Mais moi, vivre à Paris ! eh! qu'y voudrois-je faire?
Je ne fais ni tromper, ni feindre, ni mentir,
Et quand je le pourrois, je n'y puis confentir.
Je ne fais point en lâche effuyer les outrages
D'un faquin orgueilleux qui vous tient à fes gages,
De mes fonnets flatteurs laffer tout l'univers,
Et vendre au plus offrant mon encens & mes vers,
Pour un fi bas emploi ma mufe eft trop altiere:
Je fuis ruftique & fier, & j'ai l'ame groffiere.
Je ne puis rien nommer, fi ce n'est par fon nom :
J'appelle un chat un chat, & Rolet un frippon.

(b) Dans la même fatire, v. 15.

Dum nova canities, dum prima & resta fene&us,
Dum fupereft Lachefi quod torqueat, & pedibus me
Porto meis, nullo dexteram fubeunte bacillo.

(c) lbid. v. 29.

Vivant Arturius illic,

Et Catulus; maneant qui nigrum in candida vertunte

(d) Ibid. v. 41.

Quid Rome faciam: mentiti nefcio,

De fervir un amant, je n'en ai pas l'adreffe;
J'ignore ce grand art qui gagne une maîtresse :
Et je fuis à Paris, trifte, pauvre & reclus,
(e) Ainfi qu'un corps fans ame, ou devenu perclus.
Mais pourquoi, dira-t-on, cette vertu fauvage,
Qui court à l'hôpital & n'eft plus en ufage?
La richeffe permet une jufte fierté ;
Mais il faut être fouple avec la pauvreté.

C'est par là qu'un auteur, que preffe l'indigence,
Peut des aftres malins corriger l'influence,
(f) Et que le fort burlefque, en ce fiecle de fer,
D'un pédant, quand il veut,
fait faire un duc & pair..

Ainfi de la vertu la fortune fe joue..

Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de fa roue
Qu'on verroit, de couleurs bizarrement orné,
Conduire le carroffe où on le voit traîné.
Si dans les droits du roi fa funefte fcience,
Par deux ou trois avis n'eût ravagé la France,
Je fais qu'un jufte effroi l'éloignant de ces lieux,
L'a fait, pour quelques mois, difparoître à nos yeux
(g) Mais en vain pour un temps une taxe l'exile.
On le verra bientôt pompeux en cette ville,
Marcher encor chargé des dépouilles d'autrui,
Et jouir du ciel même irrité contre lui.
(b)Tandis que Colletet, crotté jufqu'à l'échine,.
S'en va chercher fon pain de cuifine en cuifine

(e) Ibid. vf. 46.

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Tanquam

Mancus, & extinctæ corpus non utile dextræ.
f Juvenal, fatire III, vf. 39.

Quales ex humili magna ad faftigia rerum
Extollit, quoties voluit fortuna jocari.

(8) Juvenal, fatire I, vf. 47.

I Damnatus inanis

Judicio quid enim falvis infamia nummis)
Exul ab octava Marius bibir, & fruitur dis
Itatis.

(b) On trouvera des particularités remarquables de la Pauvreté de Colletet dans le tome I des Chevræana, pag. 500

Savant en ce métier fi cher aux beaux efprits,
Dont Montmaur autrefois fit leçon dans Paris.
Il eft vrai que du roi la bonté fecourable
Jette enfin fur la mufe un regard favorable,
Et réparant du fort l'aveuglement fatal,
Va tirer déformais Phébus de l'hôpital.
On doit tout efpérer d'un monarque fi jufte.
Mais fans un Mécénas, à quoi fert un Augufte?
Et fait comme je fuis, au fiecle d'aujourd'hui,
Qui voudra s'abaisser à me fervir d'appui è
Et puis comment percer cette foule effroyable
De rimeurs affamés dont le nombre l'accable,
Qui, dès que fa main s'ouvre, y courent des premiers,
Et raviffent un bien qu'on devoit aux derniers?
Comme on voit les frelons, troupe lâche & stérile,,
Aller piller le miel que l'abeille diftille.
Ceffons donc d'afpirer à ce prix tant vanté,

Que donne la faveur à l'importunité.

(i) Saint-Amand n'eût du ciel que fa veine en partage (k),.
L'habit qu'il eut fur lui, fut fon feul héritage:
Un lit, & deux placets compofoient tout fon bien,
Ou, pour mieux en parler, Saint-Amand n'avoit rien.
Mais quoi, las de traîner une vie importune,

Il engagea ce rien pour chercher la fortune;
Et tout chargé de vers qu'il devoit mettre au jour,
Conduit d'un vain efpoir, il parut à la cour.
Qu'arriva-t-il enfin de fa mufe abufée?

Il en revint couvert de honte & de rifée ;-
Et la fievre au retour terminant son destin,
Fit par avance en lui ce qu'auroit fait la faim,
Un poëte à la cour fut jadis à la mode :

(i) Il y a, dans cette description de la pauvreté de SaiarAmand, des traits tirés de la troisieme fatire de Juvenal, comme celui-ci :

Nil habui Codrus, quis enim negat & tamen illud
Perdidit infelix totum nihil,

(k) On trouvera un commentaire fur ces vers dans le fome I des Chevræana, page 34.

Mais des foux aujourd'hui c'est le plus incommode,
Et l'efprit le plus beau, l'auteur le plus poli
N'y parviendra jamais au fort de l'Angeli (1).
Faut-il donc déformais jouer un nouveau rôle 2
Dois-je, las d'Apollon, recourir à Bartôle,
Et feuilletant Louet, alongé par

Brodeau,
D'une robe à longs plis balayer le barreau ?
Mais à ce feul penfer, je fens que je m'égare.
Moi? que j'aille crier dans ce pays barbare,
Où l'on voit tous les jours l'innocence aux abois,
Errer dans des détours d'un dédale de loix,
Et dont l'amas confus des chicanes énormes,
Ce qui fut blanc au fond, rendu noir par les formes
Où Patru gagne moins qu'Uot & le Mazier;
Et dont les Čicérons fe font chez Pé-Fournier.
Avant qu'un tel deffein m'entre dans la pensée,,
On pourra voir la Seine à la faint Jean glacée:,,
Arnaud à Charenton devenir Huguenot,
Saint-Sorlin janfénifte, & Saint-Pavin bigot.
Quittons donc pour jamais une ville importune,
Où l'honneur a toujours guerre avec la fortune;
Où le vice orgueilleux s'erige en fouverain,
Et va la mitre en tête, & la croffe à la main ;
(m) Où la fcience trifte, affreuse & délaiffée,
Eft par tout des bons lieux comme infame chaffée &
Où le feul art en vogue eft l'art de bien voler;
Où tout me choque: enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme fi froid ne feroit plein de bile,
A l'afpect odieux des mœurs de cette ville?
Qui pourroit les fouffrir? & qui, pour les blâmer,

(1) C'étoit un fou de Louis II, prince de Condé. (m) Regnier a dit :

Si la fcience pauvre, affreufe & méprifée,

Sert au peuple de fable, aux plus grands de risée.

Hy a apparence que l'auteur a eu en vue ces vers de Regnier fameux poëte fatirique qu'il eftime beaucoup, comme il paroie par l'éloge qu'il en fáir daus fon art, poétique, chant 2 Veran la fin.

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