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A ces mots effuyant fa barbe limoneuse,

Il prend d'un vieux Guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatricé rend fon air furieux,
Et l'ardeur du combat étincele en fes yeux.
En ce moment il part, & couvert d'une nuë
Du fameux Fort de Skinq prend la route connuë.
Là contemplant fon cours, il voit de toutes parts
Ses pafles defenfeurs par la frayeur épars.

Il voit cent bataillons, qui loin de se defendre,
Attendent fur des murs l'ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde, & renforçant fa voix ;
Grands Arbitres, dit-il, des querelles des Rois,
Eft-ce ainfi que voftre ame aux perils aguerrie
Soûtient fur ces remparts l'honneur & la patrie ?
Voftre Ennemi fuperbe, en cet instant fameux,
Du Rhin prés de Tolhus fend les flots écumeux.
Du moins en vous montrant fur la rive opposée,
N'oferiez-vous faifir une victoire aifée?
Allez, vils Combattans, inutiles Soldats,
Laiffez-là ces moufquets trop pefans pour vos bras:
Et la faux à la main, parmi vos marescages,
Allez couper vos joncs, & preffer vos laiЄtages:
Ou gardant les feuls bords qui vous peuvent couvrir,
Avec moi, de ce pas, venez vaincre ou mourir.
Ce difcours d'un Guerrier que la colere enflâme
Reffufcite l'honneur déja mort en leur ame:

Et leurs cœurs s'allumant d'un refte de chaleur,
La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ils marchent droit au fleuve, où LOUIS en perfonne
Deja preft à paffer, inftruit, dispose, ordonne..
Par fon ordre Grammont * le premier dans les flots
S'avance foûtenu des regards du Heros.

Son courfier écumant fous fon Maistre intrepide
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide,
Revel le fuit de prés: fous ce Chef redouté
Marche des Cuiraffiers l'efcadron indomté.

*Monfieur le Comte de Guiche.

Mais déja devant eux une chaleur guerriere
Emporte loin du bord le bouillant L'Efdiguiere, *
Vivonne, Nantouillet, & Coëflin, & Salart:
Chacun d'eux au peril veut la premiere part.
Vendofme que foûtient l'orgueil de fa naissance,
Au mefme inflant dans l'onde impatient s'élance.
La Salle, Beringhen, Nogent, Dambre, Cavois,
Fendent les flots tremblans fous un fi noble poids.
LOUIS les animant du feu de fon courage,
Se plaint de fa grandeur qui l'attache au rivage.
Par fes foins cependant, trente legers vaiffeaux.
D'un trenchant aviron déja coupent les eaux.
Cent Guerriers s'y jettant fignalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace.
Il s'avance en courroux. Le plomb vole à l'instant,
Et pleut de toutes parts fur l'efcadron flottant.
Du falpeftre en fureur l'air s'échauffe & s'allume;
Et des coups redoublez tout le rivage fume.
Déja duplomb mortel plus d'un Brave eft atteint,
Sous les fougueux Courfiers l'onde écume & fe plaint.
De tant de coups affreux la tempefte orageuse
Tient un temps fur les eaux la fortune douteufe.
Mais LOUIS d'un regard fçait bien-toft la fixer.
Le deftin à fes yeux n'oferoit balancer.

Bien-toft avec Grammont courent Mars & Bellone.
Le Rhin à leur afpect d'épouvante friffonne.
Quand pour nouvelle alarme à fes efprits glacez,
Un bruit s'épand qu'Enguien & Condé font paffez:
Condé dont le feul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons, & gagne les batailles :
Enguien de fon hymen le feul & digne fruit,
Par lui dés fon enfance à la victoire inftruit.
L'Ennemi renverse fuit & gagne la plaine.
Le Dieu lui mefme cede au torrent qui l'entraîne,
Et feul, defefperé, pleurant fes vains efforts
Abandonne à LOUIS la victoire & fes bords.

Monfieur le Comte de Saux.

Du

Du Fleuve ainfi domté la déroute éclatante

A Wurts jufqu'en fon camp va porter l'épouvante :
Wurts l'efpoir du païs, & l'appui de ses murs,
Wurts...ah quel nom, GRAND ROY! quel Hector
que ce Wurts!

Sans ce terrible nom mal né pour les oreilles,
Que j'allois à tes yeux étaler de merveilles !
Bien-toft on eut veu Skinq dans mes vers emporté
De fes fameux remparts démentir la fierté.
Bien-toft... mais Wurts s'oppose à l'ardeur qui m'ani-

me.

Finiffons, il eft temps: auffi bien, fi la rime
Alloit mal à propos m'engager dans Arnheim,
Je ne fçai pour fortir de porte qu'Hildesheim.
O! que le Ciel foigneux de nôtre poëfie,
GRAND ROY, ne nous fift-il plus voifins de l'Afie!
Bien-toft victorieux de cent peuples altiers,
Tu nous aurois fourni des rimes à milliers.
Il n'eft plaine en ces lieux fi feche & fi fterile,
Qui ne foit en beaux mots par tout riche & fertile.
Là plus d'un Bourg fameux par fon antique nom
Vient offrir à l'oreille un agreable fon.

Quel plaifir! de te fuivre aux rives du Scamandre:
D'y trouver d'Ilion la poëtique cendre:
De juger, fi les Grecs qui briferent fes tours,
Firent plus en dix ans que LOUIS en dix jours.
Mais pourquoi fans raifon defefperer ma veine?
Eft-il dans l'Univers de plage fi lointaine,

Où ta valeur, GRAND ROY, ne te puiffe porter,
Et ne m'offre bien-toft des exploits à chanter?
Non, non, ne faifons plus de plaintes inutiles;
Puis qu'ainfi dans deux mois tu prens quarante villes ;
Affuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t'attens dans deux ans au bord de l'Hellefpont.

EPISTRE V.

A MONSIEUR

DE GUILLERAGUES.

Esprit né pour la Cour, & maire en l'art de plaire,

GUILLERAGUES, qui fçais & parler & te taire, Appren-moi, fi je dois ou me taire ou parler. Faut-il dans la Satire encor me fignaler,

*

Et dans ce champ fecond en plaifantes malices,
Faire encore aux Auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non fans tumulte, on m'y vit éclater :
Quand mon efprit plus jeune & prompt à s'irriter,
Afpiroit moins au nom de difcret & de fage:
Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon vifage.
Maintenant que le temps a meuri mes defirs,
Que mon âge amoureux de plus fages plaifirs
Bien-toft s'en va frapper à fon neuvième luftre,
J'aime mieux mon repos qu'un embarras illuftre.
Que d'une égale ardeur mille Auteurs animés
Aiguifent contre moi leurs traits envenimés:
Que tout jufqu'à Pinchefne & m'infulte & m'accable;
Aujourd'hui vieux Lion je fuis doux & traitable:
Je n'arme point contre eux mes ongles émouffés.
Ainfi que mes beaux jours, mes chagrins font paffés.
Je ne fens plus l'aigreur de ma bile premiere,
Et laiffe aux froids Rimeurs une libre carriere.
Ainfi donc Philofophe à la raison foûmis,
Mes defauts deformais, font mes feuls ennemis.
C'eft l'erreur que je fuis: c'eft la vertu que j'aime.
Je fonge à me connoiftre, & me cherche en moi-même.
C'eft là l'unique étude où je veux m'attacher.
Que l'aftrolabe en main, un autre aille chercher

Si le Soleil eft fixe, ou tourne fur fon axe :

Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe:
Tom. I.

* A la quarante & unième année,

E

Que

Que Rohaut vainement feche pour concevoir,
Comment tout eftant plein, tout a pû se mouvoir:
Ou que Bernier compofe & le fec & l'humide
Des corps ronds & crochus errans parmi le vuide.
Pour moi fur cette mer, qu'ici-bas nous courons,
Je fonge à me pourvoir d'efquif & d'avirons,
A regler mes defirs, à prevenir l'orage,
Et fauver, s'il fe peut, ma raison du naufrage.

C'est au repos d'efprit que nous afpirons tous:
Mais ce repos heureux fe doit chercher en nous.
Un Fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne,
Et malade à la ville, ainfi qu'à la campagne,

En vain monte à cheval, pour tromper fon ennui,
Le chagrin monte en croupe & galope avec lui.
Que crois-tu qu'Alexandre, en ravageant la terre,
Cherche parmi l'horreur, le tumulte & la guerre ?
Poffedé d'un ennui, qu'il ne fçauroit domter,
Il craint d'eftre à foi-même, & fonge à s'éviter.
C'est là ce qui l'emporte aux lieux où naist l'Aurore,
Où le Perfe eft brûlé de l'aftre qu'il adore.

De nos propres malheurs Auteurs infortunés,
Nous fommes loin de nous à toute heure entraînés.
A quoi bon ravir l'or au sein du nouveau monde ?
Le bonheur tant cherché fur la terre & fur l'onde
Eftici, comme aux lieux où meurit le coco,
Et fe trouve à Paris, de mefme qu'à Cusco. *
On ne le tire point des veines du Potose. +
Qui vit content de rien poffede toute chose.
Mais fans ceffe ignorans de nos propres besoins
Nous demandons au ciel ce qu'il nous faut le moins.
O! que fi cet hyver, un rhûme falutaire
Gueriffant de tous maux monavare beau-pere
Pouvoit bien confeffé l'étendre en un cercueil,
Et remplir fa maifon d'un agreable deüil!
Que mon ame en ce jour de joye & d'opulence,
D'un fuperbe convoi plaindroit peu la dépense!

Difoit

*Capitale du Perou. † Montagne où font les mines d'argent.

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