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EPISTRE III.

A MONSIEUR ARNAUD.

Ui, fans peine, au travers des fophifmes de Claude,
Arnaud, des Novateurs tu découvres la fraude,
Et romps de leurs erreurs les filets captieux.
Mais que fert que ta main leur de fille les yeux ?
Si toûjours dans leur ame une pudeur rebelle,
Prefts d'embraffer l'Eglife, au Presche les rappelle ?
Non, ne croy pas que Claude habile à fe tromper
Soit infenfible aux traits dont tu le fçais frapper:
Mais un Demon l'arrefte, & quand ta voix l'attire,
Lui dit: Si tu te rens, fçais-tu ce qu'on va dire?
Dans fon heureux retour lui montre un faux malheur,
Lui peint de Charenton l'heretique douleur,
Et balançant Dieu mefme en fon ame flottante,
Fait mourir dans fon cœur la verité naiffante.
Des fuperbes mortels le plus affreux lien,

N'en doutons point, Arnaud, c'est la honte du bien.
Des plus nobles vertus cette adroite ennemie,
Peint l'honneur à nos yeux des traits de l'infamie,
Affervit nos efprits fous un joug rigoureux,

Et nous rend l'un de l'autre efclaves malheureux.
Par elle la vertu devient lâche & timide.
Vois-tu ce Libertin en public intrepide,
Qui prêche contre un Dieu que dans fon ame il croit?
Il iroit embraffer la verité qu'il voit:

Mais de fes faux amis il craint la raillerie,
Et ne brave ainfi Dieu que par poltronerie.

C'eft là de tous nos maux le fatal fondement.

Des jugemens d'autrui nous tremblons follement,
Et chacun l'un de l'autre adorant les caprices,
Nous cherchons hors de nous nos vertus & nos vices.
Miferables jouets de nostre vanité !

Faifons au moins l'aveu de noftre infirmité.

A

A quoy bon, quand la fiévre en nos arteres brûle,
Faire de noftre mal un fecret ridicule ?
Le feu fort de vos yeux petillans & troublez,
Voftre pouls inégal marche à pas redoublez:
Quelle fauffe pudeur à feindre vous oblige?
Qu'avez-vous? Je n'ay rien. Mais... Je n'ay rien, vous
dis-je.

Répondra ce malade à se taire obstiné.

Mais cependant voila tout fon corps cangrené,
Et la fiévre demain fe rendant la plus forte,
Un benitier aux pieds, va l'étendre à la porte.
Prévenons fagement un fi jufte malheur.

Le jour fatal eft proche & vient comme un voleur.
Avant qu'à nos erreurs le Ciel nous abandonne,
Profitons de l'inftant que de grace il nous donne;
Haftons-nous; le temps fuit, & nous traîne avec soy.
Le moment où je parle eft déja loin de moy.

Mais quoy? toûjours la honte en efclaves nous lie.
Oui, c'eft toy qui nous pers, ridicule folie.
C'eft toy qui fis tomber le premier Malheureux,
Le jour que d'un faux bien fottement amoureux,
Et n'ofant foupçonner fa femme d'imposture,
Au Demon par pudeur il vendit la Nature.
Helas! avant ce jour qui perdit fes Neveux,
Tous les plaifirs couroient au devant de fes vœux.
La faim aux animaux ne faifoit point la guerre.
Le blé, pour fe donner, fans peine ouvrant la terre,
N'attendoit point qu'un boeuf preffé de l'éguillon
Traçaft à pas tardifs un penible fillon.

La vigne offroit par tout des grapes toujours pleines,
Et des ruiffeaux de laict ferpentoient dans les plaines.
Mais dés ce jour Adam déchû de fon état,

D'un tribut de douleurs paya fon attentat.
Il falut qu'au travail fon corps rendu docile
Forçaft la terre avare à devenir fertile.
Le chardon importun heriffa les guerets;
Le ferpent venimeux rampa dans les forefts:
La canicule en féu defola les campagnes :

L'Aqui

L'Aquilon en fureur gronda fur les montagnes.
Alors pour fe couvrir durant l'âpre faifon,
Il falut aux brebis dérober leur toifon.

La pefte en mefme temps, la guerre & la famine
Des malheureux humains jurerent la ruine :
Mais aucun de ces maux n'égala les rigueurs,
Que la mauvaise honte exerça dans les cœurs.
De ce nid à l'inftant fortirent tous les vices.
L'Avare des premiers en proye à fes caprices,
Dans un infame gain mettant l'honnefteté,
Pour toute honte alors compta la pauvreté.
L'honneur & la vertu n'oferent plus paroiftre.
La pieté chercha les deferts & le Cloistre.
Depuis on n'a point v û de cœur fi détaché
Qui par quelque lien ne tinft à ce peché.
Trifte & funefte effet du premier de nos crimes!
Moy-même, Arnaud, ici qui te prêche en ces rimes,
Plus qu'aucun des mortels par la honte abattu,
En vain j'arme contr'elle une foible vertu.
Ainfi toujours douteux, chancelant & volage,
A peine du limon où le vice m'engage,
J'arrache un pié timide, & fors en m'agitant,
Que l'autre m'y reporte, & s'embourbe à l'inftant.
Car fi, comme aujourd'hui, quelque rayon de zele
Allume dans mon cœur une clarté nouvelle,
Soudain aux yeux d'autrui s'il faut la confirmer,
D'un gefte, d'un regard je me fens alarmer;
Et mefme fur ces vers que je te viens d'écrire,
Je tremble en ce moment de ce que l'on va dire.

ΕΡΙ

EPISTRE IV.

AU ROY.

E mente

N vain, pour te loüer, ma Muse toûjours preste,
Vingt fois de la Holande a tenté la conqueste :

Ce païs, où cent murs n'ont pû te refifter,

GRAND ROY, n'eft pas en vers fi facile à domter.
Des Villes que tu prens, les noms durs & barbares
N'offrent de toutes parts que fyllabes bizarres.
On a beau s'exciter: il faut depuis l'Iffel,

Pour trouver un beau mot, courir jufqu'au Teffel.
Oui, par tout de fon nom chaque Place munie,
Tient bon contre le vers, en détruit l'harmonie.
Et qui peut fans fremir aborder Woerden?
Quel vers ne tomberoit au feul nom de Heufden?
Quelle Mufe à rimer en tous lieux difpozée
Oferoit approcher des bords de Zuider-zée ?
Comment en vers heureux affieger Doësbourg,
Zutphen, Wageninghen, Harderwik, Knotzembourg?
Il n'eft Fort entre ceux que tu prens par centaines,
Qui ne puiffe arrefter un Rimeur fix femaines:
Et par tout fur le Whal, ainfi que fur le Leck,
Le vers eft en déroute, & le Poëte à fec.

Encor, fites exploits moins grands & moins rapides
Laiffoient prendre courage à nos Mufes timides;
Peut-eftre avec le temps, à force d'y rêver,
Par quelque coup de l'art nous pourrions nous fauver.
Mais dés qu'on veut tenter cette vaste carriere;
Pegaze s'effarouche & recule en arriere;

Mon Apollon s'étonne, & Nimegue eft à toy,
Que ma Mufe eft encore au camp devant Orfoy.
Aujourd'hui toutefois mon zele m'encourage;
Il faut au moins du Rhin tenter l'heureux paffage.
Il fait beau s'y noyer, fi nous nous y noyons.
Mafes, pour le tracer, cherchez tous vos crayons.

Car

Car puifqu'en cet exploit tout paroift incroyable,
Que la verité pure y reffemble à la fable,
De tous vos ornemens vous pouvez l'égayer,
Venez donc, & fur tout gardez bien d'ennuyer.
Vous fçavez des grands vers les difgraces tragiques:
Et fouvent on ennuye en termes magnifiques.

Au pied du mont Adulle* entre mille rofeaux,
Le Rhin tranquille, & fier du progrés de fes eaux,
Appuié d'une main fur fon urne penchante,
Dormoit au bruit flateur de fon onde naiffante.
Lors qu'un cri tout à coup fuivi de mille cris,
Vient d'un calme fi doux retirer fes efprits.
Il fe trouble, il regarde, & par tout fur fes rives
Il voit fuir à grands pas fes Naiades craintives,
Qui toutes accourant vers leur humide Roy,
Par un recit affreux redoublent fon effroy.
Il apprend qu'un Heros conduit par la Victoire,
A de fes bords fameux flétri l'antique gloire.
Que Rhimberg & Wefel terraffez en deux jours
D'un joug déja prochain menacent tout fon cours.
Nous l'avons veu, dit l'une, affronter la tempefte
De cent foudres d'airain tournez contre fa tefte.
Il marche vers Tolhus, & tes flots en couroux
Au prix de fa fureur font tranquilles & doux.
Il a de Jupiter la taille & le vifage;

Et depuis ce Romain, † dont l'infolent paffage
Sur un pont en deux jours trompa tous tes efforts,
Jamais rien de fi grand n'a paru fur tes bords.

Le Rhin tremble & fremit à ces triftes nouvelles, Le feu fort à travers fes humides prunelles. C'est donc trop peu, dit-il, que l'Efcaut en deux mois Ayt appris à couler fous de nouvelles loix : Et de mille remparts mon onde environnée De ces Fleuves fans nom fuivra la destinée. Ah! periffent mes eaux ! ou par d'illuftres coups, Montrons qui doit ceder des mortels ou de nous.

* Montagne d'où le Rhin prend sa fource. † Jules Cefar.

A es

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