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SATIRE V.

A Monfieur le Marquis DANGEAU.

(a) LA noblesse, Dangeau, n'eft point une chimere,

Quand fous l'étroite loi d'une vertu févere,

Un homme, iffu d'un fang fécond en demi-dieux,
Suit, comme toi, lá trace où marchoient fes aïeux.
Mais je ne puis fouffrir qu'un fat dont la molieffe
N'a rien pour s'appuyer qu'une vaine noblesse,
Se pare infolemment du mérite d'autrui,

Et me vante un honneur qui ne vient pas de lui.
Je veux que la valeur de fes aïeux antiques
Ait fourni de matiere aux plus vieilles chroniques,
Et que l'un des Capet, pour honorer leur nom,
Ait de trois fleurs de lis doré leur écuffon.
Que fert ce vain amas d'une inutile gloire;
Si de tant de héros célebres dans l'histoire,
Il ne peut rien offrir aux yeux de l'univers,
Que de vieux parchemins qu'ont épargné les vers;
Si tout forti qu'il eft d'une fource divine,
Son cœur dément en lui la fuperbe origine,
Et n'ayant rien de grand qu'une fotte fierté,
S'endort dans une lâche & molle oifiveté ?
Cependant, à le voir avec tant d'arrogance,
Vanter le faux éclat de fa haute naiffance,
On diroit que le ciel eft foumis à fa loi,
Et
que Dieu l'a pétri d'autre limon que moi.
Enivré de lui-même, il croit dans fa folie,
Qu'il faut
que devant lui d'abord tout s'humilie.
Aujourd'hui toutefois, fans trop le ménager,

(a) Juvenal a traité la même matiere dans fa huicieme fatire,

Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger.
(b) Dites moi, grand héros, efprit rare & fublime,
Entre tant d'animaux, qui font ceux qu'on eftime?
On fait cas d'un courfier, qui, fier & plein de cœur,
Fait paroître en courant fa bouillante vigueur;
Qui jamais ne fe laffe, & qui dans la carriere,
S'eft couvert mille fois d'une noble pouffiere:
Mais la postérité d'Alfane & de Bayard,

Quand ce n'eft qu'une roffe, eft vendue au hafard,
Sans refpect des aïeux dont elle eft defcendue,
Et va porter la malle, ou tirer la charrue:
Pourquoi donc voulez-vous que, par un fot abus,
Chacun refpecte en vous un honneur qui n'eft plus ?
On ne m'éblouit point d'une apparence vaine :
La vertu, d'un cœur noble eft la marque certaine :
Si vous êtes forti de ces héros fameux,

Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux,
Ce zele pour l'honneur, cette horreur pour le vice.
Refpectez-vous les loix? Fuyez-vous l'injuftice?
Savez-vous fur un mur repouffer les affauts,
Et dormir en plain champ, le harnois fur le dos?
Je vour connois pour noble à ces illuftres marques :
(c) Alors foyez iffu des plus fameux monarques,

(b) Juvenal, fatire VIII, v. 96.

Dic mihi, Teucrorum proles, animalia muta
Quis generofa putet, nifi fortia, nempe volucrem
Sic laudamus equum, facili cui plurima palma
Fervet & exultat rauco victoria circo

Nobilis hic quocumque venit de gramine, cujus
Clara fuga ante alios, & primus in æquore pulvis.
Sed venale pecus Corytha pofterita, &
Hirpini, fi rara jugo victoria fedit,

Nil ibi majorum refpe&tus, gratia nulla
Umbrarum, dominos pretiis mutare jubentur
Exiguis, titoque trahunt epithedria collo,
Segni pedes dignique molam verfare Nepotis.
(4) Ibid, v. 131.

Tunc licet à pico numeres genus, altaque fi te
Nomina dele&ant, omnem Titanida pugnam
Inter majores, ipfumque Promethea ponas.
De quocumque voles proavum tibi fumito libro,

Venez de mille aïeux, & fi ce n'eft affez,
Feuilletez à loifir tous les fiecles paffés.

Voyez de quel guerrier il vous plaît de defcendre;
Choififfez de Cefar, d'Achille ou d'Alexandre :
En vain un faux cenfeur voudroit vous démentir
Et fi vous n'en fortez, vous en devez fortir.
Mais fuffiez-vous iffu d'Hercule en droite ligne,
Si vous ne faites voir qu'une baffeffe indigne,
Ce long amas d'aïeux, que vous diffamez tous,
Sont autant de témoins qui parlent contre vous ;
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie,
Ne fert plus que de jour à votre ignominie.
En vain tout fier d'un fang que vous déshonorez,
Vous dormez à l'abri de ces noms révérés.

En vain vous vous couvrez des vertus de vos peres,
Ce ne font à mes yeux que de vaines chimeres.
Je ne vois rien en vous qu'un lâche, un impofteur,
Un traître, un fcélérat, un perfide, un menteur,
Un fou dont les accès vont jufqu'à la furie,
Et d'un tronc fort illuftre, une brauche pourrie.
Je m'emporte peut-être, & ma muse en fureur
Verfe dans les difcours trop de fiel & d'aigreur:
Il faut avec des grands un peu de retenue;
Hé bien, je m'adoucis. Votre race eft connue.
Depuis quand ? Répondez. Depuis mille ans entiers;
Et vous pouvez fournir deux fois feize quartiers.
C'eft beaucoup. Mais enfin les preuves en font claires:
Tous les livres font pleins des titres de vos peres ;
Leurs noms sont échappés du naufrage des temps:
Mais qui m'aflurera qu'en ce long cercle d'ans,
A leurs fameux époux vos aïcules fidelles,
Aux douceurs des galants furent toujours rebelles
Et comment favez-vous fi quelque audacieux
N'a point interrompu le cours de vos aïeux,
Et fi leur fang tout pur, ainfi que leur nobleffe,
Eft paffé jufqu'à vous de Lucrece en Lucrece?
Que maudit foit le jour où cette vanité
Vint ici de nos mœurs fouiller la pureté !

Dans le temps bienheureux du monde en fon enfance,

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Chacun mettoit fa gloire en fa feule innocence:
Chacun vivant content & fous d'égales loix,
Le mérite y faifoit la nobleffe & les rois ;

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Et fans chercher l'appui d'une naiflance illuftre,
Un héros de foi-même empruntoit tout fon luftre:
Mais enfin, par le temps, le mérite avili

Vit l'honneur en roture, & le vice ennobli;
Et l'orgueil d'un faux titre appuyant fa foibleffe,
Maîtrifa les humains fous le nom de nobleffe.
De là vinrent en foule & marquis & barons:
Chacun pour fes vertus n'offrit plus que
des noms.
Auffi-tôt maint efprit fécond en rêveries,
Inventa le blafon avec les armoiries;
De fes termes obfcurs fit un langage à part,
Compofa tous ces mots de cimier & d'écart,
De pal, de contre-pal, de lambel & de face,
Et tout ce que Segoing dans fon mercure entaffe.
Une vaine folie enivrant la raison,

L'honneur trifte & honteux ne fut plus de faifon.
Alors pour foutenir fon rang & fa naissance,
Il fallut étaler le luxe & la dépense:

Il fallut habiter un fuperbe palais,

Faire par les couleurs diftinguer fes valets;
Et traînant en tous lieux de pompeux équipages,
Le duc & le marquis fe reconnut aux pages.
Bientôt pour fubfifter, la nobleffe fans bien,
Trouva l'art d'emprunter, & de ne rendre rien,
Et bravant des fergents la timide cohorte,
Laiffa le créancier fe morfondre à fa porte:
Mais pour comble, à la fin le marquis en prifon,"
Sous le faix des procès vit tomber fa maifon.
Alors le noble altier preffé de l'indigence,
Humblement du faquin rechercha l'alliance;
Avec lui trafiquant d'un nom fi précieux,
Par un lâche contrat vendit tous fes aieux;
Et corrigeant ainfi la fortune ennemie,
Rétablit fon honneur à force d'infamie. 3.
Car fi l'éclat de l'or ne releve le fang,'
En vain on fait briller la fplendeur de fon rang, d

L'amour de vos aïeux passe en vous pour manie,
Et chacun pour parent vous fuit & vous renie.
Mais quand un homme eft riche, il vaut toujours for
prix;

Et l'eût-on vu porter la mandille à Paris,

N'eût-il de fon vrai nom, ni titre ni mémoire,
D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'hiftoire.

Toi donc, qui de mérite & d'honneurs revêtu,'
Des écueils de la cour as fauvé ta vertu;
Dangeau, qui dans le rang où notre roi t'appelle,
Le voit toujours orné d'une gloire nouvelle,
Et plus brillant par foi que par l'éclat des lis,
Dédaigner tous ces rois dans la pourpre amollis,
Fuir d'un honteux loifir la douceur importune,
A fes fages confeils affervir la fortune,

Et de tout fon bonheur ne devant rien qu'à foi,
Montrer à l'univers ce que c'est qu'être roi.
Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime,
Vas par mille beaux faits mériter fon eftime:
Sers un fi noble maître, & fais voir qu'aujourd'hui
Ton prince a des fujets qui font dignes de lui.

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