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Malgré mufe & Phébus, n'apprendroit à rimer ?
Non, non, fur ce fujet, pour écrire avec grace,
Il ne faut point monter au fommet du Parnasse:
Et fans aller rêver dans le double vallon,

(n) La colere fuffit, & vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie.
A quoi bon ces grands mots ? Doucement je vous prie
Ou bien montez en chaire, & là, comme un docteur,
Allez de vos fermons endormir l'auditeur;

C'est là que bien ou mal on a droit de tout dire..
Ainfi parle un efprit qu'irrite la fatire,
Qui contre fes défauts croit être en fûreté,
En raillant d'un cenfeur la trifte auftérité :

Qui fait l'homme intrépide, & tremblant de foibleffe
Attend pour croire en Dieu que la fievre le preffe:
Et toujours dans l'orage au ciel levant les mains,
Dès que l'air eft calmé, rit des foibles humains.
Car de penfer alors qu'un Dieu tourne le monde,
Et regle les refforts de la machine ronde,
Ou qu'il eft une vie au delà du trépas,

C'eft là, tout haut du moins, ce qu'il n'avouera pas.
Pour moi qu'en fanté même un autre monde étonne,
Qui croit l'ame immortelle, & que c'eft Dieu qui tonne,
Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce lieu:
Je me retire donc. Adieu, Paris. Adieu.

(n) Juvenal, fatire 1, v. 79.

Si natura negat, facit indignatio verfum.
Puis fouvent la colere engendre de bons vers.

C'est ainsi que Regnier a traduit ce vers de Juvenal. On voiź combien l'expreffion de M. D.... eft plus libre & plus noble. La comparaifon des endroits que ces deux fatiriques ont imités des anciens, ne feroit pas défagréable, ni fans inftruction. Cette premiere fatire de M. D. & la troisieme de Regnier en fournissent plufieurs autres exemples, comme les curieus pourrons Je voir, s'ils veulent en prendre la peine.

SATIRE II.

A Monfieur DE MOLIERE.

RARE

ARE & fameux efprit, dont la fertile veine Ignore en écrivant le travail & la peine; Pour qui tient Apollon tous fes trésors ouverts, Et qui fais à quel coin se marquent les bons vers. Dans les combats d'efprit favant maître d'efcrime, Enfeigne-moi, Moliere, où tu trouves la rime. On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher : Jamais au bout du vers on ne te voit broncher; Et fans qu'un long détour t'arrête ou t'embarrasse A peine as-tu parlé, qu'elle même s'y place: Mais moi qu'un vain caprice, une bizarre humeur, Pour mes péchés, je crois, fit devenir rimeur; Dans ce rude métier, où mon efprit fe tue,

En vain pour

la trouver je travaille & je fue;
Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au foir,
Quand je veux dire blanc, la quinteufe dit noir:
Si je veux d'un galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure:
Si je penfe exprimer un auteur fans défaut,
La raifon, dit Virgile, & la rime Quinaut.
Enfin, quoi que je faffe ou que je veuille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois ne pouvant la trouver,
Trifte, las & confus, je ceffe d'y rêver:
Et maudiffant vingt fois le démon qui m'infpire,
Je fais mille ferments de ne jan:ais écrire:
Mais quand j'ai bien maudit & mufes & Phébus,
Je la vois qui paroît, quand je n'y penfe plus.
Auffi-tôt, malgré moi, tout mon feu fe rallume
Je reprends fur le champ le papier & la plume »

Et de mes vains ferments perdant le fouvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor, fi pour rimer dans fa verve indifcrette,
Ma mufe au moins fouffroit une froide épithete,
Je ferois comme un autre, & fans chercher fi loin,
J'aurois toujours des mots pour les coudre au befoin.
Si je louois Philis, en miracle féconde,

Je trouverois bientôt à nulle autre feconde :
Si je voulois vanter un objet compareil,
Je mettrois à l'inftant, plus beau que le foleil.
Enfin, parlant toujours d'affres & de merveilles,
De chef-d'œuvre des cieux, de beautés fans pareilles,
Avec tous ces beaux mots, fouvent mis au hafard,
Je pourrois aifément, fans génie & fans art,
En tranfpofant cent fois, & le nom, & le verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe.
Mais mon efprit tremblant fur le choix de fes mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne fauroit fouffrir qu'une phrafe infipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vuide.
Ainfi recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier dont la verve infenfée
Dans les bornes d'un vers renferma fa penfee,
Et donnant à ces mots une étroite prifon,
Voulut avec la rime enchaîner la raison:
Sans ce métier fatal au repos de ma vie,
Mes jours pleins de loifir couleroient fans envie,
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant;
Et comme un gras chanoine, à mon aife & contentz
Paffer tranquillement, fans fouci, fans affaire,
La nuit à bien dormir & le jour à rien faire.
Mon cœur exempt de foins, libre de paffion,
Sait donner une borne à son ambition,
Et fuyant des grandeurs la préfence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune.
Et je ferois heureux, fr pour me confumer,
Un deftin envieux ne m'avoit fait rimer.
Mais depuis le moment que cette frénéfic

De fes noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu'un démon, jaloux de mon contentement,
M'infpira le deffein d'écrire poliment :

Tous les jours malgré moi, cloué fur un ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin paffant ma vie en ce trifte métier,
J'envie en écrivant le fort de Pelletier.

Bienheureux Scudéri, dont la fertile plume
Peut tous les mois fans peine erfanter un volume;
Tes écrits, il eft vrai, fans art & languiffants,
Semblent être formés en dépit du bon fens :
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire
Un marchand pour les vendre, & des fots pour les lire
Et quand la rime enfin fe trouve au bout du vers,
Qu'importe que le refte y foit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux regles de l'art affervir fon génie !
Un fot en écrivant fait tout avec plaifir:
Il n'a point en fes vers l'embarras de choifir:
Et toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement, en foi-même il s'admire.
Mais un efprit fublime en vain veut s'élover
A ce degré parfait, qu'il tâche de trouver:
Et toujours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaît à tout le monde, & ne fauroit fe plaire.
Et tel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit,
Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc, qui vois les maux où ma mufe s'abyme, De grace, enfeigne-moi l'art de trouver la rime: Ou, puifqu'enfin tes foins y feroient fuperflus, Moliere, enfeigne-moi l'art de ne rimer plus.

Q

SATIRE III.

A. UEL fujet inconnu vous trouble & vous altere?
D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre & sévere,
Et ce vifage enfin plus påle qu'un rentier,

A l'afpect d'un arrêt qui retranche un quartier ?
Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans feuls & de bifques nourrie?
Où la joie en fon luftre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts?
Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine
A-t-on par quelque édit réformé la cuifine?
Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons ?
Répondez donc du moins, ou bien je me retire.
(a) P. Ah! de grace un moment, fouffrez que je refpire.
Je fors de chez un fat, qui, pour m'empoifonner,
Je penfe, exprès chez lui m'a forcé de dîner.
Je l'avois bien prévu. Depuis près d'une année
J'éludois tous les jours fa pourfuite obstinée:
Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main,
Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain;
N'y manquez pas au moins : j'ai quatorze bouteilles
D'un vin vieux... Boucingo n'en a point de pareilles;
Et je gagerois bien que chez le commandeur,
Villandri priferoit fa feve & fa verdeur.

Moliere avec (b) Tartufe y doit jouer fon rôle :
Et (c) Lambert, qui plus eft, m'a donné fa parole.

(a) Horace a fait la defcription d'un repas ridicule dans la fatire 8 du liv. 2; mais elle n'a prefque rien de commun avec celle-ci,

(6) Tartufe en ce temps là avoit été défendu ; & tout le monde vouloit avoir Moliere, pour le lui entendre réciter. (c) Lambert, le fameux muficien, étoit un fort bon homme, qui promettoit à tout le monde, mais qui ne venoit jamais.

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