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Entre nous, verras-tu, d'un efprit bien tranquille,
Chés ta Femme aborder & la Cour & la Ville?

Tout hormis toi, chés toi, rencontre un doux acueil.
L'un eft payé d'un mot, & l'autre d'un coup d'œil.
Ce n'eft que pour toi feul qu'elle eft fiere & chagrine,
Aux autres elle eft douce, agreable, badine:
C'eft pour eux qu'elle étale & l'or, & le brocard;
Que ches toi le prodigue & le rouge & le fard,
Et qu'une main fçavante, avec tant d'artifice,
Baftit de fes cheveux le galant édifice.

Dans fa chambre, croy moi, n'entre point tout le jour,,
Si tu veux poffeder ta Lucrece à ton tour;
Atten, difcret Mari, que la Belle en cornete
Le foir ayt étalé fon teint fur la toilete,
Et dans quatre mouchoirs de fa beauté falis
Envoye au Blanchiffeur fes rofes & feslys.
Alors tu peux entrer: mais fage en fa présence
Ne va pas murmurer de fa folle dépense.
D'abord l'argent en main paye & vifte & comptant.
Mais non; fay mine un peu d'en eftre mécontent.
Pour la voir auffi-toft fur fes deux piés hauffée
Déplorer fa vertu fi mal recompenfée.
Un Mari ne veut pas fournir à fes befoins.
Jamais Femme aprés tout a-t-elle couftémoins?
A cinq cens louis d'or tout au plus chaque année.
Sa dépense en habits n'eft-elle pas bornée ?
Que répondre? Je voy, qu'à de fi juftes cris
Toi-mefme convaincu déja tu t'attendris,
Tout preft à la laiffer, pourveu qu'elle s'appaise
Dans ton cofre en pleins facs puizer tout à fon aife..
A quoi bon en effet t'allarmer de fi peu ?.
Héque feroit-ce donc, file Demon du jeu
Verfant dans fon efprit fa ruineufe rage,
Tous les jours mis par elle à deux doigts du naufrago:
Tu yoyois tous tes biens au fort abandonnés
Devenir le butin d'un pique ou d'un fonnés ?
Le doux charme pour toi! de voir chaque journée
De nobles Champions ta Femme environnée,

Sur

Sur une table longue & façonnée exprés
D'un Tournois de baffette ordonner les aprefts:
Ou, fi par un Arreft la groffiere Police
D'un jeu fi neceffaire interdit l'exercice,
Ouvrir fur cette table un champau Lanfquenet,
Ou promener trois dés chaffés de fon cornet:
Puis fur une autre table, avec un air plus fombre,
S'en aller mediter une vole au jeu d'Ombre:
S'écrier fur,un as mal à propos jetté:

Se plaindre d'un gâno qu'on n'a point écouté ;
Ou, querellant tout bas le Ciel qu'elle regarde,
A la Befte gemir d'un Roy venu fans garde.
Chés elle en ces emplois, l'Aube du lendemain
Souvent la trouve encor les cartes à la main.
Alors pour fe coucher les quittant, non fans peine,
Elle plaint le malheur de la Nature humaine
Qui veut qu'en un fommeil, où tout s'enfevelit,
Tant d'heures fans joüer fe confument au lit.
Toutefois en partant la Troupe la confole,
Et d'un prochain retour chacun donne parole.
C'eft ainfi qu'une Femme en doux amuzemens
Sçait du temps qui s'envôle employer les momens
C'eft ainfi que fouvent par une Forcenée
Une trifte famille à l'hofpital traînée,

Void fes biens en decret fur tous les murs écrits,
De fa déroute illuftre effrayer tout Paris.

Mais que plûtoft fon jeu mille fois te ruïne,
Que fi la famelique & honteufe Lézine,
Venant mal à propos la faifir au collet,
Elle te reduifoit à vivre fans valet,
Comme ce Magiftrat de hideufe memoire
Dont je veux bien ici te crayonner l'histoire.

Dans la Robbe on vantoit fon illuftre Maifon.
Il eftoit plein d'efprit, de fens, & de raison.
Seulement pour l'argent un peu trop de foibleffe
De ces vertus en lui ravaloit la nobleffe..
Sa table toutefois, fans fuperfluité,
N'avoit rien que d'honnefte en fa frugalité:

Chés

Chés lui deux bons chevaux de pareille encolure
Trouvoient dans l'écurie une pleine pafture,
Et du foin, que leur bouche au ratelier laiffoit,
De furcroift une mule encor fe nourriffoit.
Mais cette foif de l'or qui le brûloit dans l'ame
Le fit enfin fonger à choisir une Femme;
Et l'honneur dans ce choix ne fut point regardé.
Vers fon trifte penchant fon naturel guidé

Le fit dans une avare & fordide famille

Chercher un monftre affreux fous l'habit d'une fille,
Et fans trop s'enquerir d'où la Laide venoit,
Il fçût, ce fut affés, l'argent qu'on lui donnoit.
Rien ne le rebutta; ni fa veuë éraillée

Ni fa maffe de chair bizarrement taillée;
Et trois cens mille francs avec elle obtenus
La firent à fes yeux plus belle que Vénus.
Il l'épouze, & bien-toft fon Hofteffe nouvelle
Le prefchant, lui fit voir, qu'il eftoit au prix d'elle,
Un vrai diffipateur, un parfait débauché.
Lui-mefme le fentit, reconnut fon peché,
Se confeffa prodigue, & plein de repentance
Offrit fur les avis de regler fa dépenfe.
Auffi-toft de chés eux tout rofti difparut:
Le pain bis renfermé d'une moitié décrut :

Les deux chevaux, la mule au marché s'envolerent:
Deux grands Laquais à jeun fur le foir s'en allerent,
De ces Coquins déja l'on fe trouvoit laffé,
Et pour n'en plus revoir le refte fut chaffé.
Deux Servantes défa largement foufletées
Avoient à coups de pié defcendu les montées,
Et fe voyant enfin hors de ce trifte lieu
Dans la rue en avoient rendu graces à Dieu.
Un vieux Valet reftoit, feul cheri de fon Maiftre,
Que toûjours il fervit, & qu'il avoit veu naistre,
Et qui de quelque fomme amaffée au bon temps
Vivoit encor chés eux, partie à fes dépens.
Sa veüe embarraffoit'; il fallut s'en défaire:
Il fut de la maifon chaffé comme un Corfaire.

Voilà nos deux Epoux fans valets, fans enfans,
Tous feuls dans leur logis libres & triomphans.
Alors on ne mit plus de borne à la lézine:
On condamna la cave, on ferma la cuifine:
Pour ne s'en point fervir aux plus rigoureux mois
Dans le fond d'un grenier on fequeftra le bois.
L'un & l'autre de flors vécut à l'aventure
Des préfens, qu'à l'abri de la Magiftrature,
Le Mari quelquefois des Plaideurs extorquoit,
Ou de ce que la Femme aux voifins excroquoit.
Mais peut-eftre j'invente une fable frivole.
Déments donc tout Paris, qui prenant la parole,
Sur ce fujet encor de bons témoins pourveû,
Tout preft à le prouver, te dira: je l'ay veû.
Vingt ans j'ay veû ce Couple uni d'un mefme vice
A tous mes Habitans montrer que l'avarice
Peut faire dans les biens trouver la pauvreté,
Et nous reduire à pis que la mendicité.

Des voleurs qui chez eux pleins d'efperance entrerent
A la fin un beau jour tous deux les maffacrerent.
Digne & funefte fruit du noeud le plus affreux
Dont l'Hymen ait jamais uni deux Malheureux !
Ce recit paffe un peu l'ordinaire mesure.
Mais un exemple enfin fi digne de cenfure
Peut il dans la Satire occuper moins de mots ?
Chacun fçait fon métier. Suivons noftre propos.
Nouveau Predicateur aujourd'hui, je l'avouë,
Ecolier, ou plûtoft finge de Bourdalouë,
Je me plais à remplir mes fermons de portraits.
En voilà déja trois peints d'affez heureux traits,
La Femme fans honneur, la Coquette, & l'Avare.
Il faut y joindre encor la revesche Bizarre,
Qui fans ceffe, d'un ton par la colere aigri,
Gronde, choque, dément, contredit un Mari,
Il n'eft point de repos ni de paix avec elle.
Son mariage n'eft qu'une longue querelle.
Laiffe-t-elle un moment refpirer fon Epoux?
Ses valets font d'abord l'objet de fon couroux,

Et

Et fur le ton grondeur, lorfqu'elle les harangue,
Il faut voir de quels mots elle enrichit la langue.
Ma plume ici traçant ces mots par alphabet,
Pouroit d'un nouveau tôme augmenter Richelet.
Tu crains peu d'effuyer cette étrange furie.
En trop bon lieu, dis-tu, ton Epouse nourie
Jamais de tels difcours ne te rendra martyr.
Mais euft-elle fucé la raifon dans Saint Cyr,

Crois-tu que d'une fille humble, honnelle, charmante,
L'Hymen n'ayt jamais fait de femme extravagante?
Combien n'a-t-on point veu de Belles aux doux
Avant le mariage, Anges fi gracieux,

yeux 2

Tout-à-coup fe changeant en Bourgeoifes fauvages,"
Vrais Démons, apporter l'Enfer dans leurs ménages,
Et découvrant l'orgueil de leurs rudes efprits,
Sous leur fontange altiere affervir leurs Maris?

Et puis, quelque douceur dont brille ton Epouze,
Penfes tu, fi jamais elle devient jalouze,
Que fon ame livrée à fes triftes foupçons,
De la raifon encore écoute les leçons?

Alors, Alcippe, alors, tu verras de fes œuvres.
Refou-toy , pauvre Epoux, à vivre de couleuvres:
A la voir tous les jours, dans fes fougueux accez,
A ton gefte, à ton rire intenter un procez:
Souvent de ta maifon gardant les avenuës,

Les cheveux heriffez, t'attendre au coin des ruës:
Te trouver en des lieux de vingt portes fermés
Et par tout où tu vas, dans fes yeux enflammés,
T'offrir, non pas d'Ifis la tranquile Eumenide,
Mais la vraye Alecto peinte dans l'Eneïde,
Un tizon à la main chez le Roy Latinus,
Souflant fa rage au fein d'Amate & de Turnus.
Mais quoy? je chauffe ici le cothurne Tragique :
Reprenons au plûtoft le brodequin Comique,
Et d'objets moins affreux fongeons à te parler.
Dy-moy donc, laiffant là cette Folle heurler,

T'ac

* Furie dans l'Opera d'Ifis, qui demeure presque toûjours àneriem. faire

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