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Une vieille coquette a beau fe contrefaire,
Dans fon œil qui s'enfonce on lit fon baptiftaire.
Par là tout fon vifage eft fi déconcerté,
Qu'en dépit de lui-même il dit la vérité.

Qu'il coûte à cinquante ans de foins pour être belle!
Plus que d'efforts à vingt pour faire la cruelle.
Sur-tout malheur au teint qui n'eft beau que par art:
En effet, parois-tu fans un mafque de fard,
Je n'ai plus que pitié de ta couleur ufée :

As-tu remis ton fard, tu me fers de risée.
Oui, tandis qu'un vieux fou qui ne t'a jamais plu,
Chez toi, faute de mieux, vient fe prendre à ta glu,
Nous nous abandonnons au plaifir de médire,
Lorfque nous avons vu ton platre nous fourire.
Que ta fille jamais n'aille dans un faint lieu,
Quêter des cours pour elle, & des deniers pour Dieu.
Dis-lui que le théatre eft le plus für afyle,
Où fatan vient en paix prêcher son évangile :
Là, pour vanter le crime il lui donne un beau nom
L'adultere eft Vénus, & l'incefte eft Junon.
Que ta fille au plutôt, fachant ces artifices,
N'aille donc voir jamais déifier les vices.

,

Toutefois quand Efther inftruit fes fpectateurs: A fixer leurs plaifirs dans les plus faintes mœurs Quand elle étale aux yeux fes innocents fpe&tacles,, Accours avec ta fille entendre fes oracles.

IV,

SATIRE

A M. Bontems, gouverneur de Versailles : elle fut faite en l'année 1689, l'auteur étant curé de Garnay.

PR

RODIGE de la cour,

ami tendre & fincere,
BONTEMS, fais-moi l'honneur de plaindre ma mifere.
La maifon que j'habite eft un taudis plein d'eau,
Où l'air eft empefté comme dans un tombeau.
Tout eft dans mon défert, ou marais, ou montagne,
Un feul chemin de fange est toute ma campagne.
Là, le temps eft fi long, & le brouillard fi noir,
Que je prends tous les jours le midi pour le foir.
Bon Dieu, quel Tivoli, pour un enfant d'Horace!
Ne t'étonne donc pas fi, fur un tel parnaffe,
Chaque mot que j'écris n'eft pas affaifonné
Du fel qui manque aux vers de Baudinet l'ainé.
J'imiterois ailleurs Defpréaux & Moliere,
Mais je ne puis ici reflembler qu'à Banniere (a).
Je ne fuis pourtant pas tout-à-fait comme lui;
Dans lui c'eft la nature, & dans moi c'est l'ennui.
Hé! qui ne s'ennuieroit d'une falle aquatique,
Où vingt crapauds privés me donnent la mufique?
Là, le jour les hibous volent comme la nuit.

Près de là cinq moulins me font un fi grand bruit,
Que je ne m'endors plus qu'en lifant Charlemagne,
Ou quelque vieux fermon pillé par du Cotagne (b).
D'autre part, mon village eft plein de
gros manants,
Picards en apparence, & dans le fond Normands.
L'un me vole un chapon, qui m'eft si nécessaire,
Quand je veux que mon juge entende mon affaire;

(a) Nom en l'air,

Nom en l'air,

L'autre, en montrant mon feing, contrefait par l'huiffier, Quoique mon débiteur, paroît mon créancier.

Excepté le feigneur, que je trouve honnête homme, Tout eft fourbe à Garnay, mais fourbe autant qu'à Rome. Pour être gai, dis-tu, vois fouvent ce feigneur :

Qui moi le voir fouvent? Oh non, j'ai trop d'honneur:

On publieroit bientôt que j'en veux à fa femme,
Quoique mil fix cent vingt ait vu naître la dame:
La médifance ici nous rend fi réguliers,

Qu'on y voit circonfpects jufqu'à des cordeliers.

Je n'ai vu qu'un baron, fans épouse, fans fille, Et dont cinq gros garçons font toute la famille s Mais comme il s'emportoit, & prefque à tout moment, Nous nous fommes brouillés, & tu vas voir comment. Il me difoit un jour, ma foi, je fuis fort aife De vous voir fi connu du pere de la Chaife; C'est un homme d'honneur, & qui fert bien les gens: Si vous leur préfentiez mes deux derniers enfants, Il leur feroit pleuvoir les mitres fur la tête. Monfieur, lui répondis-je, il eft affable, honnête, Bienfaifant; mais jamais il n'offre fa faveur Qu'à ceux dont il approuve, & l'efprit, & le cœur, Point de fauffe vertu, point d'efprit de cabale, Un faint zele, & fur-tout une fage morale: Comme c'est ce qu'il a, c'est ce qu'il veut qu'on ait, Ainfi vos deux abbés, prêchant comme Feuillet, N'auront pas grand accès chez le révérend pere. Ils l'auront, me dit-il, le comte, fon frere, Sans vous, quand je voudrai, les lui présentera. Obliger c'est pour vous un terrible opéra : Pour lui, c'est ce qu'il aime; auffi la renommée En fait un courtisan dont la cour est charmée. Non, non, faire plaifir n'est pas votre talent: Pefte foit des curés qui portent l'habit blanc.

Après ces derniers mots, je fors, fans rien lui dire. Bien réfolu d'abord d'en faire une fatire;

Mais j'ai juré depuis, que je n'en ferais rien;
Ge feroit me venger, il faut être chrétien,

Tirai pourtant bientôt voir quelqu'autre perfonne, Car j'aime à babiller prefque autant qu'une none. D'aller chez un curé vuider plus d'un flacon, Moi qui ne fus jamais qu'ivrogne d'Hélicon; Je ne puis. C'eft tout un de chanter un chanoine. Que je m'expofe enfin à l'entretien d'un moine, Je n'y verrai qu'orgueil : s'il eft de qualité, Il ne m'étourdira que de fa parenté.

S'il prêche, il ne faut pas que devant lui je joue. Fléchier, Boileau, Gaillard, la Rue & Bourdaloue, Comment, en parlant d'eux, ne les point élever? Ah! j'aime mieux cent fois être feul, & crever. O ciel ! que dans Paris une cure eft commode! Le curé ne va voir que des gens à sa mode; Sur-tout jamais chez lui de femme à vieux haillons C'est toujours quelque dame à carroffe, à bouillons. Il gagne au mariage, au fervice, au baptême, Sans qu'il y foit préfent, & fans le favoir même. Les prônes font genants: point. D'un feul lieu commun, Il fait plufieurs difcours, qui n'en font pourtant qu'un. Bien plus; que des deniers destinés pour l'aumône Il achete une charge, il et exempt du prône. J'oubliois deux plaifirs du curé bien heureux; Il fe traite en évêque, & fe chauffe en chartreux. Mais durant qu'il jouit de fa béatitude, Pour moi, je n'envierois que quelque folitude, Qui me fit fabriquer des vers d'un bon aloi, Et chanter dignement les vertus de mon roi. Dis-lui donc quelquefois, mon illuftre Mécene, Qu'ici, pour le louer, je fuis trop à la gêne. Ah! tandis qu'en Augufte, il dompte l'univers, Que ne puis-je en Horace atteindre à de beaux vers

V,

SATIRE

Présentée à fa majesté en l'année 1694. C'EST ainfi que Damon, tantôt bien, tantôt mal,

guerre,

Un jour, en plein Verfaille, imitoit Juvenal.
Vertus que l'âge d'or fit régner fur la terre,
LOUIS feul aujourd'hui ne vous fait point la
Non, probité, fagefle, équité bonne foi,
Vous ne régnez en paix que dans le cœur du roi.
Par ce début j'attaque, & la cour, & la ville;
Mais, n'importe, par là j'évapore ma bile:
J'étouffe; & m'ordonner d'arrêter mes vapeurs,
C'eft dire à des bigots, ne foyez plus trompeurs.
Ah! que fur-tout la cour me rend atrabilaire!
Choquons-la; mon plaifir eft de lui bien déplaire.
Adieu cour, où le cœur n'ofe dire un feul mot,
Où le feul fourbe eft fage, où l'honnête homme eft for,
Où Montaufier n'eit plus où l'évêque réfide,
Où, plût au ciel qu'amour n'eût pour maître qu'Ovide!
Ou, malgré le monarque, on voit dans un faint lieu,
Dieu paroitre une fable, & le monarque un Dieu.
Adieu, cour, où le luxe eft une bienféance,
Où Tartufe a trouvé la corne d'abondance,
Où ne jamais flatter c'eft être criminel,

pour tout l'évangile on a Machiavel.

C'est là qu'un créancier, le corps fec, le teint jaune, De tous fes débiteurs n'a pas même une aumône. Là, le moindre confeil que donne l'intérêt, Malgré les Beauvilliers, eft toujours un arrêt.

Qualité des grands cours, agréable franchise, Que l'on doit méprifer la cour qui te méprife! Et qui croit qu'un prélat s'eft mis au rang des foux, Pour m'avoir dit tout net, j'ai parlé contre vous: Qu'il ait l'efprit hautain, même avec fes confreres Que des dames chez lui deviennent grands-vicaires;

Que

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